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La Cour suprême du Canada juge inconstitutionnelle une partie de la Loi sur l'évaluation d'impact

Le 13 octobre 2023, la Cour suprême du Canada a rendu une décision très attendue concernant la constitutionnalité de la Loi sur l’évaluation d’impact (« LÉI ») et du Règlement sur les activités concrètes (« Règlement »). Rédigeant les motifs pour les cinq juges majoritaires, le juge en chef a conclu que le régime des « projets désignés » établi à la LÉI et au Règlement est inconstitutionnel.

Cette décision a des conséquences importantes notamment pour le développement de projets dans les secteurs des ressources naturelles, de l’énergie et des infrastructures au Canada et fournit des indications importantes quant à ce que le gouvernement fédéral peut et ne peut pas faire lors de l'évaluation et de l'approbation de ces projets.

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Contexte

La LÉI, qui a été promulguée en 2019, établit un régime fédéral d'évaluation d’impact au Canada pour les « projets désignés », ainsi que pour les projets réalisés ou financés par les autorités fédérales sur les territoires domaniaux ou à l'extérieur du Canada. Les projets désignés sont des activités concrètes qui sont désignées soit par le gouverneur en conseil en vertu du Règlement, soit par un arrêté du ministre de l'Environnement (le « ministre »). Une fois le projet désigné, l’Agence d’évaluation d’impact du Canada (l’« Agence ») recueille des informations sur le projet et détermine s’il doit faire l'objet d'une évaluation d'impact. Dans l'affirmative, la LÉI exige que les projets fassent l'objet d'une évaluation fédérale détaillée avant d’être sujets à l’autorisation du ministre ou du gouverneur en conseil.

En mai 2022, la Cour d'appel de l'Alberta a conclu que la LÉI et le Règlement étaient ultra vires et inconstitutionnels dans leur intégralité, au motif qu'ils s'immisçaient indûment dans des questions relevant exclusivement de compétences provinciales. Le gouvernement fédéral a fait appel de cette décision en juin 2022 et l'affaire a été entendue par la Cour suprême du Canada en mars 2023.

Analyse

La majorité de la Cour suprême a déterminé que la LÉI contient deux composantes distinctes qui doivent être considérées séparément, à savoir : (A) le régime des projets désignés et (B) le régime relatif à certains projets réalisés ou financés par les autorités fédérales sur un territoire domanial ou à l’étranger.

A) Le régime des « projets désignés »

La majorité a tranché que ce régime, de par son caractère véritable, ne vise pas à réglementer les « effets relevant d’un domaine de compétence fédérale », parce que ces effets ne déterminent pas les fonctions décisionnelles prévues par le régime. La majorité a plutôt déterminé que le caractère véritable de ce régime consiste « à évaluer et à réglementer les projets désignés en vue d’atténuer ou de prévenir les impacts négatifs qu’ils peuvent avoir en matière environnementale, sanitaire, sociale et économique ». Ce caractère véritable ne peut être classé sous les chefs de compétence fédérale. Le Parlement a donc « clairement outrepassé la compétence que lui reconnaît la Constitution en adoptant ce régime des projets désignés ».

Bien que le Parlement ait le pouvoir d'adopter un régime d'évaluation d’impact environnemental, il a également l’obligation de s’en tenir au cadre stable de partage des compétences énoncé dans la Constitution. Si les deux niveaux de gouvernement ont la capacité de réglementer différents aspects d'un projet donné, la Cour a aussi reconnu qu'un chef de compétence peut être plus vaste qu’un autre. Lorsque le Parlement est investi du pouvoir de légiférer à l’égard d’une activité en particulier, il bénéficie d’une latitude considérable pour réglementer cette activité et les effets qu’elle entraîne. En revanche, la compétence du Parlement est plus restreinte lorsque l’activité déborde du cadre de sa compétence législative; dans ces cas, il ne peut valablement légiférer que du point de vue des aspects fédéraux de l’activité, tels ses impacts sur les chefs de compétence fédérale. Une loi fédérale qui n’est pas suffisamment circonscrite — c’est-à-dire dont le caractère véritable consiste à réglementer l’activité en tant que telle, plutôt que ses seuls aspects fédéraux — est ultra vires.

En appliquant ces principes directeurs, la majorité a identifié quatre étapes décisionnelles intégrées au régime de la LÉI et a examiné la constitutionnalité de chacune d'entre elles séparément, à savoir : i) la désignation d’activités concrètes en tant que « projets désignés »; ii) la décision suivant l’examen préalable établissant si un projet devrait faire l’objet d’une évaluation d’impact; iii) la définition de la portée de l’évaluation et les facteurs devant être pris en considération; et iv) la décision prise dans l’intérêt public ainsi que la réglementation et la supervision qui en résultent. 

(i) La désignation d’activités concrètes en tant que « projets désignés »

La majorité a estimé que le mécanisme en vertu duquel les activités concrètes sont désignées et incluses dans le champ d'application de la LÉI n'est pas problématique en soi d'un point de vue constitutionnel. Le fait qu'un projet implique des activités principalement réglementées par les législatures provinciales ne crée pas une enclave d'exclusivité. Exiger une preuve définitive qu'un projet aurait des effets sur des domaines de compétence fédérale avant une étude d'impact porterait atteinte au principe de précaution. La majorité a conclu que le mécanisme de désignation, même s’il n’est pas parfaitement axé sur les effets relevant des domaines de compétence fédérale, est à la fois « nécessaire d'un point de vue pratique et conforme à la Constitution ».  

(ii) La décision suivant l’examen préalable

Bien que tous les projets désignés doivent passer par l’étape préparatoire prévue par la LÉI, ils ne font pas automatiquement l’objet d’une évaluation d’impact. L'Agence est plutôt habilitée, en vertu de la LÉI, à décider si une évaluation d’impact est requise pour un projet en particulier. Conformément à la LÉI, cette décision doit tenir compte de divers facteurs obligatoires, qui sont tous apparemment d'égale importance, et dont deux seulement ont trait à des effets négatifs relevant de la compétence fédérale.

La majorité a déterminé que cette approche est constitutionnellement problématique parce qu'elle permet d'exiger une étude d'impact pour des raisons qui ne sont pas suffisamment liées aux impacts possibles du projet sur les domaines de compétence fédérale. Cette décision doit plutôt être fondée sur la possibilité qu’un projet entraîne des effets négatifs liés aux compétences fédérales.

(iii) La portée de l’évaluation et les facteurs devant être pris en considération

Lorsqu'une évaluation d'impact est requise pour un projet donné, l'article 22 de la LÉI fournit une liste de facteurs qui doivent être pris en compte dans la réalisation de cette étude. L'Alberta a fait valoir que plusieurs de ces facteurs vont considérablement au-delà des matières ayant un lien évident avec la compétence fédérale.

La majorité n'était pas d'accord avec ce point de vue et a noté que le gouvernement fédéral peut recueillir des données relatives à une grande variété de facteurs lorsqu’il effectue une évaluation environnementale. À la lumière de l’interrelation qui existe entre les questions environnementales, il serait à la fois artificiel et incertain, selon la Cour, de limiter les facteurs pouvant être examinés ou pris en compte à ceux qui sont fédéraux. Par conséquent, le niveau de gouvernement qui entreprend une étude d'impact n'est pas limité à l'étude ou à la collecte d'informations sur les effets qui relèvent de sa compétence législative.

(iv) La décision prise dans l’intérêt public

Conformément à la LÉI, le ministre ou le gouverneur en conseil doit décider en dernier ressort si les projets désignés sont ou non dans « l'intérêt public » et peuvent donc être réalisés, sous réserve des conditions spécifiques qui peuvent être imposées par ces autorités. Cette décision d'intérêt public doit prendre en compte plusieurs éléments obligatoires énumérés dans la LÉI et dicte la nature et la portée de la supervision continue d’un projet par le gouvernement fédéral.

La majorité a considéré que la large liste de ces éléments, telle qu'elle figure dans la LÉI,  « représente une usurpation inconstitutionnelle de pouvoir par le Parlement » parce qu'elle transforme ce qui est à première vue une décision sur la question de savoir si les effets relevant d’un domaine de compétence fédérale qui sont négatifs sont dans l’intérêt public en une décision relative à la question de savoir si le projet dans son ensemble est dans l’intérêt public.

À titre d’exemple, l'article 63(a) de la LÉI exige que le ministre prenne en compte la « durabilité » du projet, définie comme sa « [c]apacité à protéger l’environnement, à contribuer au bien-être social et économique de la population du Canada et à maintenir sa santé, dans l’intérêt des générations actuelles et futures ». Ce facteur englobe tous les effets environnementaux, sociaux et économiques, et non pas seulement à l’égard desquels le gouvernement fédéral a compétence. Cela a renforcé la conclusion de la Cour suivant laquelle le caractère véritable du régime ne peut pas être classé sous les chefs de compétence fédérale et que le régime est donc ultra vires.

B) Le régime relatif aux projets réalisés ou financés par les autorités fédérales sur un territoire domanial ou à l’étranger

Comme indiqué précédemment, la Cour a analysé séparément les articles 81 à 91 de la LÉI qui établissent un processus d'évaluation d’impact applicable aux projets réalisés ou financés par les autorités fédérales sur un territoire domanial ou à l'extérieur du Canada.

Selon la majorité, le caractère véritable de ce régime est de « prescrire la manière dont les autorités fédérales qui réalisent ou financent un projet sur un territoire domanial ou à l’étranger évaluent les effets environnementaux négatifs importants que peut avoir le projet ». La constitutionnalité de ce régime n’était pas contestée par l’Alberta et la Cour suprême a confirmé que ces dispositions de la LÉI sont constitutionnelles. À cet égard, la majorité a estimé que le gouvernement fédéral peut tenir compte de tous les effets potentiels des projets qu’il entreprend ou finance et prendre des décisions relativement à ces projets en conséquence.

Motifs dissidents

Dans leur opinion dissidente, les juges Jamal et Karakatsanis ont indiqué être d’avis que l’intégralité de la LÉI et du Règlement était constitutionnelle. Selon eux, la décision suivant l’examen préalable est constitutionnelle parce qu’elle est fondée sur la possibilité que le projet désigné entraîne des effets fédéraux négatifs. Si l’Agence devait exercer son pouvoir discrétionnaire pour exiger qu’un projet peu ou aucunement susceptible d’entraîner des impacts négatifs relevant d’un domaine de compétence fédérale fasse l’objet d’une évaluation d’impact, une telle décision serait déraisonnable et pourrait ferait l’objet d’un contrôle judiciaire.

La minorité a également estimé que le processus de prise de décision dans l’intérêt public était constitutionnel. Au soutien de ce point de vue, elle a noté que la jurisprudence de la Cour suprême reconnaît qu'un processus fédéral d’évaluation environnementale peut comprendre un processus décisionnel intégré qui met en balance autant les préjudices se rapportant à un domaine de compétence fédérale que ceux ne s’y rapportant pas pouvant être causés par un projet désigné, ainsi que tout avantage pouvant découler du projet. Encore une fois, si les autorités fédérales tentaient de s’appuyer sur un effet fédéral négatif négligeable en tant que « cheval de Troie constitutionnel » leur permettant d’effectuer un examen approfondi concernant un projet désigné, l’action fédérale ferait l’objet d’un contrôle judiciaire.

Conclusion

Cette décision aura des conséquences pour les promoteurs dont les projets sont désignés par la LÉI, en particulier les projets en matière de ressources naturelles, d’énergie et d’infrastructure au Canada.

Cette affaire confirme notamment que le gouvernement fédéral a le pouvoir d'adopter des lois générales sur l’évaluation d’impact et d’étudier un large éventail de facteurs dans le cadre de ces évaluations. Toutefois, le régime fédéral d'évaluation des impacts doit être soigneusement conçu pour garantir que seuls les projets susceptibles d’avoir des effets négatifs dans les champs de compétence fédérale sont visés. Lorsque le gouvernement fédéral n'est pas compétent pour une activité spécifique (par exemple les opérations minières), la législation fédérale doit également être suffisamment adaptée pour éviter de réglementer l'activité elle-même et se concentrer plutôt sur les aspects fédéraux de ces activités.

Dans une déclaration publiée le 13 octobre 2023, le ministre fédéral de l'Environnement a pris acte de la décision et a déclaré que le gouvernement du Canada travaillerait rapidement à l'amélioration de la LÉI au Parlement et collaborerait avec les provinces et les groupes autochtones pour garantir un processus d'évaluation des impacts qui fonctionne pour tous les Canadiens. Le ministre a également déclaré que la priorité immédiate du gouvernement sera de fournir des orientations aux intervenants et aux partenaires autochtones afin de garantir autant de prévisibilité possible pour les projets concernés par la décision de la Cour suprême.

Les développements à venir nécessiteront un examen attentif de la part des promoteurs de projets et représentent une occasion unique pour toutes les parties prenantes d'exprimer leurs attentes et leurs préoccupations concernant l'avenir des évaluations d'impact fédérales.

McCarthy Tétrault S.E.N.C.R.L./s.r.l. a représenté deux intervenants devant la Cour suprême du Canada dans cette affaire. Les opinions exprimées dans le présent billet sont celles des auteurs uniquement.

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