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P.A. c. Air Canada : La Cour d'appel restreint le groupe pancanadien autorisé à un groupe québécois et ordonne le recouvrement individuel

1. La décision de première instance (P.A. c. Air Canada, 2019 QCCS 606)

En 2019, la Cour supérieure du Québec a rendu jugement au mérite dans l’action collective P.A. c. Air Canada, 2019 QCCS 606. La source du litige était une politique d'Air Canada exigeant que les passagers achètent un billet pour les sièges supplémentaires nécessaires en raison de leur handicap ou de leur obésité. Le demandeur alléguait que la politique était discriminatoire et contraire à la Loi canadienne sur les droits de la personne. Le juge de première instance a accueilli en partie l’action, estimant que la politique d'Air Canada constituait une violation d'une loi d'ordre public, violant ainsi une obligation contractuelle implicite. Cette violation a eu pour conséquence que les membres du groupe aient dû payer leur billet d’avion plus cher, leur donnant ainsi droit à une indemnisation.

Fait intéressant, le juge de première instance a modifié le groupe initialement autorisé, réduisant la portée du groupe pancanadien à un groupe québécois. Le groupe initialement autorisé comprenait toutes les personnes physiques résidant au Canada qui avaient payé un siège supplémentaire pour un vol intérieur en raison de leur handicap ou de leur obésité et toutes les personnes qui avaient payé un siège pour aider les personnes nécessitant un accompagnement en raison d'un handicap.

La loi applicable aux réclamations individuelles était celle de la juridiction dans laquelle le billet avait été acheté. Étant donné la portée pancanadienne du groupe initialement autorisé, le tribunal devait se prononcer sur l'obligation d’indemniser le préjudice en vertu du droit de chaque province canadienne où il y avait eu achat de billets. Or, au procès, le demandeur n'a ni plaidé ni fourni de preuve quant au droit applicable à l'extérieur du Québec. Par conséquent, le juge de première instance a statué uniquement sur les réclamations régies par le droit du Québec, et le groupe a été modifié en conséquence.

Un autre point intéressant de cette décision est le fait que le tribunal ait opté pour le recouvrement individuel. Le juge a conclu que l’estimation des dommages subis par le groupe pancanadien initialement autorisé ne constituait pas une preuve suffisamment spécifique pour permettre un recouvrement collectif pour le groupe québécois. S’ajoutaient à cette difficulté d’appréciation du préjudice les caractéristiques individuelles des membres du groupe, résultant en une variabilité de leur besoin d’accompagnement. Dans ce contexte, une évaluation individuelle afin de déterminer l'admissibilité de chaque individu et le quantum des dommages a été jugée nécessaire.

2. La décision de la Cour d'appel (Air Canada c. P.A., 2021 QCCA 873)

L'intégralité du jugement de première instance a été confirmée en appel. L'appel du demandeur concernant la décision du juge de première instance de restreindre la composition du groupe aux membres qui avaient acheté leur billet au Québec est intéressant. Il a été soutenu que la composition du groupe avait l'autorité de la chose jugée puisque la question avait été décidée au stade de l'autorisation. Il a également été suggéré qu'Air Canada avait le fardeau de prouver l'incompatibilité du droit québécois avec celui des autres provinces, puisque c'est elle qui cherchait à faire restreindre la composition du groupe.

En réponse, le juge Gagnon, écrivant au nom de la Cour, émet une mise en garde : bien qu'une approche généreuse doive être adoptée au stade de l'autorisation, le Code civil du Québec est sans équivoque. La Cour ne peut présumer ou prendre connaissance judiciaire du droit applicable hors Québec qui n'est pas, à tout le moins, plaidé. De plus, en vertu de l'art. 588 C.p.c., le tribunal peut modifier ou diviser le groupe en tout temps, lorsque les circonstances l'exigent.

3. Discussion

La modification du groupe

Ce jugement constitue une mise en garde sévère pour les plaideurs : les questions communes et la composition du groupe définies dans le jugement d'autorisation ne sont pas coulées dans le béton au stade du mérite. En effet, si l'art. 588 C.p.c., qui permet au tribunal de réviser les questions communes et la composition du groupe, est habituellement utilisé avant le procès au mérite, comme moyen de réduire la portée du litige, cette décision rappelle que l'article peut être utilisée par la cour en tout temps et de sa propre initiative. En conséquence, les défendeurs conservent la possibilité de pointer toute lacune dans la preuve administrée au procès, en vue de réduire la portée du groupe et/ou des questions communes.

En l'espèce, les lacunes importantes dans la preuve présentée au procès par le demandeur concernaient le droit applicable aux membres du groupe résidant à l'extérieur de la province de Québec. Au stade de l'autorisation, le fait que les membres putatifs résident dans différentes provinces n'est pas en soi un obstacle à l'autorisation de l’action collective : la Cour peut en effet accepter la preuve du droit applicable dans les provinces de common law ou prendre connaissance d’office de ce droit (2809 C.c.Q.). Seules des différences substantielles entre les régimes juridiques applicables feraient perdre à une action collective son caractère collectif et justifieraient le rejet de la demande d'autorisation. 

Toutefois, cette approche libérale ne prévaut pas au mérite, où le demandeur a le fardeau (i) de démontrer la loi applicable à chaque réclamation et, selon cette détermination, (ii) de présenter la preuve de cette loi.

En l'espèce, la Cour d'appel a confirmé que la loi applicable aux membres du groupe résidant à l'extérieur du Québec est la loi de leur province de résidence, compte tenu de la nature et des circonstances du contrat de vente de billet d'avion.  La Cour d'appel a également confirmé que la présomption prévue à l'article 3113 C.c.Q., qui, selon le demandeur, aurait permis à la Cour d'appliquer la loi du Québec à chaque membre du groupe parce qu'Air Canada a son siège social dans cette province, était refutable et avait effectivement été repoussée.

Cette décision confirme que la loi applicable doit être plaidée, même si c'est à titre d'argument subsidiaire, et qu'une preuve doit être présentée quant à son contenu. Sinon, les plaideurs risquent d'empêcher le juge de première instance de statuer sur des réclamations régies par une loi extraterritoriale, ce qui résulte en des circonstances exigeant la limitation du groupe à un groupe exclusivement québécois.

Recouvrement individuel

La Cour d'appel a également confirmé la décision d'opter pour un recouvrement individuel plutôt que collectif. De l'avis de la Cour, la juge de première instance a bien motivé sa décision, considérant la spécificité de chaque membre du groupe quant à son niveau d'autonomie et des circonstances variables des vols en cause.

La Cour d'appel conclut que le mode de recouvrement ne doit pas entraîner une augmentation aveugle de la charge financière du défendeur (par. 213), ce qui pourrait être le cas lorsque les dommages varient beaucoup entre les membres du groupe et qu'un recouvrement collectif est ordonné. Cette remarque de la Cour d'appel pourrait faire de cette décision un précédent incontournable pour tout défendeur qui s'oppose au recouvrement collectif.

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