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À quoi doivent s'attendre les employeurs de compétence fédérale à la suite de l'adoption du projet de loi C-13 relativement aux employés, aux pensions et aux obligations liées à la langue française?

Cet article fait suite à la publication initiale de McCarthy Tétrault intitulée Exigences du projet de loi C-13 concernant l’usage du français au Québec ou dans les régions à forte présence francophone : incidence pour les entités de compétence fédérale au Canada (« survol du projet de loi C-13 ») qui résume les principaux éléments du projet de loi C-13.

La présente publication offre un examen plus approfondi des obligations des employeurs et des répondants des régimes de retraite en vertu de la partie 2 du projet de loi C-13, qui promulgue la Loi sur l’usage du français au sein des entreprises privées de compétence fédérale (ci-après la « Loi »).

La Loi a pour objet de protéger et de promouvoir l’usage du français dans les entreprises privées de compétence fédérale (également appelées ci-après « entreprises fédérales » ou « entreprises ») au Québec et dans d’autres régions du Canada à forte présence francophone. La Loi protège le droit des employés d’entreprises privées de compétence fédérale de travailler en français.

Les entreprises fédérales comprennent les banques, les transporteurs aériens et les services de transport aérien, les services portuaires, les entreprises de transport maritime, les traversiers, les pipelines (pétrole et gaz) qui traversent les frontières internationales ou provinciales, les services postaux et de messagerie, les chemins de fer ou les entreprises de transport routier qui traversent les frontières provinciales ou internationales, y compris les camions et les autobus, les télécommunications, comme les réseaux de téléphone, d’Internet et de câble (à l’exception du secteur de la radiodiffusion).

Lors de son entrée en vigueur (date encore inconnue), la Loi sera initialement applicable aux entreprises fédérales dont le lieu de travail est situé au Québec et aux employés relevant de ce lieu de travail. Le champ d’application devrait éventuellement s’étendre aux régions à forte présence francophone. La définition spécifique de « régions à forte présence francophone » sera déterminée dans les règlements deux ans après l’entrée en vigueur de la Loi. En outre, une fois les règlements publiés, la Loi ne sera pas appliquée aux entreprises fédérales qui comptent moins d’un certain nombre d’employés, comme il sera indiqué dans les règlements à venir.

OBLIGATIONS SPÉCIFIQUES EN MATIÈRE D’EMPLOI

Documents relatifs à l’emploi et communications écrites aux employés : La Loi prévoit actuellement que les employés d’une entreprise fédérale travaillant au Québec ont le droit de travailler et d’être supervisés en français. Ils ont également le droit de recevoir toute communication et toute documentation de l’entreprise en français, notamment :

  • Les formulaires de demande d’emploi.
  • Les offres d’emploi, de mutation ou de promotion. Si une entreprise fédérale publie des documents relatifs au recrutement ou à l’emploi dans une langue autre que le français (par exemple, l’anglais), elle doit également publier ces mêmes documents en français. Les deux versions de la publication doivent être disponibles en même temps et atteindre un public semblable. Cette exigence s’applique à toutes les activités liées à l’emploi, incluant le recrutement, l’embauche, la mutation ou la promotion des employés. L’objectif est de veiller à ce que le français et l’autre langue soient utilisés équitablement et simultanément dans les communications relatives à l’emploi.
  • Les contrats individuels de travail. La Loi établit une distinction entre les contrats de travail qui sont des « contrats d’adhésion » (c.-à-d., des contrats de travail dont le contenu n’est généralement pas négociable, à l’exception de la rémunération) et les contrats qui ne le sont pas. Pour ce qui est des contrats négociables, l’employé et l’entreprise fédérale peuvent décider d’un commun accord que le contrat sera rédigé exclusivement en anglais. Toutefois, dans le cas des contrats d’adhésion, une version anglaise ne peut être fournie que si l’employé et l’entreprise y consentent et si une version française du contrat a déjà été fournie.
  • Les préavis de licenciement.
  • Les documents ayant trait aux conditions de travail (c.-à-d., les politiques et lignes directrices en matière d’emploi, les manuels, les régimes de primes et de commissions, les livrets des régimes de retraite, etc.)
  • Les documents de formation produits à l’intention des employés.
  • Les conventions collectives et leurs annexes et les griefs.

Lorsque l’entreprise fédérale partage des communications ou des documents à large diffusion, l’usage du français doit être au moins équivalent à celui de la langue autre que le français. Bien que plusieurs langues puissent être utilisées, le français doit avoir la même importance.

Quant aux les communications individuelles, les employés ont le droit de recevoir toute communication et documentation en français. Toutefois, cela n’empêche pas une entreprise fédérale de les fournir exclusivement en anglais si l’entreprise et l’employé y consentent.

Enfin, il est important de noter que le droit des employés de recevoir des communications et des documents en français demeure en vigueur même après qu’ils cessent d’être des employés de l’entreprise fédérale. Par conséquent, après la cessation d’emploi, l’entreprise doit continuer de fournir des documents et des communications en français sur demande.

Régime de retraite et avantages sociaux en tant que conditions de travail : Les documents relatifs aux régimes de retraite et autres types de pensions,  aux avantages sociaux, y compris les programmes d’aide aux employés, sont considérés comme des conditions de travail. Conséquemment, comme mentionné ci-dessus, certains documents relatifs à ces conditions de travail doivent donc être disponibles en français.

Les administrateurs de régimes fédéraux qui n’ont pas d’employés au Québec, mais qui ont des employés dans des régions à forte présence francophone auront éventuellement aussi ces obligations.

Obligations de l’employeur en matière de recrutement : Les employeurs peuvent exiger la connaissance d’une langue autre que le français si cela est objectivement nécessaire, c'est-à-dire si le poste exige la maîtrise d’une autre langue, l’employeur peut légitimement l’exiger. Toutefois, l’employeur doit justifier clairement cette exigence linguistique dans les offres d’emploi pour ces postes.

Pour justifier l’exigence linguistique, l’entreprise doit : a) évaluer les besoins linguistiques réels associés au travail à accomplir; b) vérifier que les membres du personnel connaissant la langue requise ne peuvent pas accomplir ce travail; et c) limiter autant que possible le nombre de postes exigeant la connaissance d’une langue autre que le français. L’obligation de justifier l’exigence linguistique ne doit pas être interprétée de manière à imposer une réorganisation déraisonnable des activités de l’entreprise.

Instruments de travail et systèmes informatiques : La Loi établit le droit des employés d’utiliser des instruments de travail et des systèmes informatiques d’usage courant et généralisé en français.

Syndicats : Tout syndicat représentant des employés d’une entreprise fédérale au Québec ou dans une région à forte présence francophone a le droit de recevoir toute communication et  documentation en français. L’entreprise doit veiller à ce que le syndicat puisse exercer ce droit.

Interdiction de traitement défavorable : La Loi prévoit qu’une entreprise fédérale qui a des lieux de travail situés au Québec ou dans une région à forte présence francophone ne peut traiter défavorablement ses employés, ce qui inclut congédier, harceler, déplacer et suspendre un employé ou prendre autres sanctions contre lui.

Comme indiqué ci-dessus, le fait d’exiger d’un employé qu’il connaisse une langue autre que le français n’est pas considéré comme un traitement défavorable si l’entreprise peut objectivement le justifier par la nature du travail et explique les raisons de cette exigence dans les offres d’emploi pertinentes.

OBLIGATIONS RELATIVES À LA FRANCISATION DES ENTREPRISES

Promotion de l’usage du français : La Loi prévoit que les entreprises fédérales qui ont un lieu de travail au Québec doivent prendre des mesures en vue de promouvoir l’usage du français dans ces lieux de travail, notamment :

  • Informer les employés du fait que l’entreprise est assujettie à la Loi.
  • Informer les employés de leurs droits en matière de langue de travail et des recours existants.
  • Établir un comité ayant pour mandat d’appuyer la haute direction dans la promotion et l’usage du français au sein de l’entreprise.

Il convient de noter que la Loi prévoit certaines exemptions et dispositions relatives aux droits acquis.

Les obligations du comité : Le comité appuie la promotion et l’usage du français dans ses établissements au Québec et élabore des programmes ayant pour but la généralisation de l’usage du français à tous les niveaux de l’entreprise. Les programmes ciblent divers aspects du lieu de travail, notamment en veillant à ce que tous les membres de la haute direction et les employés ayant une connaissance du français utilisent activement la langue; en encourageant l’usage du français comme langue de travail et de communication interne; en intégrant le français dans les documents de travail, les outils et les systèmes informatiques utilisés au sein de l’entreprise; en favorisant l’usage d’une terminologie française; et en intégrant le français dans les technologies de l’information utilisées par l’entreprise.

MÉCANISME DE PLAINTES

La Loi prévoit un mécanisme de plaintes pour les personnes qui souhaitent faire valoir leurs droits en vertu de la Loi. Les employés, y compris les anciens employés et les employés potentiels dans certaines circonstances, peuvent déposer une plainte auprès du commissaire aux langues officielles du Canada (ci-après, le « commissaire »). Le commissaire n’a pas le pouvoir de procéder à une enquête de sa propre initiative. Si le commissaire ne peut régler la plainte ou si la nature, la complexité ou la gravité de la plainte l’exige, il peut la renvoyer au Conseil canadien des relations industrielles (ci-après, le « Conseil »).

ANALYSE COMPARATIVE AVEC LA CHARTE DE LA LANGUE FRANÇAISE

La Loi a été adoptée dans la foulée du projet de loi 96 du Québec qui a modifié la Charte de la langue française (la « Charte ») et renforcé les obligations liées à la langue française dans les milieux de travail au Québec.

La Loi prévoit qu’une entreprise fédérale qui a un lieu de travail au Québec peut choisir d’être assujettie à la Loi plutôt qu’à la Charte. Un avis doit être donné quant au choix de l’entreprise d’être assujettie à la Charte ou à la Loi. D’après la Loi et les principes juridiques applicables, nous sommes d’avis que les employeurs de compétence fédérale qui se sont déjà inscrits auprès de l’Office québécois de la langue française (ci-après l’« Office ») pourront se « désinscrire » et opter pour le régime fédéral.

Les principales différences suivantes peuvent influencer le choix d’être assujetti à la Charte ou à la Loi.

Principales différences :

  • Champ d’application : Les obligations en matière d’emploi et de francisation prévues par la Loi s’appliqueront à toutes les entreprises fédérales. Toutefois, le champ d’application en vertu de la Loi pourrait être réduit à la suite de la publication des règlements, aux termes desquels les entreprises fédérales assujetties à la Loi pourraient être limitées à celles qui comptent un certain nombre d’employés. Cela contraste avec la Charte qui impose d’importantes obligations générales en matière d’emploi à toutes les entreprises, sans égard au nombre d’employés, en plus d’imposer des exigences de francisation supplémentaires aux entreprises comptant 50 employés (25 à partir de juin 2025) ou plus.
  • Obligations de francisation : Les obligations de francisation prévues par la Charte sont plus détaillées et plus rigoureuses que celles prévues par la Loi. La Charte prévoit des mesures précises et exhaustives que les entreprises doivent entreprendre dans le cadre du processus de francisation comme l’inscription et la certification auprès de l’Office si elles comptent 50 employés (25 à partir de juin 2025) ou plus au Québec. Pour les entreprises qui comptent 100 employés ou plus au Québec, un comité de francisation doit être créé, tandis que les entreprises de plus petite taille doivent créer un comité si l’Office estime que l’usage du français n’est pas suffisamment généralisé. La Charte précise le nombre de fois par année que le comité doit se réunir, les personnes qui doivent signer les procès-verbaux, à qui ils doivent être envoyés, etc. D’autre part, la Loi adopte une approche plus générale, exigeant que toutes les entreprises créent un comité pour promouvoir l’usage du français sans le même niveau d’obligations d’information ou de surveillance par l’Office, ce qui constitue une différence majeure entre les deux régimes.
  • Mécanisme de plaintes : En vertu de la Charte, les employés alléguant des pratiques linguistiques interdites en milieu de travail peuvent déposer des plaintes auprès de la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST). À l’inverse, la Loi établit un processus de plaintes permettant aux employés de faire valoir leurs droits en matière de langue de travail en déposant une plainte auprès du commissaire. En vertu de la Loi, le respect des obligations de francisation n’est régi que par les plaintes, tandis que l’Office dispose de vastes pouvoirs d’enquête et peut enquêter de sa propre initiative. Le commissaire ne peut pas procéder à une enquête de sa propre initiative.
  • Sanctions en cas de non-respect des obligations de francisation : La Loi ne prévoit pas de pénalités ou de sanctions en cas de non-respect des obligations de francisation. En revanche, le non-respect des exigences de francisation de la Charte peut entraîner des sanctions administratives ou des mesures disciplinaires, y compris la suspension ou la révocation du certificat de francisation, ainsi que des amendes pouvant aller de 3 000 $ à 30 000 $. Les conséquences sont sévères en cas de récidive. Lorsqu’une infraction se poursuit pendant plus d’un jour, chaque jour constitue une infraction distincte. En outre, les entreprises peuvent se voir interdire de passer des contrats avec le gouvernement du Québec en cas de non-respect de la Charte. Ces sanctions sont décrites plus en détail dans le billet de blog de McCarthy Tétrault intitulé Obligations des employeurs en vertu du projet de loi 96 Loi sur la langue officielle et commune du Québec, le français.

En général, la Loi et la Charte ont en commun des obligations en matière d’emploi semblables. Toutefois, elles divergent dans leur traitement des obligations de francisation, des mécanismes de plaintes et des sanctions en cas de non-respect : la Charte adopte une approche, vis-à-vis la francisation, qui est plus exhaustive et plus spécifique et l’Office assure une application plus stricte pour ceux qui ne se conforment pas aux obligations de francisation.

PRINCIPAUX POINTS À RETENIR

L’adoption de la Loi sur l’usage du français au sein des entreprises privées de compétence fédérale aux termes du projet de loi C-13 instaure des obligations linguistiques pour les entreprises fédérales qui ont des lieux de travail au Québec et, éventuellement, dans des régions à forte présence francophone à travers le Canada. Les entreprises fédérales qui exercent leurs activités au Québec doivent être prêtes à respecter les obligations en matière de langue de travail énoncées dans la Loi dès son entrée en vigueur. Il est essentiel que les entreprises qui ont des établissements au Québec comprennent bien les exigences de la Loi et soient proactives dans le traitement des questions liées à la langue française, pour s’adapter sans problème dans le cadre de ce nouveau contexte réglementaire.

Il faut attendre la publication des règlements pour avoir des indications sur l’application de la Loi, sur la définition des « régions à forte présence francophone » et sur le nombre d’employés requis pour que les entreprises fédérales soient assujetties à la Loi.

Pour les entreprises fédérales au Québec, il sera nécessaire d’examiner les similitudes et les différences quand viendra le temps de choisir d’être assujetties à la Charte de la langue française du Québec ou à la Loi. Cette dernière présente des différences importantes en termes de portée, d’application et de mise en œuvre qui doivent être prises en compte lorsqu’une entreprise choisit la compétence à laquelle elle souhaite être assujettie.

Peu importe si un employeur décide de se plier aux exigences fédérales ou québécoises, il devra dorénavant toujours planifier et anticiper la traduction française de sa communication et documentation pour répondre aux exigences de la Loi qui cherche à protéger la langue française au Canada.

McCarthy Tétrault œuvre dans le domaine linguistique juridique accompagné de son équipe MT❯VERSION qui offre le service de traduction juridique à tous ses clients.

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