Passer au contenu directement.

Une Province ne peut obliger les fournisseurs de services Internet à bloquer l’accès à des sites web : les communications en ligne sont de compétence fédérale exclusive

Dans l’affaire Procureur général du Québec c Association canadienne des télécommunications sans fil, 2021 QCCA 730, la Cour d’appel du Québec confirme qu’une province ne peut obliger les fournisseurs de services Internet à bloquer l’accès aux sites web de jeux de hasard et d’argent non autorisés. La Cour confirme que la compétence fédérale exclusive sur les télécommunications s’étend aux communications en ligne, clarifiant un flou juridique quant à la compétence constitutionnelle sur l’Internet.

Les faits

Au Canada, les jeux de hasard, les loteries et tirages sont interdits par l’article 206 du Code criminel. Toutefois, en vertu de l’article 207 du Code criminel, les gouvernements provinciaux se voient reconnaître la possibilité de mettre sur pied et d’exploiter une loterie ou de consentir une licence pour ce faire. Au Québec, la mise sur pied et l’exploitation de loteries est déléguée à Loto-Québec, une société d’État.

Le 17 mai 2016, l’Assemblé nationale adopte la Loi concernant principalement la mise en œuvre de certaines dispositions du discours sur le budget du 26 mars 2015, une loi omnibus. Celle-ci contient notamment des dispositions modifiant la Loi sur la protection du consommateur (la « LPC ») en y ajoutant les articles 260.33 à 260.37 qui obligent les fournisseurs de service Internet à bloquer l’accès aux sites de jeux de hasard et d’argent non autorisés, selon une liste de ces sites établie par Loto-Québec. Un des buts apparents du gouvernement est alors de canaliser l’offre de jeu vers un circuit contrôlé, avec l’ambition de lutter contre la diminution graduelle des revenus gouvernementaux.

Quelques mois plus tard, l’Association canadienne des télécommunications sans fil, qui regroupe une vingtaine d’entreprises canadiennes de télécommunications, de radiocommunications et de radiodiffusion, introduit une demande en déclaration d’invalidité.

La décision de première instance

Le 18 juillet 2018, le juge Pierre Nollet de la Cour supérieure invalide l’article 260.35 de la LPC. Le juge Nollet tranche que le « caractère véritable » de la disposition est d’obliger les fournisseurs de service Internet à bloquer l’accès des internautes aux sites de jeux de hasard et d’argent considérés illégaux par Loto-Québec. Même si la disposition est insérée dans la LPC, le juge Nollet est d’avis que le rattachement de la disposition à la compétence provinciale en matière de protection du consommateur est « superficiel, pour ne pas dire opportuniste ». Il tranche que l’article 260.35 tient plutôt des compétences législatives exclusives du Parlement fédéral en matière de télécommunications et de droit criminel. De plus, il ajoute que le blocage d’un signal porte atteinte à la liberté d’expression et que le législateur provincial n’a pas le pouvoir de forcer les fournisseurs de services Internet à contrevenir à la Charte canadienne des droits et libertés.

La décision de la Cour d’appel

Le 5 mai 2021, la Cour d’appel confirme la décision du juge Nollet. Procédant selon la méthodologie consacrée en matière de partage des compétences, elle détermine d’abord que le « caractère véritable » de la disposition législative de la disposition est de permettre à Loto-Québec et à la Régie des alcools, des courses et des jeux d’obliger les fournisseurs de services Internet à bloquer aux citoyens québécois l’accès aux signaux émis par les exploitants de sites de jeux de hasard et d’argent. Une analyse détaillée de la preuve extrinsèque et intrinsèque révèle que l’objet véritable de la disposition n’est pas la protection du consommateur. Quant à l’analyse des effets de la disposition, la Cour d’appel confirme la conclusion de la Cour supérieure suivant laquelle bloquer l’accès aux sites considérés illégaux par Loto-Québec aux seuls citoyens québécois entraînerait des conséquences importantes sur la gestion et les opérations des réseaux et équipements des fournisseurs de services Internet, voire même que ce serait impossible à réaliser.

Ensuite, la Cour d’appel procède à la classification de la disposition, c’est-à-dire à son rattachement à l’un ou plusieurs des champs de compétence législatifs fédéraux ou provinciaux. Pour ce faire, elle survole la jurisprudence de la Cour suprême du Canada et du Comité judiciaire du Conseil privé rendue dans des affaires relatives à la transmission de signaux radio, d’images, d’ondes hertziennes ou autres. Elle conclut alors que la compétence exclusive du Parlement fédéral en matière de télécommunications s’étend aussi à l’émission, la réception et la retransmission de signaux Internet.

Invitée à considérer l’influence évolutive du fédéralisme coopératif sur la Constitution canadienne, la Cour d’appel en nuance la portée. Elle indique que la compétence fédérale en matière de télécommunications a un caractère particulier, dû à sa dimension nationale, qui s’accorde difficilement avec le fédéralisme coopératif.

Vu ces conclusions, la Cour d’appel ne juge ni nécessaire, ni opportun de procéder, comme le juge de première instance, à l’analyse du rattachement de la disposition au droit criminel.

La réglementation provinciale de l’Internet

Doit-on comprendre de cet arrêt que les autres dispositions de la LPC – et même de toute autre législation provinciale de façon générale – ne peuvent s’appliquer sur Internet ? Après tout, cette décision ne jette aucun doute sur le caractère résolument exclusif de la compétence fédérale en matière de télécommunications.

La Cour d’appel alimente la réflexion sur le sujet dans un obiter, où elle écrit qu’il est possible « que la compétence exclusive du fédéral sur les télécommunications ne puisse faire échec à une loi provinciale validement adoptée qui réglementerait certaines opérations ou conduites ayant cours sur Internet, par exemple en vertu de la compétence des législatures sur la propriété et les droits civils. » Elle évoque alors une distinction entre la réglementation de l’Internet comme mode de communication, qui relèverait de la compétence fédérale, et la réglementation du contenu qu’on y trouve. Dans ce dernier cas, les dispositions en cause pourraient, selon les circonstances, relever d’un champ de compétence provincial. La Cour d’appel laisse entendre que ce serait potentiellement le cas en ce qui a trait « à certains aspects de la teneur de contrats conclus en ligne, ou encore à la diffamation. »

Conclusion

Cette décision fait de la Cour d’appel du Québec un des premiers tribunaux canadiens à aborder de front la question de la compétence constitutionnelle sur l’Internet. Elle rappelle aux législateurs provinciaux qui s’attellent à adapter leur législation aux nouvelles technologies que la réglementation des fournisseurs de services Internet en tant que fournisseurs d’accès à du contenu est l’apanage du Parlement fédéral.

Auteurs

Abonnez-vous

Recevez nos derniers billets en français

Inscrivez-vous pour recevoir les analyses de ce blogue.
Pour s’abonner au contenu en français, procédez à votre inscription à partir de cette page.

Veuillez entrer une adresse valide