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Cesser de travailler à vos risques et périls : Campus Contracting Inc. v. Torbear Contracting Inc.

Déterminer si un entrepreneur ou un sous-traitant a abandonné un projet peut être une question délicate que les propriétaires et les entrepreneurs doivent souvent résoudre rapidement. Heureusement, la Cour supérieure de justice de l’Ontario a récemment donné des lignes directrices à ce sujet dans la décision Campus Contracting Inc. v. Torbear Contracting Inc, 2023 ONSC 6782. La Cour a statué sur la réclamation d’un sous-traitant pour factures impayées après l’arrêt des travaux et, après sept jours de procès, a conclu que le sous-traitant avait abandonné le projet et a refusé sa demande de paiement.  

Principaux enseignements

Avant qu’un entrepreneur ou un sous-traitant n’interrompe les travaux d’un projet de construction en raison d’un prétendu défaut de paiement, il doit s’assurer que le paiement est dû en stricte conformité avec les conditions de paiement du contrat. Toutes les conditions de paiement doivent être remplies. Les exigences en matière de notification doivent être respectées pour justifier les raisons de l’arrêt des travaux. Le non-paiement des factures doit toucher le cœur du contrat pour justifier la décision d’interrompre l’exécution du contrat. Dans le cas contraire, l’entrepreneur interrompt les travaux à ses risques et périls.

Contexte

Torbear Contracting Inc. (« Torbear ») a conclu un contrat avec Campus Contracting Inc. (« Campus ») pour installer des conduites d’eau et d’égout en béton à haute pression sur un site de projet à Vaughan (Ontario) (le « projet »).

Les tuyaux installés par Campus ont à plusieurs reprises échoué aux essais de pression et un différend est apparu quant à la responsabilité de ces échecs. Torbear a reproché à Campus d’avoir installé les tuyaux sur un sol instable. Campus a reproché à Torbear de ne pas avoir rendu le sol propice à l’installation des tuyaux, alléguant que Torbear n’avait pas installé de poutre en béton de soutien ou n’avait pas suffisamment compacté le remblai.

Campus a demandé le paiement de 130 000 $, faute de quoi elle cesserait les travaux. Trois jours plus tard, elle a interrompu les travaux. Torbear a allégué que les travaux de Campus étaient déficients et a réclamé des dommages-intérêts pour les déficiences, les travaux incomplets et les retards dans le projet.[1] Dans les semaines et les mois qui ont suivi l’arrêt des travaux, Campus a présenté d’autres factures à Torbear, dont aucune n’a été autorisée pour paiement par la personne qui autorise le paiement.

Le différend a donné lieu à de multiples poursuites distinctes : une réclamation pour rupture de contrat, une action pour abus de confiance et une autre action au titre de la garantie de paiement de la main-d’œuvre et des matériaux du projet. Cette décision ne portait que sur la question de la responsabilité en cas de bris de contrat dans le premier des trois recours.

Décision

La cour a rendu sa décision sur deux questions principales : 1) si Campus était redevable des montants qu’elle réclamait avant la cessation de ses travaux; et 2) si Campus avait abandonné le projet ou si Torbear avait illégalement mis fin au contrat en refusant de payer Campus. La cour a donné raison à Torbear sur ces deux questions.

Question no 1 : Non-paiement avant l’arrêt des travaux

Campus a été déboutée de sa demande concernant les sommes dues au titre du contrat avant sa cessation des travaux, et ce, pour trois raisons :

  • La facture que Campus a remise immédiatement avant de cesser les travaux n’a jamais été approuvée. Le contrat subordonnait le paiement des factures à l’approbation par personne qui autorise le paiement et la cour a strictement appliqué cette clause. Pour ce faire, elle s’est appuyée sur une décision antérieure de la Cour supérieure de l’Ontario, Pentad Construction v. 2022988 Ontario Inc. qui a statué que de telles dispositions seront appliquées [traduction] « tant que la personne qui autorise le paiement agit de manière équitable, honnête et impartiale et à condition qu’il n’y ait pas de collusion entre le propriétaire et la personne qui autorise le paiement».[2]
  • Elle n’a pas respecté la procédure de paiement contractuelle. Les montants réclamés par Campus le 3 août n’étaient en fait dus que le 30 septembre, soit un mois après son départ du projet. Campus n’a jamais contesté la clause « pay when paid» du contrat, qui subordonnait le paiement à la réception par Torbear du paiement du propriétaire. Il n’y avait pas non plus de preuve que Torbear avait été payée par le propriétaire pour ce montant.
  • Elle n’a pas présenté d’éléments de preuve au procès pour contester le récapitulatif des comptes présenté par Torbear. Ce récapitulatif montrait que le sous-traitant avait effectivement été payé en trop.

Question no 2 : Campus a-t-elle abandonné le projet ou Torbear a-t-elle illégalement résilié le contrat?

La cour a estimé qu’en quittant le projet et en refusant d’y revenir, Campus l’avait abandonné et que Torbear était [traduction] « en droit de résilier le contrat conformément à ses dispositions ». En conséquence, les demandes de paiement de Campus à la suite de son abandon ont été rejetées.

Pour en arriver à sa décision, la cour a examiné le droit de l’abandon tel qu’il a été résumé par le juge associé Albert dans l’affaire D&M Steel v. 51 Construction Ltd. and Jing Yin Temple.[3] La décision D&M soutient la proposition selon laquelle un entrepreneur ne peut recouvrer des sommes impayées à la suite de la répudiation du contrat.

La cour a reconnu que le comportement de Campus équivalait à une rupture de contrat :

  • Campus a exigé le paiement comme condition préalable à la poursuite des travaux avant que de tels montants ne soient dus en vertu du contrat. La cour a conclu que campus n’avait plus les moyens de continuer et voulait [traduction] « sortir de la situation difficile dans laquelle elle se trouvait ».
  • Campus n’a pas donné un avis de 10 jours comme l’exigeaient les modalités du contrat. Cela a confirmé l’opinion de la cour selon laquelle la cessation des travaux par Campus était pour des raisons autres que le non-paiement.
  • Campus n’a pas prouvé que les manquements étaient imputables à Torbear ou à des raisons indépendantes de sa volonté. Campus n’a pas répondu à l’avis de défaut de Torbear et n’a pas remédié à son défaut (ni fourni un échéancier acceptable pour remédier à son défaut) comme l’exigeaient les modalités du contrat.

Réflexions finales

Campus se trouvait dans une situation perdante après avoir été à plusieurs reprises incapable de remédier aux travaux défectueux dans le cadre du projet : elle n’avait pas encore reçu le paiement intégral prévu par le contrat et risquait de perdre encore plus en continuant. Bien qu’il ait pu être financièrement insoutenable de poursuivre le projet, Campus a cessé ses travaux dans des circonstances qui ont rendu ses réclamations vulnérables à un rejet ultérieur.

Cette décision souligne l’importance d’une gestion prudente des contrats au cours des projets, surtout après qu’ils se trouvent en difficulté, afin de préserver tous les recours contractuels disponibles. De nombreux aspects de cette situation semblent avoir échappé au contrôle de Campus, mais cette dernière aurait pu mieux se protéger en se conformant strictement aux termes du contrat. Campus n’avait pas respecté les conditions préalables au paiement prévues par le contrat et n’était donc pas en mesure de justifier son arrêt des travaux sur cette base. En ne répondant pas à l’avis de défaut de Torbear aux termes de modalités du contrat, elle s’est exposée davantage à une résiliation du contrat aux termes de ses modalités.

 

[1] Campus Contracting Inc. v. Torbear Contracting Inc, 2023 ONSC 6782, au paragraphe 3.

[2] Pentad Construction Inc. v. 2022988 Ontario Inc, 2021 ONSC 824 (CanLII) au paragraphe 93.

[3] D&M Steel v. 51 Construction Ltd. and Jing Yin Temple, 2016 ONSC 1335 (CanLII); confirmé par 2018 ONSC 2172 (SCJ), aux paragraphes 58-60.

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