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Une municipalité dispensée de l'obligation de consulter les Premières Nations Neskonlith Indian Band v. Salmon Arm (City), 2012 BCSC 499

Le 4 avril 2012, la Cour suprême de la Colombie-Britannique a jugé que la municipalité de Salmon Arm n'était aucunement tenue, sur le plan constitutionnel, de consulter la bande indienne de Neskonlith (Bande) au sujet de la délivrance d'un permis d'aménagement. Ce faisant, la Cour détermine avec certitude les circonstances dans lesquelles s'exerce la responsabilité constitutionnelle de consulter les Premières Nations.

Depuis 2004 et la décision historique de la Cour suprême du Canada dans l'affaire Nation haïda c. Colombie-Britannique (Ministre des Forêts) (Nation haïda)1, force est de constater que la Couronne est tenue, sur le plan constitutionnel, de consulter les Premières Nations dès qu'elle envisage une décision pouvant porter atteinte aux droits ou titres ancestraux revendiqués. L'obligation de consulter les peuples autochtones découle du principe de l'honneur de la Couronne, lequel oblige celle-ci à consulter, s'il y a lieu, les Autochtones pendant le processus de négociation des revendications et à prendre en compte leurs intérêts afin que ceux-ci ne soient pas lésés en attendant le règlement des revendications en question.

Dans l'affaire Neskonlith, la Cour a examiné si cette obligation pouvait également s'appliquer autant à une municipalité qu'à la Couronne fédérale ou provinciale. Même si d'autres décisions rendues en Colombie-Britannique ont envisagé la question à divers degrés2, le cas Neskonlith fait face au problème sans équivoque.

Rappelons les faits. La Bande a présenté une requête en vue d'annuler le permis d'aménagement d'une zone dangereuse pour l'environnement, délivré par la municipalité de Salmon Arm à Salmon Arm Shopping Centres Limited, un promoteur immobilier souhaitant construire un centre commercial sur un terrain qu'il détenait en fief simple. Le permis a été délivré conformément à l'autorisation accordée par la Local Government Act de la Colombie-Britannique (partie 26). Il fallait un permis dans ce cas précis, car le projet immobilier se trouve sur une plaine inondable, ce que la municipalité considère comme une zone dangereuse pour l'environnement et donc visée par un permis d'aménagement.

La Bande a fait valoir que la municipalité était tenue, sur le plan constitutionnel, de la consulter avant de délivrer le permis d'aménagement et qu'elle avait négligé de le faire. La Bande a soutenu que la partie 26 de la Local Government Act a pour effet de déléguer la responsabilité des décisions portant sur l'utilisation du sol aux municipalités sans surveillance aucune de la province et qu’une telle délégation de pouvoir doit respecter le principe de l'honneur de la Couronne. À défaut, la province pourrait, selon la Bande, se soustraire à ses responsabilités constitutionnelles. La Bande a établi un parallèle avec la jurisprudence de la Charte canadienne des droits et libertés (Charte) : de même qu’elles sont soumises à la Charte, les municipalités devraient être tenues, sur le plan constitutionnel, de consulter.

La municipalité et le promoteur immobilier ont fait valoir qu'en droit, la municipalité ne pouvait pas être tenue, sur le plan constitutionnel, de consulter. Le promoteur a également invoqué des moyens subsidiaires selon lesquels une obligation de consulter n'aurait pas pu s'appliquer compte tenu des circonstances particulières de l'affaire et que même dans le cas contraire, l'obligation avait été remplie de toute façon.

Dans une décision claire et concise, monsieur le juge Leask a rejeté la requête de la Bande. D'après lui, la municipalité n'était pas tenue, sur le plan constitutionnel, de consulter la Bande. La Cour a confirmé le principe énoncé dans l'affaire Nation haïda, à savoir que le respect du principe de l'honneur de la Couronne ne peut être délégué. Elle a également rejeté le moyen invoqué par la Bande selon lequel une entité habilitée à prendre des décisions pouvant peser sur les droits des Autochtones avait systématiquement l'obligation de consulter. La Cour n'a pas non plus été convaincue par le parallèle avec la jurisprudence de la Charte. Elle a fait remarquer les différences fondamentales entre les droits protégés par la Charte et les droits des peuples autochtones protégés par l'article 35 de la Loi constitutionnelle.

La Cour n'a pas rejeté la possibilité que les municipalités puissent, dans certaines situations, être assujetties à l'obligation de consulter. Le juge Leask s'est appuyé sur la décision de la Cour suprême du Canada dans l'affaire Rio Tinto Alcan Inc. c. Conseil tribal Carrier Sekani3, qui explique les modalités de délégation des pouvoirs de consultation à un tribunal administratif. Il a fait remarquer que certains aspects de l'obligation de consulter pouvaient, en théorie, être délégués aux municipalités, mais pour que la province agisse en ce sens, le pouvoir en question doit être explicitement ou implicitement conféré par la loi. Dans l'affaire Neskonlith, la Bande n'a pas fait valoir que la Local Government Act prévoyait cette obligation expresse ou implicite de délégation des pouvoirs de consultation.

À l'heure actuelle, nous ignorons si la Bande portera le jugement en appel. Dans l'état actuel des choses, la décision réaffirme les principes énoncés dans l'affaire Nation haïda et permet de mieux définir les limites de l'obligation constitutionnelle de consulter et les circonstances dans lesquelles elle s'exerce. Elle devrait également rassurer quelque peu les municipalités et les promoteurs immobiliers quant aux futures opérations de promotion immobilière dans la province, à tout le moins à court terme.


1 2004 CSC 73

2 Voir Gardner v. Williams Lake (City), 2006 BCCA 307, Adams Lake Indian Band v. British Columbia (Lieutenant Governor in Council), 2011 BCSC 266, et Musqueam Indian Band v. Richmond (City), 2005 BCSC 1069.

3 2010 CSC 43

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