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Les frais de démobilisation encourus par le locateur d’un bien loué selon un contrat résilié lors des procédures d’insolvabilité doivent-ils être payés par la débitrice?

Dans l’affaire de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies relative à Nemaska Lithium, la Cour supérieure du Québec rend une décision intéressante en ce qui concerne la possibilité pour une débitrice de résilier des contrats auxquels elle est partie et sur son obligation, le cas échéant, de payer à son cocontractant les frais qu’il doit encourir pour reprendre possession de biens loués.

Contexte : Nemaska Lithium résilie un contrat de location de modules de logement

Le 20 janvier 2020, s’autorisant de l’Ordonnance initiale rendue par le Tribunal dans cette affaire de même que de l’article 32 de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies (« LACC »), Nemaska Lithium notifie à sa cocontractante Eenou un préavis l’informant que le contrat intervenu entre les parties le 31 mars 2019 (le « Contrat ») sera résilié dans les 30 jours. Le Contrat prévoyait l’installation, la location et l’entretien de modules de logement par Eenou afin de loger les employés de Nemaska Lithium au projet minier de cette dernière dans le nord du Québec, de même que la démobilisation par Eenou de ces modules une fois le Contrat terminé. En vertu du Contrat, Nemaska Lithium doit payer, en quatre versements, un montant forfaitaire de 5 460 031$ couvrant notamment l’ensemble des coûts reliés à la désinstallation, à la démobilisation et au transport de retour de ces modules (les « Frais de démobilisation »). Aux prises avec des difficultés financières, Nemaska Lithium ne paie pas le dernier versement prévu en juin 2019.

Eenou prétend en l’espèce que le dernier versement comprend l’ensemble des Frais de démobilisation et que, puisqu’il n’est toujours pas effectué par Nemaska Lithium, ces derniers constituent une dépense postdépôt au sens de l’Ordonnance initiale. Elle réclame ainsi au Tribunal le paiement des Frais de démobilisation qu’elle encourra des suites de la résiliation du Contrat.

Nemaska Lithium prétend de son côté que les Frais de démobilisation constituent des frais de terminaison prévus au Contrat, faisant d’ailleurs partie intégrante du prix convenu. En ce sens, ces frais ne peuvent se qualifier de dépense postdépôt puisqu’ils découlent d’une obligation née avant l’émission de l’Ordonnance initiale. Nemaska Lithium soumet donc qu’elle ne doit rien à Eenou à ce titre.

S’appuyant sur les enseignements de la Cour d’appel dans l’arrêt Kitco, le Tribunal rappelle d’entrée de jeu qu’une dépense postdépôt est celle née après le début des procédures d’insolvabilité et qui résulte d’une obligation elle-même née après le prononcé de l’Ordonnance initiale. En l’espèce, les Frais de démobilisation sont expressément prévus au Contrat et font partie intégrante du prix négocié. En ce sens, le fait que la dépense soit effectivement engagée par Eenou après l’émission de l’Ordonnance initiale ne peut la transformer en obligation postdépôt dans la mesure où l’obligation les prévoyant est née lors de la formation du contrat, quelques mois avant le début des procédures d’insolvabilité. L’exigibilité de ces frais postérieurement à l’Ordonnance initiale ne les transforme pas en une dépense postdépôt. Conclure autrement signifierait que tous les créanciers qui verront leur contrat avec Nemaska Lithium résilié pourront ensuite réclamer de tels frais de terminaison à titre de dépense postdépôt. Le Tribunal ne peut accepter pareille conclusion; les termes du Contrat doivent prévaloir.

L’importance du portrait global pour le tribunal lorsqu’il décide de la résiliation d’un contrat

Eenou prétend par ailleurs que le préavis de résiliation du Contrat doit lui être déclaré inapplicable, et ce, pour deux raisons. En premier lieu, elle avance que ni l’article 32 LACC, ni l’Ordonnance initiale ne permettent à Nemaska Lithium de résilier un contrat dans lequel un mécanisme de résiliation en cas de défaut est prévu.

En second lieu, Eenou prétend que les conditions d’application de l’article 32 LACC ne sont pas rencontrées dans la mesure où la résiliation du Contrat n’est pas nécessaire à la restructuration ou à l’arrangement de Nemaska Lithium. Elle allègue également que la résiliation lui cause un préjudice financier. En réponse, Nemaska Lithium soumet que les critères établis par l’article 32 LACC sont tous satisfaits et que la résiliation du Contrat doit être prononcée. Plus particulièrement, Nemaska Lithium plaide que les importantes économies réalisées grâce à la résiliation favoriseront la conclusion d’un arrangement viable au bénéfice de tous les créanciers et soumet qu’Eenou ne présente aucune preuve de sérieuses difficultés financières.

Le Tribunal rejette d’emblée l’argument d’Eenou voulant que la résiliation ne soit pas possible en vertu de la LACC ou de l’Ordonnance initiale lorsqu’un contrat prévoit des dispositions relatives à la résiliation. En effet, l’article 32 LACC prévoit plutôt un mécanisme additionnel s’ajoutant aux autres dispositions contractuelles et législatives existantes, lesquelles demeurent applicables. Le Tribunal se range par ailleurs aux arguments de Nemaska Lithium et conclut que les facteurs énumérés au paragraphe 32(4) LACC sont rencontrés, de sorte que le Contrat doit être résilié.

Dans le cadre de son analyse, le Tribunal indique qu’il se doit de considérer le « portrait global », et ce, en vue d’assurer le traitement équitable de tous les créanciers impliqués. Il ne peut être ignoré que Nemaska Lithium prévoit envoyer plus de 200 préavis de résiliation; en ce sens, le Tribunal ne peut se permettre d’accorder un traitement préférentiel à l’un des créanciers de la débitrice. Une telle conclusion ferait en sorte que tous ceux qui recevront un préavis de résiliation se présenteraient ensuite devant le Tribunal pour obtenir le même traitement qu’Eenou. Au regard du portrait global, une telle situation doit être évitée. De plus, le fait qu’il ne restait plus qu’un mois et demi à écouler au Contrat ne peut être pris en compte.

L’analyse effectuée par le Tribunal en considérant le portrait global amène plutôt à une conclusion contraire à celle souhaitée par Eenou : une fois additionnées, toutes ces petites réclamations représenteraient un somme importante pour Nemaska Lithium. Par ailleurs, la résiliation n’a pas à être nécessaire à la restructuration; elle doit simplement être avantageuse ou bénéfique à l’égard du portrait global.

Finalement, le Tribunal écarte également la prétention d’Eenou voulant qu’elle subirait de sérieuses difficultés financières des suites de la résiliation dans la mesure où aucune preuve n’est présentée en ce sens. Récolter des profits moins substantiels qu’anticipés ne peut être qualifié de sérieuses difficultés financières!

Information sur le jugement

Nemaska Lithium inc (arrangement relatif à), 2020 QCCS 482

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