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Une référence mondiale en matière de divulgation de l’information liée à la durabilité et aux changements climatiques a vu le jour : l’ISSB publie ses normes définitives

Le 26 juin 2023, la publication des normes définitives sur la présentation de l’information financière liée à la durabilité (« IFRS S1 ») et aux changements climatiques (« IFRS S2 ») (collectivement, les « normes ») par l’International Sustainability Standards Board (l’« ISSB »)  a marqué une étape décisive dans la mise en œuvre d’une référence mondiale pour la communication des facteurs ESG. Cette publication définitive marque l’aboutissement de près de deux années de consultations et d’élaboration de normes par l’ISSB, qui a commencé par présenter des prototypes de normes lors de la 26e Conférence des Parties des Nations Unies sur les changements climatiques en novembre 2021. Nos résumés des projets de normes et des autres  développements peuvent être consultés ici, ici et ici.

Les normes visent à servir de référence mondiale pour la communication de l’information financière liée à la durabilité, fournissant un cadre pour la  divulgation d’informations exhaustives, comparables et cohérentes. En considérant et regroupant certains aspects des normes et cadres volontaires obligatoires les plus importants dans les normes, IFRS S1 et IFRS S2 offrent également un consensus souhaité pour les entités qui communiquent leur information, marquant une rupture avec le méli-mélo des régimes de déclaration volontaire et obligatoire. Les normes sont censées être utilisées pour les périodes de présentation de l’information annuelles à compter du 1er janvier 2024.

L’ISSB a clairement accordé la priorité à l’information liée aux changements climatiques puisque les mesures de transition permettent aux entités de commencer à se conformer aux normes à leur première année de divulgation en fournissant uniquement de l’information financière liée aux changements climatiques.

Bien qu’il s’agisse d’une étape importante vers l’établissement d’une référence mondiale, nous n’en sommes pas encore là. Les normes deviendront des exigences réglementaires uniquement  dans les territoires qui choisissent de les adopter. Certains territoires, y compris le Royaume-Uni, se sont déjà engagés à les adopter, tandis que d’autres, y compris le Canada, les examinent ouvertement. Les normes bénéficient déjà d’un soutien international important, notamment de la part de l’Organisation internationale des commissions de valeurs (« OICV »), du Forum économique mondial, du G7, du G20 et du World Business Council for Sustainable Development. Plusieurs parties prenantes au Canada, dont CPA Canada et certains des plus importants fonds de pension du pays, ont exprimé le même enthousiasme à leur égard.

Bien qu’il reste à voir si les normes seront adoptées au Canada, Montréal  est le siège du deuxième bureau principal de l’ISSB, et plusieurs parties prenantes canadiennes de premier plan, dont CPA Canada et certains des plus importants fonds de pension du pays, ont déjà exprimé leur enthousiasme  face à leur adoption au Canada. Les Autorités canadiennes en valeurs mobilières (« ACVM ») et le Bureau du surintendant des institutions financières (« BSIF ») ont également annoncé qu’ils soutiennent le travail de l’ISSB dans l’élaboration d’une référence mondiale en matière de  divulgation de l’information liée aux changements climatiques et ont formulé des commentaires à cet égard. Le Conseil canadien des normes d’information sur la durabilité (le « CCNID »), qui veille à ce que les normes s’harmonisent avec le contexte canadien, a annoncé qu’il était opérationnel à compter de la date de la publication des normes. De plus, les ACVM ont marqué une pause dans la mise en œuvre du projet de Règlement 51-107 sur l’information liée aux questions climatiques (le « projet de règlement »), avec leur cadre amélioré d’information liée aux changements climatiques, et il reste à voir comment les ACVM mettront en œuvre une règle d’information conforme aux normes de l’ISSB. Il est important de noter que les États-Unis n’ont pas adopté les normes d’information financière IFRS, et reste à voir dans quelle mesure, le cas échéant, la SEC adoptera des normes d’information liée aux changements climatiques conformes aux normes de l’ISSB.

Objet et cadre des normes

La communication de l’information importante sur la durabilité et les changements climatiques permet aux intervenants du marché qui utilisent les informations financières, comme les investisseurs et les prêteurs, de déterminer les effets des risques et des opportunités connexes sur le rendement et les perspectives d’une société. Avec l’adoption de normes communes reconnues, les investisseurs seront mieux placés pour comprendre la réponse et la stratégie de la société en ce qui concerne les risques et les opportunités liés à la durabilité et aux changements climatiques, et les sociétés seront tout aussi bien placées pour comprendre les attentes des investisseurs. Ces informations permettront également aux utilisateurs finaux de mieux comprendre les risques et les opportunités liés à la durabilité et aux changements climatiques tout au long de la chaîne de valeur d’une société.

Les normes s’appuient sur les recommandations du Groupe de travail sur l’information financière relative aux changements climatiques (le « GIFCC »), notamment sur l’information relative à ses quatre piliers centraux : 1) la gouvernance; 2) la stratégie; 3) la gestion des risques; et 4) les mesures et les cibles. Elles intègrent également des aspects des cadres volontaires du Sustainability Accounting Standards Board (« SASB ») et du Global Reporting Initiative (« GRI »), entre autres. Dans le cadre des normes, l’information sera importante si [traduction] « l’omission, l’inexactitude ou la dissimulation de cette information est raisonnablement susceptible d’influencer les décisions que les principaux utilisateurs des rapports financiers à usage général prennent en se fondant sur ces rapports ».[1]

Principaux changements apportés aux normes

L’ISSB a communiqué un certain nombre de changements clés intégrés dans les normes définitives, notamment :

I. Importance sur le plan financier

L’information est importante lorsque son omission, son inexactitude ou sa dissimulation pourrait influencer la prise de décision par les principaux utilisateurs des rapports financiers (p. ex., investisseurs, créanciers, actionnaires). Aux termes des normes, les sociétés doivent utiliser des évaluations subjectives et contextuelles fondées sur la situation d’une entité ainsi que des normes propres à un secteur.[2] Les entités doivent communiquer les renseignements importants sur leurs risques et opportunités liés à la durabilité qui pourraient raisonnablement avoir une incidence sur leurs perspectives.[3]

La GRI adopte une double approche fondée sur l’importance relative qui tient compte de l’incidence de l’entité sur l’environnement et la collectivité, peu importe l’incidence sur la valeur de l’entreprise.  Pour l’instant, l’ISSB a écarté ce débat sur l’importance relative.

Par souci de clarté, l’ISSB a expressément limité la portée des normes en précisant que les risques liés à la durabilité et aux changements climatiques dont on ne peut raisonnablement s'attendre à ce qu’ils aient une incidence sur les perspectives d’une entité n’entrent pas dans leur champ d’application.[4]

II. Impraticabilité

Les normes ont introduit le terme « impraticable » dans leur définition. Les exigences prévues par les normes sont impraticables lorsqu’une entité ne peut les appliquer après avoir déployé tous les efforts raisonnables pour le faire. À titre d’exemple, les entités doivent corriger les erreurs importantes au cours des périodes de  divulgation de l’information antérieures en réaffirmant les montants comparatifs pour ces périodes, sauf s’il est impossible de le faire.[5] L’introduction de ce concept pourrait aider à alléger les obligations d’information des petites entités pour lesquelles les coûts et les efforts seraient indûment onéreux.

III. Rapports sur la chaîne de valeur et émissions de GES relevant du champ d’application 1, 2 et 3

Les normes exigent que les entités qui  divulguent l’information évaluent les risques et les opportunités liés aux changements climatiques et à la durabilité dans toute leur chaîne de valeur. En particulier, IFRS S2 exigera la divulgation et la vérification des émissions brutes absolues de gaz à effet de serre (« GES ») conformément à la classification du Greenhouse Gas Protocol:  A Corporate and Accounting Reporting Standard (2004) (protocole sur les GES) des émissions relevant du champ d’application 1, des émissions relevant du champ d’application 2 et, plus particulièrement, des émissions relevant du champ d’application 3 (« champ d’application 3 »), dans la mesure où l’information est disponible sans coût ou effort excessifs.[6]  L’entité qui présente l’information est tenue de tenir compte des 15 catégories du champ d’application 3 énoncées dans la norme Greenhouse Gas Protocol Corporate Value Chain Accounting and Reporting Standard (2011).[7] Les émissions de GES relevant du champ d’application 3 comprennent les biens et services achetés, les déplacements professionnels, les déchets produits dans le cadre des activités commerciales, le transport de produits achetés, les investissements et le traitement en fin de vie des produits vendus.

De manière plus générale, les normes exigent des entités qui présentent l’information qu’elles examinent la façon dont les risques et opportunités pourraient raisonnablement toucher la chaîne de valeur d’une entité, ce que l’ISSB définit comme [traduction] « l’ensemble des interactions, des ressources et des relations liées au modèle d’entreprise d’une entité qui présente l’information et à l’environnement externe dans lequel elle exerce ses activités ».[8]

La divulgation des émissions de GES relevant du champ d’application 3 demeure une question controversée à l’échelle mondiale, avec des régimes volontaires et obligatoires contradictoires (y compris les régimes actuellement proposés).  Par exemple, les ACVM ont proposé une approche de « se conformer ou s’expliquer » pour la divulgation des émissions de GES relevant du champ d’application 3 (en fait, divulguer ou expliquer pourquoi cette divulgation n’est pas incluse) dans le projet de règlement, tandis que le BSIF a mis en place un régime prévoyant la divulgation  obligatoire des émissions de GES relevant du champ d’application  3, et que le projet de règlement proposé de la SEC prévoit la divulgation obligatoire des émissions de GES relevant du champ d’application 3.

IV. Information qualitative et quantitative sur les incidences financières

Les normes exigent la divulgation de l’information quantitative et qualitative lors de l’établissement de rapports sur les incidences financières actuelles ou prévues d’un risque ou d’une opportunité liés à la durabilité, sauf dans certaines circonstances. Par exemple, il n’est pas nécessaire de donner de l’information quantitative sur les incidences financières prévues de ces risques et opportunités s’il est établi que :

  • les incidences ne sont pas identifiables séparément; ou
  • l’incertitude inhérente à une estimation est telle que l’information qui en résulte ne serait pas utile.[9]

IFRS S2 exige maintenant, en ce qui a trait à la présentation de l’information sur les cibles liées aux changements climatiques, que les entités divulguent des détails sur leurs processus et méthodes d’établissement des cibles, y compris leur approche en matière de définition et de révision des cibles et de suivi de ces derniers.[10] Au moment d’établir et de divulguer la mesure servant à fixer une cible liée aux changements climatiques et de mesurer les progrès accomplis, les entités doivent tenir compte de mesures intersectorielles et de mesures sectorielles.[11] Les normes permettent également aux entités de divulguer des chiffres isolés ou des fourchettes lorsqu’elles fournissent de l’information quantitative [12] et, conformément à la méthode de collecte de l’information sur les GES, elles s’attendent à ce que les entités utilisent toutes les informations raisonnables et justifiables à leur disposition à la date de déclaration sans coût ou effort excessif.[13]

V. Analyse obligatoire de scénarios aux termes d’IFRS S2

L’analyse de scénarios, qui permet de tester la résilience des entités face aux changements climatiques et qui a fait l’objet de nombreux débats lors de l’élaboration des régimes d’information au Canada et à l’échelle mondiale, est maintenant obligatoire aux termes d’IFRS S2.[14] Les normes définissent l’analyse de scénarios comme [traduction] « un processus permettant de repérer et d’évaluer une gamme éventuelle de résultats d’événements futurs dans des conditions d’incertitude ».[15] Reconnaissant tacitement que l’analyse de scénarios est souvent critiquée pour être un exercice coûteux et fastidieux, le guide d’application d’IFRS S2 recommande aux entités d’utiliser une approche d’analyse de scénarios [traduction]  « qui est proportionnelle à leur situation » et qui ne nécessite pas [traduction] « de coûts ou d’efforts excessifs ».[16]

En plus d’IFRS S2, IFRS S1 exige des entités qu’elles déterminent si elles utilisent l’analyse de scénarios pour repérer les risques liés à la durabilité et la manière dont elles mènent cette analyse.[17]

L’analyse de scénarios est obligatoire pour les institutions financières sous réglementation  fédérale au Canada pour l’exercice 2024; elle n’est toutefois pas requise dans le projet de règles actuel des ACVM.  Le projet de règle de la SEC exige que les analyses de scénarios soient divulguées si elles sont préparées par l’entité.

Incertitude

Une nouvelle section intitulée « Incertitude relative à la mesure » (Measurement uncertainty) a été ajoutée à IFRS 1. L’ISSB indique qu’une entité doit désormais indiquer les montants présentés qui sont soumis à un degré élevé d’incertitude relative à la mesure.[18] Les incertitudes ont trait aux estimations qui requièrent de la part de l’entité les jugements les plus difficiles, les plus subjectifs ou les plus complexes.[19] Les entités doivent divulguer les sources d’incertitude relative à la mesure ainsi que les hypothèses, les approximations et les jugements qu’elles ont formulés pour mesurer les montants.[20]

Date d’entrée en vigueur des normes

Comme il est indiqué ci-dessus, les normes s’appliquent aux périodes de présentation de l’information annuelles  à compter du 1er janvier 2024. Toutefois, les entités peuvent appliquer les normes pour des périodes antérieures au 1er janvier 2024, pourvu qu’elles indiquent qu’elles le font et qu’elles appliquent simultanément IFRS S1 et IFRS S2.[21]

Période de transition et allègement

L’information à fournir conformément aux normes n’est pas requise pour toute période antérieure au 1er janvier 2024 et l’information comparative n’est pas requise pour la première période de présentation de l’information au cours de laquelle les normes sont appliquées.[22] Au cours de la première période de présentation de l’information conformément à IFRS S1 :

  • les entités doivent faire rapport de leurs informations financières liées à la durabilité en même temps que leur prochain rapport financier intermédiaire à usage général du deuxième trimestre ou du semestre;
  • les entités sont autorisées à fournir de l’information sur les risques et opportunités liés aux changements climatiques uniquement; et
  • les entités ne sont pas tenues de fournir de l’information comparative sur leurs risques et opportunités liés aux changements climatiques.[23]

Les entités qui recourent à la période de transition décrite ci-dessus ne sont pas tenues, au cours de leur deuxième période de présentation de l’information annuelle, de fournir l’information comparative sur leurs risques et leurs opportunités liés à la durabilité, autres que les risques et opportunités liés aux changements climatiques.[24]

IFRS S2 offre également aux entités qui présentent leur information une marge de manœuvre pendant leur première année de présentation de l’information grâce à deux formes d’allègement. En premier lieu, si une entité utilise une autre méthode que le protocole sur les GES pour mesurer ses émissions de GES au cours de la période de présentation de l’information annuelle précédant immédiatement l’application d’IFRS S2, elle peut continuer d’utiliser cette méthode. En deuxième lieu, les entités ne sont pas tenues de déclarer leurs émissions relevant du champ d’application 3 au cours de la première période de présentation de l’information annuelle.

Le mot de la fin

La publication des normes marque une étape importante dans l’élaboration de l’information liée à la durabilité et aux changements climatiques, marquant l’arrivée du premier ensemble complet de normes de référence à l’échelle mondiale. Si elles sont adoptées à grande échelle, les normes permettront aux utilisateurs finaux d’obtenir des informations exhaustives, comparables et cohérentes. L’adoption des normes profitera également aux sociétés qui présentent leur information en simplifiant la préparation des informations à fournir.

Les normes ont été préparées en vue de leur adoption par chaque territoire, et auront force de loi partout où cela se produira, y compris au Canada, où le CCNID a été chargé d’examiner leur harmonisation. Le CCNID étant opérationnel à la date de publication des normes, reste à voir comment le Canada se positionnera dans la marche mondiale vers la présentation de l’information liée à la durabilité. D’autres questions pressantes dans le contexte canadien qui demeurent sans réponse : comment les ACVM harmoniseront-elles les révisions du projet de règlement et les mises à jour du BSIF de la ligne directrice B-15, Gestion des risques climatiques avec les normes? Une chose est claire cependant, les informations liées à la durabilité et aux changements climatiques sont là pour de bon, et les entreprises canadiennes seraient bien avisées de commencer à se préparer à les fournir.

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[1] IFRS S1, par. 18.

[2] IFRS S1, annexe B, B19-22.

[3] IFRS S1, par. 17.

[4] IFRS S1, par. 6; IFRS S2, par. 4.

[5] ISSB S1, par. 83.

[6] IFRS S2, art. 29 a) i), 30.

[7] IFRS S2, annexe B, B32

[8] IFRS S1, annexe A, p. 24.

[9] IFRS S1, par. 38.

[10] IFRS S2, par. 34.

[11] IFRS S2, annexe B, B67

[12] IFRS S1, par. 36

[13] IFRS S2, par. 11.

[14] IFRS S2, par. 22.

[15] IFRS S1, annexe A, p. 24.

[16] IFRS S2, annexe B, B1.

[17] IFRS S1, par. 44 a)ii).

[18] IFRS S1, par. 78 a)

[19] IFRS S1, par. 80.

[20] IFRS S1, al. 78 b)i) et ii).

[21] IFRS S1, annexe E, E1.

[22] IFRS S1, annexe E, E3.

[23] IFRS S1, annexe E, E6.

[24] IFRS S1, annexe E, E6b).

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