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Commentaire sur la décision Bernard c. Collège Charles-Lemoyne de Longueuil inc. – Liberté d’expression et droit d’exclusion

Résumé

Les auteurs résument cette décision rendue le 22 juin 2023 dans laquelle la Cour d’appel maintient le jugement de l’honorable Pierre-C. Gagnon qui avait, notamment, rejeté la demande d’annulation des formulaires d’exclusion des membres et de réouverture de la période d’exclusion. Cette décision s’inscrit dans une action collective autorisée contre l’ensemble des établissements d’enseignement privés de niveaux primaire et secondaire de la Communauté métropolitaine de Montréal et qui visait à obtenir un remboursement partiel des frais de scolarité payés pour l’année scolaire 2019-2020 en raison de la suspension des classes causée par la pandémie de COVID-19.

INTRODUCTION

En première instance[1], le juge avait rejeté la demande d’invalider les formulaires d’exclusion des membres déposée par les demandeurs qui dénonçaient vigoureusement la campagne militante menée par les défenderesses en faveur de l’exclusion des membres de l’action collective. Les demandeurs souhaitaient rouvrir la période d’exclusion afin d’y interdire toute interaction entre les défenderesses et les membres du groupe. La période d’exclusion est en effet cruciale, car elle permet à toute personne éligible d’exercer son droit de s’exclure en tant que membre du groupe.

Insatisfaits des conclusions du juge, les demandeurs en font appel en invoquant le fait que la décision est entachée de plusieurs erreurs. Ils invoquent, notamment, des erreurs dans l’administration de la preuve et dans la conclusion que les communications litigieuses n’étaient pas inappropriées.

Ayant conclu à l’absence d’erreur révisable, l’appel est rejeté à l’unanimité par un banc formé des juges Mark Schrager, Geneviève Cotnam et Stéphane Sansfaçon dans la décision dans Bernard c. Collège Charles-Lemoyne de Longueuil inc.[2].

I– LES FAITS

Les demandeurs sont des parents d’élèves fréquentant les établissements des défenderesses. Ils réclament un remboursement partiel des frais de scolarité payés pour l’année scolaire 2019-2020 au motif que la présence des élèves en classe ainsi que l’enseignement ont été perturbés, entre mars et juin 2020, en raison de la pandémie de COVID-19, et ce, sans que les frais de scolarité aient été ajustés en conséquence. C’est dans ce contexte que l’action collective est autorisée le 16 juillet 2021. L’avis rédigé conjointement par les parties fut approuvé par la Cour qui en ordonne, par la suite, la diffusion par les canaux de communications usuelles entre les parents et les défenderesses. Toutes les défenderesses, sauf sept, ont transmis l’avis dans le délai prescrit. 

Cependant, il appert que plusieurs défenderesses ne se sont pas contentées de transmettre une copie de l’avis par courriel, conformément au jugement sur les avis. Elles ont également saisi cette occasion pour inciter les parents à se prévaloir de leur droit d’exclusion en envoyant un second courriel peu de temps après l’envoi du premier. Ce second courriel pouvait prendre plusieurs formes. Il pouvait s’agir d’un rappel de la date d’exclusion, d’un courriel remerciant les parents s’étant exclus et invitant ceux qui ne s’étaient pas encore prévalus de ce droit de le faire ou d’un courriel soulevant des arguments contre l’action collective. Parmi les arguments invoqués, il est, notamment, question du fait que les défenderesses sont des organismes « sans but lucratif qui mise[nt] sur les frais perçus à chaque année pour boucler [leur] budget d’où l’impact financier négatif advenant condamnation judiciaire à rembourser », que « les parents pourraient se faire facturer des frais additionnels pour couvrir le remboursement [de l’action collective] », qu’« un pourcentage important [du montant du recouvrement de l’action collective] sera perçu par les avocats qui ont entrepris le recours pour leur propre bénéfice » et que des efforts ont été déployés par les défenderesses afin de poursuivre l’enseignement.

Ayant eu vent de ces communications, les demandeurs se sont adressés aux tribunaux afin de faire cesser ces interactions, d’annuler tous les formulaires d’exclusion et de rouvrir la période d’exclusion afin d’y interdire toute communication entre les défenderesses et les membres du groupe. Les défenderesses ont répliqué à cette demande en invoquant, entre autres, leur droit à la liberté d’expression ainsi que l’absence d’intérêt juridique des avocats des demandeurs pour présenter cette demande au nom de tous les membres. Elles ont soumis avoir le droit de s’adresser aux parents visés par l’action collective et de militer en faveur de leur exclusion du groupe en les informant des impacts négatifs de ce recours.

II– LES DÉCISIONS

  1. La décision de la Cour supérieure

D’emblée, la Cour supérieure a rejeté l’argument voulant que les demandeurs n’aient pas l’intérêt juridique requis afin de présenter leur demande. En effet, le juge a retenu que les demandeurs sont en droit de s’adresser à la Cour afin de veiller au bon déroulement de l’instance lorsqu’une difficulté est appréhendée. 

Au sujet du bien-fondé de la demande, le juge a constaté que les tribunaux québécois ne s’étaient jamais penchés directement sur la question de la légalité d’une campagne militante visant à inciter les membres d’une action collective à s’exclure. En effet, les jugements en la matière jusqu’à présent ne faisaient qu’effleurer la question. Ainsi, le juge s’est inspiré de la jurisprudence ontarienne et américaine, plus particulièrement des enseignements du juge Paul M. Perell de la Cour supérieure de l’Ontario dans le jugement Del Guidice c. Thompson[3], dans le but de fournir des balises pour encadrer les interactions entre les membres du groupe et les différentes parties. L’absence de divergences fondamentales entre le droit ontarien et le droit québécois sur la question du droit d’exclusion justifiait, selon le juge, l'application au Québec des enseignements développés en Ontario. Sous la plume du juge Pierre-C. Gagnon, la Cour supérieure a donc édicté les principes suivants :

  • Le défendeur peut jouir de sa liberté d’expression en s’adressant aux membres du groupe. Cette liberté n’est évidemment pas absolue. Elle doit être exercée à bon escient.
  • Des comportements intimidants ou menaçants qui constitueraient de la désinformation ou de la fausse représentation doivent être sanctionnés.
  • Pour qu’une demande d’annulation d’avis, d’interdiction de communication et de reprise du processus d’exclusion soit accordée, le demandeur doit démontrer que les limites ont été franchies par le défendeur. De vagues craintes ou appréhensions ne sont pas suffisantes.
  • Le défendeur prudent qui souhaite contacter les membres du groupe devrait préalablement consulter la partie adverse et, s’il y a lieu, soumettre tout désaccord entre les parties à la Cour afin qu’elle puisse trancher.
  • Que ce soit avant ou après l’autorisation de l’action collective, le défendeur n’a pas l’obligation de consulter le demandeur avant de communiquer avec les membres du groupe. Toutefois, s’il ne le fait pas, il court le risque que le tribunal intervienne après coup et impose des correctifs pour protéger les intérêts légitimes des membres. À cet effet, la Cour dispose de vastes pouvoirs discrétionnaires, pour s’assurer du déroulement adéquat de l’action collective. Le juge ne précise pas si ce principe s’applique également après la fin de la période d’exclusion.

En l’espèce, les demandeurs devaient démontrer que les communications des défenderesses étaient inappropriées et représentaient des moyens de pression indus ou de la coercition. Bien que certaines communications se situaient, selon la Cour, à la limite de ce qui est acceptable et que le nombre d’avis d’exclusion déposés au greffe était important, cette dernière conclut néanmoins que les demandeurs ne sont pas déchargés de leur fardeau par de la preuve recevable. En effet, le simple fait de présenter des courriels reçus par l’avocat des membres sans que personne ne témoigne ou ne signe de déclaration assermentée faisant état de comportements menaçants, intimidants ou trompeurs subis est nettement insuffisant. Le ouï-dire demeure irrecevable en preuve.

Cependant, le juge ordonne la réouverture de la période d’exclusion pour une des défenderesses qui n’a pas transmis l’avis aux membres dans le délai prescrit. 

  1. La décision de la Cour d’appel

La Cour d’appel débute son analyse par un rappel important de la nature particulière du véhicule procédural qu’est l’action collective et du pouvoir de supervision de la Cour afin d’en assurer l’intégrité. Ainsi, toute partie qui estime qu’il y aurait « rupture dans l’équilibre voulu par le législateur » est légitimement en droit de s’adresser à la Cour afin d’obtenir le remède approprié.

Quant à la conclusion du jugement de première instance au sujet de l’insuffisance de la preuve requise pour faire droit à la demande des demandeurs, la Cour conclut qu’il y a lieu d’y faire déférence en raison de l’absence d’erreur déterminante. En effet, les preuves produites au soutien de la demande sont divers courriels qui ne fournissent aucunement les garanties suffisamment sérieuses requises par l’article 2870 du Code civil du Québec[4] afin d’être admissibles.

Au sujet de la teneur des communications entre les défenderesses et les membres du groupe, la Cour d’appel rappelle qu’aucune disposition législative n’encadre ces interactions de façon expresse. Toutefois, elle réitère une limite imposée dans l’arrêt Filion c. Québec (Procureure générale) : les défenderesses ne peuvent pas s’adresser directement aux membres à la suite de la fin de la période d’exclusion[5]. En ce qui a trait aux communications qui ont lieu pendant la période d’exclusion, la Cour d’appel conclut qu’elles doivent être permises si elles respectent « cet équilibre fragile entre la liberté d’expression [...] et les principes inhérents au régime de l’action collective ». Dit autrement, la Cour reconnaît la pertinence de ces communications si elles remplissent l’objectif d’informer les membres afin qu’ils puissent prendre une décision libre et éclairée de participer ou non à l’action collective. Les tribunaux pourront sanctionner toute démarche ou tout message assimilable à de la désinformation, à des menaces, à une quelconque forme de coercition ou qui compromet d’une autre manière l’intégrité du processus d’exclusion.

III– LE COMMENTAIRE DES AUTEURS ET LA CONCLUSION

La décision commentée est l’une des rares au Québec où l’on aborde la possibilité pour un défendeur de communiquer, pendant la période d’exclusion, auprès des membres afin de les encourager à s’exclure. Dans Trottier c. Canadian Malartic Mine[6], la Cour d’appel avait permis à une défenderesse de soumettre des offres individuelles de règlement à l’amiable avant la fin de la période d’exclusion. La décision à l’étude élargit donc la portée de cet arrêt. Les défenderesses peuvent également communiquer directement avec les membres du groupe dans le but de tenter de les convaincre de s’exclure, dans la mesure où cette communication vise à faire valoir des arguments valables et non à exercer de la pression indue sur les membres, les désinformer ou les menacer. 

À l’ère du numérique où les communications par courriel et via les réseaux sociaux sont la norme, l’affaire commentée permet enfin d’avoir des balises claires en ce qui concerne les communications entre les membres du groupe et les défenderesses. Les lignes directrices claires et précises fournies par les jugements sont précieuses. Elles apportent un éclairage important, voire même nécessaire, afin d’encadrer des interactions qui pourraient se multiplier entre les parties et les membres du groupe lors de la période d’exclusion. Ainsi, la jurisprudence ontarienne et américaine n’est plus la seule à fournir des solutions.

Nous sommes toutefois d’avis que cet arrêt ne devrait pas « ouvr[rir] une brèche susceptible d’influencer durablement la dynamique des actions collectives au Québec », comme le prétendaient les appelants. En effet, le contexte très particulier de cette affaire, où les défenderesses, à titre d’établissements scolaires fréquentés par les enfants des membres du groupe, ont une relation assez unique et privilégiée avec ces derniers, faisait en sorte qu’il était normal et même habituel que les parties communiquent entre elles en parallèle du processus judiciaire. Il eut été curieux que les défenderesses soient totalement silencieuses eu égard au processus judiciaire en cours. Ce canal de communication préexistant et usuel, ainsi que le haut degré de familiarité entre les parties, n’existe pas dans la plupart des actions collectives, quelle qu’en soit la matière. Ainsi, même s’il est possible qu’à l’avenir certaines défenderesses soient tentées de mettre en place des campagnes d’information visant à inciter l’exercice du droit d’exclusion, il est fort à parier que ces communications seront sobres et informatives. Compte tenu des balises mises en place par les jugements et du pouvoir d’intervention de la Cour, il serait très maladroit pour une défenderesse de penser qu’une communication menaçante et intimidante lui procurera un quelconque avantage.

 

* Me Samuel Lepage est associé au sein du même groupe. Sa pratique couvre les domaines du litige civil et commercial, le litige immobilier, les litiges transfrontaliers et multijuridictionnels ainsi que les actions collectives. Me Bianca Annie Marcelin est sociétaire au sein du groupe de litige chez McCarthy Tétrault. Sa pratique très variée porte sur le litige civil et commercial, le droit immobilier, les actions collectives, le droit pénal de même que la responsabilité professionnelle et médicale.

[1] Bernard c. Collège Charles-Lemoyne de Longueuil, 2022 QCCS 555.

[2] 2023 QCCA 854, EYB 2023-527203.

[3] Del Giudice c. Thompson, 2021 ONSC 2206.

[4] Voir art. 2870 C.c.Q. : « La déclaration faite par une personne qui ne comparaît pas comme témoin, sur des faits au sujet desquels elle aurait pu légalement déposer, peut être admise à titre de témoignage, pourvu que, sur demande et après qu’avis en ait été donné à la partie adverse, le tribunal l’autorise.

Celui-ci doit cependant s’assurer qu’il est impossible d’obtenir la comparution du déclarant comme témoin, ou déraisonnable de l’exiger, et que les circonstances entourant la déclaration donnent à celle-ci des garanties suffisamment sérieuses pour pouvoir s’y fier.

Sont présumés présenter ces garanties, notamment, les documents établis dans le cours des activités d’une entreprise et les documents insérés dans un registre dont la tenue est exigée par la loi, de même que les déclarations spontanées et contemporaines de la survenance des faits. »

[5] Filion c. Québec (Procureure générale), 2015 QCCA 352.

[6] Trottier c. Canadian Malartic Mine, 2018 QCCA 1075.

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