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Commentaire sur la décision rendue par la Cour supérieure dans l’affaire 9006-9311 Québec inc. c. Ville de Boisbriand (2023 QCCS 2109)

Le 13 juin 2023, la Cour supérieure a rendu une décision importante en matière d’appel d’offres et, plus particulièrement, quant à l’opportunité pour un donneur d’ouvrage de corriger certaines informations figurant dans une soumission. 

Les principaux faits de l’affaire :

En 2019, la Ville de Boisbriand (la « Ville ») lance un appel d’offres pour la transformation d’une église en centre de création culturelle. Trois entreprises présentent une soumission, dont la demanderesse, 9006-9311 Québec inc. (« Devcor »), et Groupe Piché Construction inc. (« Groupe Piché »). Devcor présente la soumission la plus basse et Groupe Piché, la seconde, par une faible marge.

Cependant, après leur dépôt, la Ville analyse les différentes soumissions et y corrige des erreurs de calcul, selon elle, présentes dans les différents bordereaux de soumissions. Suite à ces corrections, Groupe Piché se retrouve finalement être le plus bas soumissionnaire par une faible marge et la Ville lui octroie donc le contrat.

Devcor se pourvoit donc en justice contre la Ville aux motifs que cette dernière n’était pas en droit de corriger la soumission de Groupe Piché, et que cette dernière n’était pas conforme aux documents d’appel d’offres.

1) La rectification des calculs par la Ville

La Ville a procédé aux corrections des calculs des bordereaux de soumissions sur la base de l’article 2.10 du cahier des charges, qui autorise une correction du montant total de la soumission en cas d’erreur d’addition ou de multiplication. Cette disposition précise également que le prix unitaire (comparé au prix forfaitaire, qui inclut les frais et le profit) prévaut en cas de divergence.

Les erreurs de calcul alléguées par la Ville venaient du fait que, pour tous les items, il y avait systématiquement une différence de 11,9 % entre le prix unitaire (le coût d’une unité d’un item précis) et le prix total pour ce même item. Le représentant de la Ville s’occupant de vérifier la conformité des soumissions a donc refait les calculs en se fondant sur le prix unitaire et a retranché près de 20 000 $ du prix total de la soumission de Groupe Piché. Or, la Cour fait remarquer que la différence entre le prix unitaire et le prix total s’explique par le fait que Groupe Piché a fait une erreur en remplissant le bordereau et a probablement omis d’indiquer son profit dans le prix unitaire. Ceci explique l’écart systématique de 11,9 % par rapport aux prix totaux.

La Cour en conclut donc que ce n’était pas une erreur de calcul matérielle, mais plutôt une erreur dans l’utilisation du bordereau. Il semblait évident que Groupe Piché voulait inclure ce 11,9 % de profit dans ses coûts. Ainsi, le montant véritable du prix soumis par Groupe Piché se trouvait dans les prix totaux, et non dans le prix unitaire. La Ville ne pouvait donc considérer qu’il s’agissait d’erreurs de calcul au sens de l’article 2.10 du cahier des charges et donc n’avait pas le droit de corriger les prix dans la soumission de Groupe Piché. Devcor était donc le plus bas soumissionnaire et le contrat aurait dû lui être accordé :

[43] Je conclus donc que la Ville ne pouvait se prévaloir de la clause 2.10 du Cahier des charges générales pour modifier le total de la soumission du Groupe Piché quant aux éléments à prix unitaire, puisqu’il ne s’agissait pas là d’une erreur de calcul.

[44] Devcor était donc le plus bas soumissionnaire et le contrat devait lui être octroyé selon les articles 573 et suivants de la Loi sur les Cités et villes, dès lors que sa soumission était conforme.

2) La soumission non conforme de Groupe Piché

Devcor prétendait également que la soumission de Groupe Piché n’était pas conforme, puisque des documents essentiels étaient manquants, tels que les pages des addendas et les bordereaux de scénographie.

La formule de soumission indiquait clairement la liste de documents à être joints à la soumission, sous peine d’irrecevabilité automatique. L’un des premiers éléments de cette liste mentionnait les addendas complétés et paraphés à chaque page par un représentant du soumissionnaire. Il était également demandé de joindre des fiches de détails sur les prix unitaires des éléments de scénographie.

En appliquant les principes établis par la Cour d’appel dans l’arrêt Tapitec, la Cour conclut que le caractère essentiel de ces documents ressortait clairement de la formule de soumission, qui énonçait expressément le caractère essentiel de chaque page de chacun des addendas devant être paraphés ainsi que des fiches détaillées sur les prix unitaires des éléments de scénographie.

En conséquence, ces irrégularités étaient majeures selon le test de Tapitec et, en plus de ne pas être la plus basse, la soumission de Groupe Piché n’était pas conforme.

3) L’appel en garantie du consortium d’architectes

Dans l’éventualité où sa responsabilité serait retenue, la Ville a appelé en garantie le consortium d’architectes (le « Consortium ») l’ayant assisté dans la vérification des soumissions.

La Cour souligne que la première recommandation du Consortium pour le choix du soumissionnaire retenu était Devcor, celle-ci ayant présenté la soumission la plus basse. Le Consortium avait recommandé Groupe Piché dans un second temps, puisque cette dernière était devenue le plus bas soumissionnaire, selon les dires du représentant de la Ville. Or, les modifications aux calculs ont été faites par la Ville et imposées au Consortium, qui était réticent à inverser l’ordre des soumissions sur cette base. La Ville l’a convaincu du contraire en invoquant l’article 2.10 du cahier des charges.

La Cour estime donc que la Ville ne peut reprocher au Consortium d’avoir appliqué cet article 2.10 de façon erronée, étant donné que les représentants de la Ville ont convaincu le Consortium de modifier sa recommandation initiale. En sus, la Ville avait spécifiquement indiqué au Consortium que ses représentants s’occuperaient de vérifier la conformité des soumissions.

Le contrat de services entre la Ville et le Consortium stipule que le Consortium doit analyser les soumissions reçues, mais dans les faits, la Cour constate que le mandat se limitait à la vérification des prix des éléments des bordereaux de soumissions, selon les instructions spécifiques de la Ville.

La Cour note cependant que le fait que le Consortium ait confirmé par courriel la conformité de la soumission de Groupe Piché relève d’une faute professionnelle, mais en déduit que cette faute n’est pas causale au préjudice subi, d’autant plus que parmi les représentants de la Ville se trouvait une avocate, bien mieux placée de par son statut pour constater la non-conformité de la soumission de Groupe Piché.

Ainsi, d’une part, l’analyse de la conformité des soumissions relevait de la responsabilité de la Ville selon ses instructions données, et d’autre part, la Ville était en mesure de constater elle-même la non-conformité de la soumission de Groupe Piché. La Cour rejette donc l’appel en garantie de la Ville contre le consortium d’architectes.

Conclusion

Il faut ainsi retenir de cet arrêt de jurisprudence qu’un donneur d’ouvrage se doit d’agir avec une grande prudence avant d’effectuer des corrections dans les bordereaux de soumissions, et ce, conformément au principe d’égalité des soumissionnaires.

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