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Un rappel important de la Cour d'appel du Québec sur l'importance du lien de causalité dans les actions collectives en matière d'environnement

Le 24 juillet 2023, la Cour d'appel du Québec dans l'affaire Lalande c. Compagnie d'arrimage de Québec ltée, 2023 QCCA 973 a rejeté l'appel d'une décision de la Cour supérieure du Québec qui avait rejeté sur le fond une action collective visant à obtenir une indemnisation en lien avec la présence de grandes quantités de poussière près du port de Québec. [1]  La décision de la Cour d'appel est importante pour deux raisons principales : (1) elle réitère la nécessité de démontrer une contribution significative lorsqu'il s'agit de prouver le lien de causalité dans des affaires impliquant plusieurs défendeurs potentiels et (2) elle limite l'application de la décision de la Cour d'appel du Québec de 2020 Spieser c. Procureur général du Canada, 2020 QCCA 42 concernant l'indemnisation des craintes et des inquiétudes des membres du groupe de développer des problèmes de santé.

Contexte

En 2013, des habitants du secteur résidentiel voisin du Port de Québec (la « Zone ») ont intenté une action collective contre la Compagnie d'arrimage de Québec ltée (la "CAQ") et l'Administration portuaire de Québec (« l’APQ »), réclamant divers dommages en lien avec leur exposition à la poussière dans la Zone. Plus précisément, les demandeurs prétendaient que les activités de manutention en vrac dont les  défendeurs sont responsables ont causé des dépôts de poussière dans les résidences des membres du groupe dépassant le seuil des inconvénients normaux, nuisant ainsi à leur qualité de vie. Les demandeurs ont également fait valoir qu'ils devraient être indemnisés pour leurs inquiétudes et leurs craintes concernant les effets de la poussière sur leur santé.

La question du lien de causalité dans le cadre de la responsabilité sans faute pour nuisance

Au Québec, il existe un régime de responsabilité sans faute pour les troubles de voisinage qui dépassent la limite de tolérance, c'est-à-dire les inconvénients anormaux[2].  Toutefois, si la faute n'est pas un élément nécessaire à ce régime de responsabilité, il faut tout de même établir un lien de causalité. En d'autres termes, il incombe aux demandeurs de prouver que les inconvénients anormaux dont ils se plaignent ont été causées par les actions des défendeurs.

En l'espèce, le principal problème lié à la demande des demandeurs était le fait que la Zone est située dans un environnement urbain avec plusieurs sources de poussière. Bien que le juge de première instance ait reconnu que les habitants de la Zone devaient faire face à des quantités anormales de poussière, l'analyse d'échantillons de poussière a démontré que la contribution des activités portuaires à cette poussière était minime, soit  2,8 % au maximum. En fait, il a été démontré que la poussière était principalement composée de sels de déglaçage et d'abrasifs. Cette preuve a conduit le juge de première instance à conclure que les activités du port ne contribuaient pas significativement à la nuisance dont se plaignaient les demandeurs.

En d'autres termes, les demandeurs tentaient d'imputer aux défendeurs la responsabilité de l'ensemble du problème de la poussière sans démontrer le lien de causalité entre les activités de la CAQ et l'ensemble, ou même la majorité, de la poussière. Les demandeurs ont tenté d'avancer que même si la CAQ n'était pas responsable, à elle seule, d'une quantité anormale de poussière, ses activités représentaient « l’excès » de poussière qui a fait en sorte que la nuisance est devenu anormale. La Cour d'appel n'a pas retenu cet argument, citant la Cour suprême du Canada dans l'affaire Leonati[3] qui a établi le test de la « contribution significative », qui s'applique en droit civil québécois, ainsi que dans les provinces canadiennes de common law. La Cour d'appel a conclu que rien dans la preuve ne permettait de conclure que les activités de la CAQ avaient contribué de façon significative au problème de la poussière.

La demande de dommages moraux pour indemniser les craintes et les inquiétudes des membres du groupe

Le deuxième point à retenir de cette décision est le commentaire de la Cour d'appel concernant la possibilité d'indemniser des craintes ou des inquiétudes. Les demandeurs ne soutenaient pas que la poussière avait causé des problèmes de santé aux habitants de la Zone ; ils affirmaient plutôt que la poussière avait amené les habitants à s'inquiéter et à craindre d'éventuels problèmes de santé à l'avenir.

La Cour d'appel a confirmé que si la crainte et l'inquiétude concernant la santé d'une personne peuvent dans certains cas constituer un préjudice indemnisable, comme cela a été reconnu dans l'affaire Spieser, la barre est haute et  la preuve pour établir un tel préjudice est particulièrement exigeante, en particulier dans le contexte d'une action collective. En effet, chaque membre du groupe peut avoir des niveaux de crainte et d'inquiétude différents en fonction de son  propre niveau de tolérance. Dans l'affaire Spieser, le Directeur régional de la santé publique avait tenu des propos alarmants concernant l'eau contaminée dans les puits du secteur, une interdiction de consommer l’eau des puits avait été décrétée et de l’aide psychologique avait été offerte aux résidents. Le caractère commun des craintes partagées par les membres du groupe avait été jugé clair. En l'espèce, la Cour d'appel a conclu que la situation était complètement inverse : le Directeur régional de la santé publique avait effectivement publié des rapports et des avis démontrant que la poussière n'était pas nocive et ne présentait pas de risque pour la santé.

La Cour d'appel limite donc l'arrêt Spieser, qui ouvrait la porte à l'indemnisation des craintes et des inquiétudes, en précisant que la preuve doit appuyer ces craintes et inquiétudes et qu'elles doivent être communes au groupe.

 

[1] Cette décision est définitive, les demandeurs n'ayant pas demandé l'autorisation de la Cour suprême du Canada d’en appeler. McCarthy Tétrault a agi en tant qu'avocats-conseils pour l'un des défendeurs dans cette affaire.

[2] Voir article 976 du Code civil du Québec; Ciment du Saint-Laurent inc. c. Barrette, 2008 CSC 64, par. 86.

[3] Athey c. Leonati, (1996) 3 R.C.S. 458

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