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Laissez-passer de santé numériques : prêts pour le décollage ?

L’industrie de l’aviation continue de faire face à un terrain inconnu alors qu’elle est aux prises avec la COVID-19. Compte tenu de la mise en circulation des vaccins contre la COVID-19 et des efforts de vaccination de masse, les industries et les gouvernements évaluent comment faciliter le transport aérien sans risquer la santé publique. Il y a un besoin croissant pour une expérience de voyage sans contact jumelée à une manière de vérifier et de lier l’identité d’un voyageur avec ses statistiques de santé pertinentes. Une identité de santé numérique (parfois désignée comme un passeport d’immunité, un passeport de vaccination, ou un certificat de vaccination et désignée comme un laissez-passer de santé numérique dans ce blogue) pourrait répondre à ces besoins.

Plusieurs pays ont déjà implanté divers degrés de laissez-passer de santé numériques et plusieurs autres envisagent leur utilisation. Israël a introduit en février un laissez-passer de santé numérique, connu sous le nom « Laissez-passer vert » (Green Pass). Les personnes vaccinées et certains patients qui sont rétablis du COVID-19 peuvent télécharger une application (ou imprimer un certificat avec un code QR) qui certifie leur état de santé afin d’avoir accès à divers lieux et installations dans tout le pays. Le 17 mars 2021, la Commission européenne a proposé un certificat vert numérique, similaire à celui d’Israël, afin de faciliter la libre circulation dans l’Union européenne. La Chine a récemment lancé sa version du laissez-passer de santé numérique pour ses citoyens qui voyagent au-delà des frontières. Le premier ministre du Canada a reconnu le 12 mars que le Canada est l’un des nombreux pays qui explorent les exigences de vaccination contre la COVID-19 à imposer aux voyageurs internationaux, mais il est réticent à introduire un laissez-passer de santé numérique au Canada. Le Canada n’a pris aucun engagement à cet égard. D’autres pays, incluant le Danemark, la Suède, la Grèce, la Malaisie et le Bahreïn ont signalé leur intention d’introduire des laissez-passer de santé numériques.

Au fur et à mesure que le mouvement prend de l’ampleur, il sera essentiel de rester à jour avec les développements et les usages des laissez-passer de santé numériques. Si les laissez-passer de santé numériques facilitent effectivement les voyages internationaux, les gouvernements se tourneront probablement vers des organismes fixant des normes tels que l’Organisation mondiale de la santé (l’« OMS ») pour obtenir des directives. Il faudra des normes mondiales pour garantir que les données sur la santé soient :

  • sécuritaires;

  • privées;

  • issues d’une source fiable autorisée par le gouvernement; et

  • liées à l’identité du voyageur par la biométrie.

Dans le secteur du transport aérien, il est envisagé que l’identité numérique aura recours à la biométrie pour confirmer l’identité des personnes et certifier leur état de santé (par exemple, que l’individu identifié a été vacciné adéquatement contre la COVID-19). L’identification numérique amène son lot de problèmes, lesquels doivent être résolus de manière satisfaisante afin que les laissez-passer de santé numériques soient utilisés tel que prévu. Néanmoins, l’industrie du transport aérien a jeté les bases pour l’utilisation de l’identification numérique, ces bases pourraient à leur tour prédire l’intégration des laissez-passer de santé numériques pour l’identification des voyageurs.

L’identité numérique et le transport aérien

L’utilisation de la biométrie pour confirmer l’identité n’est pas un nouveau concept pour l’industrie du transport aérien. Le processus d’Arrivée simplifiée de la Protection des douanes et des frontières américaines (CBP) est une procédure de prédédouanement sans contact et simplifiée qui utilise la reconnaissance faciale à l’aide de données biométriques pour automatiser la procédure douanière à la frontière. Introduite à l’origine dans certains aéroports américains, l’Arrivée simplifiée a été étendue, en décembre 2020, à l’Aéroport international L.F. Wade aux Bermudes et à l’Aéroport international Lynden Pindling à Nassau aux Bahamas. En février 2021, CBP a annoncé que l’Arrivée simplifiée serait implantée à huit emplacements au Canada, en commençant par l’Aéroport international Pearson de Toronto. Alors que l’Arrivée simplifiée vise à renforcer la sécurité nationale, son approche sans contact pour un filtrage de sécurité plus efficace pourrait être un atout pour le transport aérien durant la pandémie du COVID-19.

L’expérience en transport aérien est devenue de plus en plus numérisée, même avant la pandémie du COVID-19. Les documents papier sont facilement perdus, endommagés, égarés et même falsifiés. L’augmentation de la numérisation a pour but d’améliorer les inconvénients commerciaux liés aux documents de voyage papier puisque la numérisation est généralement plus efficace et requière moins de main-d’œuvre. Une identité numérique qui élimine la nécessité de documents de voyage papier pourrait être la prochaine étape logique si la technologie et les règlements appropriés sont mis en place. La COVID-19 a simplement pour effet d’accélérer la demande pour ce type de produit.

Le “Known Traveller Digital Identity" (KTDI) (en français identité numérique connue du voyageur) est une initiative du Forum Économique Mondial conceptualisé en 2015. Il s’agit d’une identité numérique décentralisée et gérée par le voyageur, elle fournit un filtrage et une évaluation des risques avant l’arrivée du voyageur à la frontière. Bien que le KTDI n’ait pas été développé avec la COVID-19 en tête, il fait actuellement l’objet d’un projet-pilote pour tester le concept dans le contexte transfrontalier entre le Canada et les Pays-Bas.

Les produits des laissez-passer de santé numériques et le transport aérien

Il y a de nombreux produits de laissez-passer de santé numériques qui sont à différents stades de développement. Plusieurs sont le résultat d’une collaboration public-privé. Il s’agit de technologies telles que la chaîne de blocs, la cryptographie et les applications de support des appareils mobiles qui peuvent vérifier les informations sur la santé, les conserver en sécurité, et les partager par un code QR. Contrairement au KTDI, celles-ci ont été développées spécialement pour faire face au COVID-19 et conséquemment elles se concentrent sur la vérification de l’état de santé. Toutefois, il y a du potentiel pour que ces produits soient intégrés dans une identité numérique dans le futur. Certains exemples des laissez-passer de santé numériques incluent :

CommonPass : une application qui vise à fournir une plateforme fiable, globalement interopérable pour que les gens documentent leur statut de COVID-19 pour satisfaire aux exigences d’entrée dans les pays, tout en protégeant la sécurité de leurs données de santé. CommonPass a été mis à l’essai sur des vols entre Hong Kong et Singapour, Londres et New York. Plus récemment encore, Qantas Airlines (le transporteur aérien porte-drapeau de l’Australie) a utilisé CommonPass sur un vol entre Francfort et Darwin.

IBM Digital Health Pass: une application et un portefeuille numérique qui permettent aux individus de maintenir et de partager leurs informations personnelles sur leur santé. En plus du transport aérien, cette application vise les employés, les clients et les visiteurs qui entrent dans divers lieux tels les lieux de travail et les stades. Elle est actuellement dans un programme pilote dans l’état de New York et a été utilisée en février et au début de mars cette année pour faciliter l’entrée dans les arénas pour les événements sportifs.

IATA Travel Pass : une initiative menée par l’Association internationale du transport aérien (IATA) qui vise à offrir quatre éléments principaux :

  • un registre mondial des exigences de santé pour entrer dans différents pays;

  • un registre mondial des centres de vaccination et de tests

  • une application qui permet aux laboratoires et centres de tests autorisés de partager de manière sécurisée les résultats avec les passagers; et

  • une application de voyage sans contact que les passagers peuvent utiliser pour partager leurs résultats concernant leur santé et vérifier s’ils rencontrent les exigences de santé nécessaires afin d’entrer à leur destination.

IATA Travel Pass, tout comme le CommonPass, est actuellement mis à l’essai par plusieurs compagnies aériennes.

Considérations techniques

Les pays et les développeurs de produits prennent des approches qui varient quant au laissez-passer de santé numérique et il est peu probable qu’un seul produit sera utilisé mondialement. Pour faciliter un transport aérien harmonieux, les développeurs de produits reconnaissent que le développement rapide de technologie doit être interopérable. Les systèmes doivent être en mesure de fonctionner ensemble au-delà des frontières géographiques, organisationnelles et techniques afin d’échanger et de traiter les données de façon sécuritaire, efficace et précise. Il y a de nombreuses initiatives, telles que Good Health Pass, menées par l’industrie des technologies pour répondre au besoin d’interopérabilité.

Considérations liées à la confidentialité

Les laissez-passer de santé numériques impliqueront la collecte, l’utilisation, le stockage et la divulgation d’informations personnelles. Dans les dernières années, il y a eu une tendance vers des lois sur la confidentialité plus strictes, avec des lois sur la protection des données telles que le Règlement général sur la protection des données (RGPD) de l’Union européenne montrant la voie, et d’autres juridictions, incluant la Californie et la Virginie, ont suivi cette voie. De plus, plusieurs amendements proposés à des lois sur la confidentialité, entre autres au niveau fédéral au Canada, au provincial au Québec et aux États-Unis, compliquent la mosaïque existante d’obligations incohérentes. Un consensus doit être atteint sur la mesure dans laquelle les renseignements personnels sur la santé (et potentiellement d’autres renseignements tels que l’itinéraire de voyage pour le suivi des contacts) peuvent être utilisés pour assurer un voyage en sécurité tout en adhérant aux lois sur la confidentialité qui vont varier entre les pays et les régions.

Autres considérations légales, scientifiques et éthiques

Les laissez-passer de santé numériques vont accorder ou restreindre la liberté sur la base du risque biologique que pose une personne pour elle-même ou pour autrui. Ce risque est mitigé une fois qu’une personne est vaccinée. Cependant, il y a un accès inégal à la vaccination, et certains individus pourraient ne pas être en mesure de recevoir le vaccin pour des raisons de santé, religieuses, ou pour d’autres raisons. Cela pourrait augmenter la discrimination, l’inégalité et restreindre les droits de la personne.

Aussi, il reste encore de l’inconnu scientifique sur l’efficacité du vaccin actuel contre la COVID-19 sur la prévention de la transmission (incluant les variants du COVID-19), et combien de temps et dans quelle mesure les vaccins protégeront les différents groupes de la population.

Normalisation et cadre réglementaire

Bien que la preuve de la vaccination pose des considérations légales et éthiques, il ne s’agit pas d’un concept entièrement nouveau au voyage international. Il existe un Certificat international de vaccination ou prophylaxies, un document papier désigné comme une « carte jaune » qui est une preuve de vaccination contre une maladie. Gouverné par le Règlement sanitaire international (2005) (RSI) de l’OMS, la fièvre jaune est actuellement la seule maladie spécifiée dans le RSI pour laquelle les pays peuvent requérir une preuve de vaccination comme une condition d’entrée. Cela pourrait changer dans le futur.

Le RSI « fournit un cadre juridique global qui définit les droits et obligations des pays dans la gestion des événements de santé publique et des urgences qui ont le potentiel de franchir les frontières ». Un comité RSI d’urgence a été créé pour traiter du COVID-19 (le « Comité RSI ») et à la sixième rencontre du Comité RSI, en janvier 2021, il s’est engagé à :

  • Diriger l’élaboration de normes et d’orientations internationales pour réduire la transmission de la COVID-19 liée aux voyages internationaux;

  • Travailler pour élaborer et diffuser rapidement la position stratégique de l’OMS relative aux considérations juridiques, scientifiques et technologiques liées aux exigences de preuve de vaccination contre la COVID-19 pour les voyageurs internationaux, conformément aux dispositions applicables du RSI;

  • Coordonner avec les parties prenantes pertinentes l’élaboration des normes pour la documentation numérique des mesures de réduction du risque de COVID-19 relié aux voyages, qui peuvent être mises en œuvre sur des plateformes numériques interopérables; et

  • Encourager les États Parties à mettre en œuvre des approches, coordonnées, limitées dans le temps, fondées sur les risques et reposant sur des données probantes en ce qui concerne les mesures sanitaires liées aux voyages internationaux.

Cependant, l’OMS dans son document de position intérimaire publié le 5 février 2021 a réitéré sa position que :

Les autorités nationales et les opérateurs de moyens de transport ne devraient pas introduire d'exigences de preuve de vaccination contre la COVID-19 pour les voyages internationaux comme condition de départ ou d'entrée, étant donné qu'il existe encore des inconnues critiques concernant l'efficacité de la vaccination pour réduire la transmission. En outre, étant donné que la disponibilité des vaccins est limitée, la vaccination préférentielle des voyageurs pourrait entraîner des approvisionnements insuffisants en vaccins pour les populations prioritaires considérées à haut risque de maladie grave à COVID-19. L'OMS recommande également que les personnes vaccinées ne soient pas dispensées de se conformer à d'autres mesures de réduction des risques de voyages. [Traduction]

Cette position a été réaffirmée à la conférence de presse de l’OMS sur la COVID-19 le 8 mars 2021.

Tandis que l’OMS ne supporte pas présentement les laissez-passer de santé numériques pour faciliter le transport aérien, l’OMS a lancé le Smart Vaccination Certificate Working Group afin de créer un consortium multisectoriel (le « Consortium ») pour :

  • Faciliter la surveillance des programmes nationaux de vaccination contre la COVID-19;

  • Soutenir les utilisations transfrontalières conçues pour un potentiel futur dans lequel le vaccin contre la COVID-19 serait inclus dans une version mise à jour du RSI.

Le Consortium travaille vers l’établissement d’un cadre de spécifications et de normes clés pour guider les certificats de vaccination numériques reliés aux systèmes numériques nationaux et transfrontaliers. À mesure que le Consortium travaille afin de parvenir à un consensus sur les normes et une gouvernance communes pour la sécurité, l'authentification, la confidentialité et l'échange de données, il publiera les normes et directives recommandées. Ainsi, bien que l'OMS s'oppose actuellement à l'exigence d'un laissez-passer de santé numérique pour les voyages, elle travaille activement à montrer la voie en établissant des normes mondiales pour la vérification, le partage et l'utilisation des dossiers de santé numériques COVID-19 à d'autres fins.

Points clés à retenir

Avant la pandémie du COVID-19, l’industrie du transport aérien s’orientait déjà vers une expérience sans contact, basée sur l’identification numérique. La COVID-19 et la campagne de vaccination qui a suivi ont accéléré cette innovation. Les associations de l’industrie et les fournisseurs de voyages peuvent avoir des visions précieuses pour contribuer au développement d'un cadre de laissez-passer de santé numériques.

En fin de compte, l'utilisation mondiale des laissez-passer de santé numériques pour faciliter le transport aérien est tributaire de la coopération et de l'assentiment des gouvernements. Bien que cela reste à déterminer, cela pourrait être garanti si une organisation telle que l'OMS ouvre la voie en assurant une supervision et en élaborant des normes fiables.

Le sujet des laissez-passer de santé numériques évolue rapidement. D'autres développements sont attendus au moment de la publication de ce blogue. Restez à l’affût.

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