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L’élargissement des pouvoirs d'enquête d'un contrôleur en vertu de la Lacc

Dans le cadre de l’affaire Bloom Lake relative à la  Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies (la « Lacc »), la Cour supérieure du Québec prononce un jugement au sujet de l'élargissement des pouvoirs du contrôleur dans un contexte où un créancier refusait de produire la documentation demandée par les débitrices. Se fondant sur sa compétence exclusive pour déterminer l’étendue des pouvoirs du contrôleur dans la poursuite des objectifs de la Lacc, la Cour autorise le contrôleur à contraindre toute personne à être interrogée et à fournir des documents sur une société dans laquelle les débitrices détiennent des actions, y compris des informations qui vont au-delà de ce qui serait normalement disponible pour un actionnaire.

Contexte: l’intérêt de la mine du Lac Bloom dans la coentreprise Twinco

Les débitrices possèdent et exploitent la mine du Lac Bloom au Québec, près de la frontière avec Terre-Neuve-et-Labrador. Ils détiennent 17 % des actions de Twinco, une coentreprise constituée en société régie par la Loi canadienne sur les sociétés par actions en 1960, entre CFLCo, les débitrices et la Compagnie minière Iron Ore du Canada, afin de construire une centrale hydroélectrique sur la rivière Inconnue au Labrador pour fournir de l'électricité aux exploitations minières situées à proximité, à Labrador City et à Wabush.

Au début des années 1960, Twinco obtient de CFLCo les droits d’aménagement d’une centrale hydroélectrique, puis construit celle-ci. En 1974, CLFCo prend en charge la centrale, de même que des obligations d’entretien exhaustives à l’égard de cette dernière. Elle s’engage à indemniser Twinco à l’égard de ces obligations et des responsabilités environnementales liées à la centrale. Toutefois, depuis cette date et selon diverses évaluations, des responsabilités environnementales pourraient avoir pris naissance relativement à la centrale.

Les débitrices estiment que ces responsabilités environnementales incombent à CLFCo et non à Twinco, mais ne savent pas si, et dans quelle mesure, Twinco a pu financer des travaux d’entretien ou d’assainissement de l’environnement qui relèvent de la responsabilité de CLFCo, et pour lesquels Twinco peut avoir une réclamation contre CLFCo pour un remboursement. Or, dans l’éventualité d’un remboursement à Twinco par CLFCo, les débitrices se verraient attribuer leur part proportionnelle du montant remis.

Les débitrices et le contrôleur ont donc cherché à obtenir l'information nécessaire pour déterminer le montant de l'entretien et des autres dépenses indemnisables qui pourraient être remboursées par CFLCo, mais on leur a refusé l'accès à cette information.  Ils font donc appel à la Cour pour obtenir des ordonnances accordant au contrôleur les pouvoirs d'enquête nécessaires pour obtenir cette information.

Le pouvoir de la Cour de définir les pouvoirs du contrôleur

La Cour rappelle tout d’abord l’évolution du rôle du contrôleur au fil du temps. À l’origine une création jurisprudentielle, le rôle du contrôleur se voit attribuer une reconnaissance législative avec les modifications de 1997 à la Lacc, en plus de rendre sa nomination obligatoire. Par la suite, en 2007,  la description de son rôle et ses responsabilités sont élargies. Depuis, les pouvoirs minimaux du contrôleur sont énoncés à la Lacc et le tribunal a le pouvoir discrétionnaire de les augmenter en vertu de l'alinéa 23(1)(k) de la Lacc, qui prescrit que « le contrôleur est tenu [...] d’accomplir à l’égard de la compagnie tout ce que le tribunal lui ordonne de faire », comme nous l'avons expliqué dans un précédent billet.

C’est sur cette base que la Cour rejette l’argument de Twinco et CLFCo suivant lequel la discrétion judiciaire des tribunaux attribuée par l’art. 11 Lacc est limitée d’une telle sorte qu’elle ne possède pas la compétence requise pour statuer sur la demande. En effet, Twinco et CLFCo avançaient l’idée que la Lacc n’est pas le véhicule approprié pour enquêter sur les tierces parties aux procédures de la Lacc, car cette législation vise à restructurer les sociétés plutôt qu’à les liquider. En se basant sur le jugement Cour suprême du Canada dans l’affaire 9354-9186 Québec inc. c. Callidus Capital Corp, la Cour note que l’attribution aux juges d’un rôle de supervision unique constitue l’un des moyens principaux par lesquel la Lacc atteint ses objectifs. Ainsi, la Cour établit que la détermination de l’étendue des pouvoirs du contrôleur dans la poursuite des objectifs de la Lacc fait partie de sa compétence exclusive, notamment lorsque ces pouvoirs se rapportent directement à un actif ou à un bien des débitrices qui fait partie d’un plan de transaction ou d’arrangement homologué. Elle accorde donc les pouvoirs élargis du contrôleur demandés par les débitrices.  

Le devoir de neutralité du contrôleur

Finalement, Twinco et CLFCo soulèvent que la neutralité du contrôleur serait compromise si on lui accordait les pouvoirs élargis demandés, compte tenu de l’existence de litiges en cours au Québec et à Terre-Neuve. En réponse à cet argument, le juge Pinsonnault rappelle les enseignements de la Cour d’appel du Québec dans l’affaire Aquadis, suivant lesquels le principe de neutralité du contrôleur est atténué lors de l’adoption des modifications à l’art. 23 de la Lacc, faisant de lui un participant actif aux procédures. En effet, dorénavant, du moment que le contrôleur est objectif et impartial et que ses décisions sont fondées sur des critères raisonnés qui favorisent les objectifs légitimes de la Lacc, l’exigence de neutralité est satisfaite. En l’espèce, la Cour tranche que les pouvoirs élargis de surveillance demandés ne concernent que l’information à fournir au contrôleur, le tout sans compromettre les droits et les recours des parties.

Les limites des pouvoirs d'investigation du contrôleur

La jurisprudence antérieure à la présente affaire, notamment la décision récente dans l’affaire Square Candiac rendue par le juge Kalichman de la Cour supérieure du Québec, élargie les pouvoirs du contrôleur pour y inclure la capacité d’obliger toute personne dont il est raisonnable de croire qu’elle possède des informations relatives à l’une des débitrices, à son entreprise ou à ses biens, à être interrogée sous serment, de même qu’à divulguer et produire au contrôleur tous les documents qu’elle a en sa possession conformément à l’alinéa 23(1)(c) Lacc.

Twinco et CLFCo avancent toutefois que les pouvoirs du contrôleur relatifs à la détermination de l’état des affaires commerciales et financières des sociétés débitrices devraient être limités aux seuls documents corporatifs disponibles à un actionnaire. En rejetant cet argument, la Cour fait sien le raisonnement de la Cour d’appel de l’Ontario dans l’affaire Osztrovics, rendue dans un contexte de faillite, mais dont les principes demeurent applicables à la Lacc. Dans cette affaire, le juge Brown estime que cette interprétation étroite des pouvoirs d’enquête du syndic de faillite empêcherait la réalisation de l’obligation envers les créanciers d’évaluer et de réaliser l’actif le plus important de la masse. C’est sur cette base que la Cour conclut que les pouvoirs d’enquête dévolus au contrôleur vont au-delà de l’information normalement accessible à un actionnaire.

Compétence pour émettre des ordonnances contre des tiers, domiciliés ailleurs au Canada

La Cour souscrit finalement à l’argument des débitrices suivant lequel il n’est pas nécessaire que les ordonnances rendues en vertu des articles 11 ou 23 de la Lacc ne visent que des sociétés débitrices. Ces ordonnances peuvent ainsi prévoir des mesures de redressement dirigées contre des tiers, y compris des pouvoirs d’enquête accordés aux contrôleurs pour enquêter sur ces tiers en ce qui concerne les biens du débiteur. Dans la présente affaire, la Cour juge que les pouvoirs élargis de surveillance demandés, étant liés aux biens des débitrices, concernent la société débitrice et que cela milite en la faveur de leur octroi. De plus, les ordonnances accordant des pouvoirs élargis au contrôleur, étant accordées en vertu de la Lacc, sont exécutoires partout au Canada.

Conclusion

Dans les trente dernières années, le rôle de contrôleur en vertu de la Lacc a grandement évolué. Les développements récents ont permis au contrôleur de prendre une place de plus en plus active dans les procédures, jusqu’à l’acceptation de la vision élargie du rôle du contrôleur, voir du baptême du « super contrôleur », pour reprendre les mots du juge Pinsonnault. L’on peut donc s’attendre que cette décision constitue, dans les conditions factuelles appropriées, un nouvel outil disponible aux professionnels de l’insolvabilité pour enquêter sur les actifs des entreprises insolvables.

Informations sur l'affaire

Bloom Lake General Partner Ltd (Arrangement relatif à), 2021 QCCS 2946, demande d'autorisation d'appel auprès de la CA.

CCAA Superior Court of Quebec CCAA Monitor

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