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Violence conjugale: obligations et responsabilités des employeurs au Québec

La violence et le harcèlement au travail ont fait l’objet d’une  attention médiatique plus accrue au cours des dernières années. Vraisemblablement dans le contexte de cette mouvance, les législateurs fédéraux et provinciaux ont adopté et/ou amendé des législations et règlements afin de mieux encadrer ou encore préciser les obligations de l’employeur en ces matières.

Par ailleurs, la COVID-19 a contraint de nombreux employeurs à déplacer le « lieu de travail », en tout ou en partie, vers le domicile de leurs employés, ce qui a malheureusement coïncidé avec une hausse des taux de violence conjugale à travers le Canada.

Dans ce contexte de modification législative et de hausse du télétravail, nous proposons un tour d’horizon des obligations qui incombent aux employeurs, le cas échéant, à l’égard de leurs employés qui vivent une situation de violence conjugale (ou encore familiale), et ce, à la lumière du cadre juridique préexistant de même que suivant l’entrée en vigueur de nouvelles dispositions.

Obligations générales préexistantes d’assurer la santé et sécurité des travailleurs

Le Code canadien du travail (le « CCT »)[1], auquel sont assujettis les employeurs sous juridiction fédérale, prévoit que l’employeur a l’obligation générale de veiller, sur les lieux de travail, à la protection de ses employés en matière de santé et de sécurité au travail y incluant la prévention du harcèlement et la violence – lesquels sont définis comme « tout acte, comportement ou propos, notamment de nature sexuelle, qui pourrait vraisemblablement offenser ou humilier un employé ou lui causer toute autre blessure ou maladie, physique ou psychologique, y compris tout acte, comportement ou propos réglementaires ».[2] Cette notion de harcèlement et de violence comprend tous les types de harcèlement et de violence, y compris le harcèlement sexuel, la violence sexuelle et la violence familiale,[3] liée à l’occupation d’un emploi régi par le CCT.[4]

De façon similaire, la Loi sur la santé et sécurité au travail (la « LSST »)[5] précise que tout employeur sous juridiction provinciale doit également prendre les mesures nécessaires pour protéger la santé et assurer la sécurité et l’intégrité physique et psychique du travailleur sur son lieu de travail, [6] ce qui inclut la violence et le harcèlement.[7] Aussi, la Loi sur les normes du travail (la « LNT »)[8] définit le harcèlement comme « une conduite vexatoire se manifestant soit par des comportements, des paroles, des actes ou des gestes répétés, qui sont hostiles ou non désirés, laquelle porte atteinte à la dignité ou à l’intégrité psychologique ou physique du salarié et qui entraîne, pour celui-ci, un milieu de travail néfaste ».[9] 

Eu égard à ce qui précède, il est acquis tant sous le prisme du CCT, de la LSST ou encore de la LNT, que l’identité de l’auteur de l’acte répréhensible pouvant entraîner du harcèlement, de la violence ou encore résulter en quelque forme de danger, n’est pas un facteur dans la détermination de la mise en branle des obligations générales précitées qui incombent à l’employeur. Autrement dit, l’employeur a la responsabilité d’assurer la protection et la sécurité de l’employé, peu importe que la personne qui commet les actes de violence ou de harcèlement soit son client, son fournisseur, voir même un conjoint violent, et ce, dès que la manifestation du harcèlement ou de la violence est de nature à avoir un lien avec l’emploi et/ou créer un milieu de travail néfaste.

Quand est-il de la violence conjugale qui se déroule en dehors du travail ?

Le CCT et la LSST définissent essentiellement le lieu de travail comme le lieu où l’employé exécute un travail pour le compte de son employeur[10]. Ainsi, un lieu de travail inclut donc non seulement l’établissement de l’employeur, mais aussi le domicile ou tout lieu ou l’employé exécute son travail[11]. D’ailleurs, depuis le 6 octobre 2021, la LSST explicite que la résidence ou le domicile est bel et bien un lieu de travail[12].

Il ressort donc de ce qui précède que l’obligation générale de prévention précitée, qui est mise en branle sans égard à l’identité de la mise en cause par exemple, est également applicable en ce qui a trait à la résidence d’un employé qui est en situation de télétravail[13], étant par contre entendu que cette obligation de l’employeur de prévenir et de faire cesser la violence ou le harcèlement est limitée par ce qui est directement lié à l’emploi[14].

Un parallèle, certes imparfait avec le constat qui précède, est l’affaire, A.B. c. 9405-2651 Québec inc. (Restaurant Pho-King-Bon),[15] où il était alors question du gérant d’un restaurant ayant commis des attouchements contre l’un de ses employés lorsqu’ils étaient à son chalet. Le tribunal a dans ce contexte rappelé que le fait que l’agression ait eu lieu en dehors de lieux du travail et des heures de travail ne change rien à l’application de la LNT. De même, dans une affaire ou un salarié contestait son congédiement pour avoir notamment proféré des menaces à l’endroit d’une collègue sur un site de clavardage, l’arbitre avait conclu que bien qu’il s’agissait d’une querelle privée, elle visait la relation de la victime avec ses collègues de travail.[16] Le CCT quant à lui précise que l’obligation de l’employeur de prévenir la violence et le harcèlement se limite aux incidents « liés à l’occupation d’un emploi ».[17]

En lien avec les décisions précitées, il convient de réitérer d’une part que le pouvoir disciplinaire d’un employeur peut s’étendre aux gestes posés hors des lieux ou des heures de travail si de tels gestes sont reliés au travail.[18]

D’autre part, il y a également lieu de mettre en perspective que les obligations générales précitées qui incombent aux employeurs en vertu du CCT, de la LSST ou encore de la LNT, en sont de moyens et non pas de résultats[19]. Ainsi, l’employeur se doit de prendre les mesures raisonnables, mais avec la prémisse que l’employeur n’a pas l’obligation de démontrer que ces mesures ont eu le résultat espéré.

Mesures nécessaires : nouvelles dispositions législatives qui visent la violence et le harcèlement

En ce qui a trait à ces mesures qui doivent être mises en place par l’employeur, tant le fédéral que le provincial ont récemment adopté de nouvelles dispositions législatives qui obligent explicites leur forme et substance.

Tout d’abord, le Règlement sur la prévention du harcèlement et de la violence dans le lieu de travail adopté sous l’égide du CCT puis entré en vigueur le 1er janvier 2021 promulgue de nouvelles exigences qui s’articulent notamment autour d’obligations de formation obligatoire, de signalement, de prévention du harcèlement et de la violence, une évaluation initiale du lieu de travail en matière de harcèlement et violence (dans le cadre de laquelle  la violence conjugale comme un facteur externe[20]), ainsi que le contenu minimal obligatoire de la politique. Plusieurs éléments se doivent d’être inclus dans cette dernière politique tels qu’un résumé de la formation qui sera donnée, les mesures de soutien disponible aux employés et un résumé des mesures d’urgence.[21] Conséquemment, un employeur assujetti doit, en cas de violence conjugale qui a un lien avec le travail, procéder à une évaluation des risques et élaborer un modèle de planification de la sécurité au travail dès lors qu’il est mis au courant de cette situation.[22] De plus, l’employeur doit diriger la victime vers des ressources de soutien.[23]

Au niveau provincial, le gouvernement du Québec a adopté en le 30 septembre 2021, la Loi modernisant le régime de santé et sécurité du travail visant la modernisation de la LSST; dans le contexte de ce nouveau paysage législatif, il est désormais précisé que l’employeur a l’obligation de prendre les mesures nécessaires afin d’assurer la protection du travailleur sur les lieux de travail dans le cas d’une situation de violence conjugale lorsqu’il sait ou devrait raisonnablement savoir que le travailleur est exposé à cette violence.[24] Fait à noter, nous anticipons que le langage retenu dans la LSST laisse entrevoir que le régime provincial demande à l’employeur d’être plus proactif afin d’assurer de respecter ses obligations (« sait ou devrait raisonnablement savoir » versus « mis au courant »).

De plus, toujours dans le contexte des modifications apportées à la LSST, l’employeur doit, pour les établissements de 20 travailleurs et plus, dorénavant élaborer un programme de prévention ou un plan d’action qui doit prévoir l’identification et l’analyse des risques liés à la violence, dont la violence conjugale, ainsi que les mesures et les priorités d’action permettant d’éliminer ou, à défaut, de contrôler les risques identifiés.[25] Les risques liés à la violence conjugale doivent donc maintenant officiellement faire partie des programmes de formation et d’information en matière de santé et de sécurité du travail, et ce, dans au fédéral qu’au provincial. [26]

Finalement, nous rappelons que depuis le 12 juin 2018, la LNT prévoit qu’un employé victime de violence conjugale peut s’absenter du travail pour un maximum de 26 semaines sur une période de 12 mois et jusqu’à 104 semaines s’il ou elle est autrement victime d’un préjudice corporel.[27] De son côté, le CCT accorde le droit aux employés de prendre, depuis le 1er septembre 2019, 10 jours de congé par année pour les victimes de violence familiale[28]. De plus, ces employés peuvent obtenir une rémunération pour une partie de leur congé dans certains cas. [29]

Conclusion : mesures qui doivent être mises en place par les employeurs relativement à la violence conjugale

  • Au niveau fédéral : l’employeur doit spécifiquement procéder à une évaluation initiale et une évaluation de risque vis-à-vis le harcèlement et la violence, qui inclut la violence conjugale; adopte une politique de harcèlement conforme au contenu minimal obligatoire, mettre en place un plan de sécurité pour les victimes, intervenir lorsqu’il est mis au courant d’une situation de violence conjugale et mettre à la disposition des victimes des ressources de soutien.
  • Au provincial: l’employeur doit spécifiquement adopter une politique de harcèlement, intervenir lorsqu’il a la connaissance raisonnable de violence conjugale, inclure la violence conjugale dans les programmes de formation liée à la sécurité au travail et pour tout établissement de 20 travailleurs ou plus, mettre en place un programme de prévention ou plan d’action qui considère la violence conjugale.

De surcroît, et afin d’être en mesure de démontrer la prise de mesures visant à prévenir la survenance de situation de violence conjugale en lien avec le travail, il est recommandé d’évaluer l’opportunité de mettre en place les mesures suivantes[30]

  • S’assurer que les établissements sous le contrôle de l’employeur soient aménagés de façon à assurer la protection des employés (ex. : contrôle de l’accès aux lieux de travail, caméras de sécurité, bouton panique, etc.);
  • Assurer la sécurité physique de l’employé victime de violence conjugale en modifiant l’organisation du travail et/ou en lui permettant un horaire de travail à partir du bureau de l’employeur tout en sécurisant les lieux pour prévenir les entrées non autorisées;
  • Former et sensibiliser les employés à la problématique de la violence conjugale et ses manifestations en rendant l’information à ce sujet facilement disponible et en offrant des séances de formation. Cela permet notamment aux employés, cadres et gestionnaires d’être en mesure de bien repérer les signes de la violence conjugale et être mieux outillés pour y faire face;
  • Mettre en place des canaux de communications pour permettre facilement aux victimes de violence conjugale de demander de l’aide, à plus forte raison lorsqu’elles soient confinées ou qu’elles travaillent à partir de leur domicile. Par exemple, les employeurs peuvent établir des codes de communication secrets ou des numéros de téléphone d’urgence;
  • Adopter une attitude d’ouverture et de respect au rythme de l’employé victime de violence conjugale et assurer la possibilité d’un signalement en toute confidentialité; et.
  • Discuter de la violence conjugale afin d’éliminer les stigmates qui y sont associés et afin de rendre les victimes plus à l’aise de dénoncer leur situation.

Pour plus d'informations sur les questions liées à l'emploi dans le cadre de la COVID-19, veuillez consulter notre Centre de Relance sur la COVID-19 et notre Blog McCarthy Tétrault pour les conseillers et conseillères de l’employeur. Si vous êtes un employeur et avez des questions ou aimeriez obtenir notre assistance, n’hésitez pas à contacter l’un des membres de notre groupe national de droit du travail.

[1] Code canadien du travail, LRC 1985, c L-2 [CCT]

[2] Ibid, art 124, 122 (1).

[3]  « Obligations des employeurs pour prévenir le harcèlement et la violence en milieu de travail sous réglementation fédérale », Gouvernement du Canada (29 août 2022), en ligne, : <https://www.canada.ca/fr/emploi-developpement-social/programmes/sante-securite-travail/prevenir-harcelement-violence.html#definition >[Obligations au fédéral];voir aussi « Règlement sur la prévention du harcèlement et de la violence dans le lieu de travail, DORS/2021-130 », Gouvernement du Canada, art, 1 [Règlement]; « Prévention du harcèlement et de la violence dans le lieu de travail (PHV) - 943-1-IPG-104 », Gouvernement du Canada (25 août 2022), article 5, en ligne : < https://www.canada.ca/fr/emploi-developpement-social/programmes/lois-reglements/travail/interpretations-politiques/104-prevention-harcelement-violence.html >[Lignes directrices].

[4] CCT, supra note 1, art. 122.1 («  La présente partie a pour objet de prévenir les accidents, les incidents de harcèlement et de violence et les blessures et maladies, physiques ou psychologiques, liés à l’occupation d’un emploi régi par ses dispositions »).

[5] Loi sur la santé et la sécurité au travail, RLRQ c S-2.1 [LSST]

 

[6] LSST, supra note 5, art. 51 (Ceci comprend maintenant explicitement la violence conjugale, voir l’art. 51 (16))

[7] Ibid, art. 51 (16); voir aussi Solutions E-Cycle inc. et Commission de la santé et de la sécurité du travail, 2015 QCCLP 500; Commission scolaire de Montréal, 2020 QCTAT 825 (CanLII) (Ces  deux décisions traitent de violence et harcèlement au travail dans le cadre de l’article 51 de la LSS).

[8] Loi sur les normes du travail, RLRQ c N-1.1[LNT]

[9] Ibid, art. 81.18

[10] LSST, supra note 5, art.1; CCT, supra note 2, art.122 (1)

[11] Voir  Club des petits déjeuners du Québec et Frappier, 2009 QCCLP 7647.

[12] LSST, supra note 5, art. 5.1; Règlement, supra note 3 art. 1, Lignes directrices, supra note 3, art. 1

[13] LSST, supra note 5, art.  5.1

[14] Voir B. c. 9405-2651 Québec inc. (Restaurant Pho-King-Bon), 2022 QCTAT 2401 , G. S… c. H. F,  2007 QCCRT 295 (CanLII);

[15]  2022 QCTAT 2401,  para 32.

[16] Syndicat des travailleuses et travailleurs de resto-casino de Hull et Hilton Lac Leamy, D.T.E. 2004T-811 (T.A.)

[17] CCT, supra note 1, art. 122.1

[18] G. S… c. H. F,  supra note  14, para 69.

[19] Association accréditée SPGQ et Commission des normes, de l'équité, de la santé et de la sécurité du travail, 2020 QCTAT 1789, paras 51-67.

[20] Voir Règlement supra note 3, art, 5; Lignes directrices, supra note, arts 5.

[21] Voir  Règlement, supra note 3, art. 10 (2).

[22] Voir Lignes directrices, supra note 3, art. 1, art. 5  (L’employeur qui est « mise au courant » doit agir); Règlement, supra note 3, art.  8 (b).

[23] Voir Règlement, supra note 3, arts, 20-22; Lignes directrices, supra note 3, art. 20-22.

[24] LSST, supra note 5, art. 51 (16)

[25] Ibid, art. 58, 59.

[26] Ibid, art. 59 (5)

[27] Voir LNT, supra note 8, art 79.1

[28] Voir CCT, supra note 1,  art 206.7.

[29] Ibid,  art 206.7(2.1).

[30] Obligations au fédéral, supra note 3;« Violence conjugale, familiale ou à caractère sexuel », CNESST (25 août 2022), en ligne : <https://www.cnesst.gouv.qc.ca/fr/prevention-securite/identifier-corriger-risques/liste-informations-prevention/violence-conjugale-familiale-caractere-sexuel>.

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