Passer au contenu directement.

Seule la connaissance réelle suffira : la Cour d’appel de l’Ontario clarifie et limite la responsabilité des banques envers les non-clients

En raison de leur grande capacité de payer, les banques constituent des cibles de choix lorsqu’une personne subit une perte mais ne peut la recouvrer auprès de la personne qui a causé la perte. Cependant, une récente décision rendue par la Cour d’appel de l’Ontario dans l’arrêt Dynasty Furniture Manufacturing Ltd. v. The Toronto-Dominion Bank, 2010 ONCA 514 (disponible en anglais seulement) pose de sérieux obstacles aux non-clients qui tentent de soutirer d’importantes sommes d’argent à une banque. Il a été conclu dans l’affaire Dynasty Furniture que l’étendue de la responsabilité d’une banque envers les non-clients est extrêmement restreinte. Une banque n’encourt une responsabilité envers des tierces parties qui ont subi un préjudice en raison de l’activité d’un client que si elle avait une connaissance réelle (y compris l’aveuglement volontaire et l’imprudence) des activités illégales de son client. La simple négligence de la banque n’est pas suffisante. Il s’agit d’un jugement important pour les banques canadiennes, qui devrait être un sérieux moyen de dissuasion pour ceux qui songent à poursuivre des banques pour profiter de leur grande capacité de payer.

Dans l’affaire Dynasty Furniture, les demandeurs ont allégué qu’ils avaient perdu des sommes d’argent en raison d’une fraude. Puisqu’ils étaient incapables de recouvrer leur perte auprès des auteurs de la fraude, ils ont poursuivi une banque qui avait fourni des services d’opérations par correspondant bancaire aux fraudeurs présumés, alléguant que la banque avait une obligation étendue de diligence procédant du droit de la négligence envers les demandeurs même si les demandeurs ne traitaient pas directement avec la banque. En substance, les demandeurs ont allégué que la banque aurait dû détecter la fraude (même si le principal organisme de réglementation, la Securities and Exchange Commission des États-Unis, n’avait pu le faire) et geler les comptes bancaires pertinents.

Les répercussions de l’obligation de diligence prétendue par les demandeurs seraient très graves. L’obligation proposée exigerait effectivement des banques qu’elles supervisent constamment les activités de tous leurs clients pour déceler des signes de toute mesure suspecte. Si un tribunal concluait qu’une banque aurait dû être en mesure de détecter une fraude mais ne l’avait pas fait, cela pourrait entraîner une responsabilité de plusieurs milliards de dollars.

La banque a répondu avec une requête pour radier la demande introductive d’instance puisque celle-ci invoquait une obligation de diligence fondée sur la connaissance par interprétation par opposition à la connaissance réelle. En d’autres mots, la banque a reconnu que, si elle avait eu une connaissance réelle que son client participait à une fraude, elle aurait pu être responsable envers les victimes de la fraude qui n’étaient pas ses clients. La banque contestait toutefois la capacité des demandeurs d’intenter une poursuite au motif que la banque n’avait pas réellement connaissance de la fraude mais qu’elle aurait du le savoir.

En donnant des motifs de jugement très détaillés (2010 ONSC 436), le juge Wilton-Siegel de la Cour supérieure de justice de l’Ontario (division commerciale) a accueilli la requête en première instance. Il a d’abord conclu, en appliquant le critère visant à déterminer si un devoir de diligence existe en responsabilité délictuelle utilisé dans les affaires Anns/Cooper (Anns v. Merton London Borough Council, [1978] A.C. 728 (H.L.) et Cooper v. Hobart, [2001] 2 S.C.R. 2), que l’obligation de diligence alléguée ne relevait d’aucune catégorie de négligence reconnue. Il a par la suite appliqué le critère en deux étapes à l’égard d’une nouvelle obligation de diligence. Il a d’abord conclu qu’il y avait une proximité insuffisante entre la banque et les demandeurs pour donner lieu à une obligation contractuelle de diligence à première vue. Il a conclu en deuxième lieu que, même si une obligation de diligence à première vue survenait, elle serait annulée pour des considérations de politique judiciaire. Il a invoqué un certain nombre de considérations d’ordre politique pour en arriver à sa conclusion. L’obligation proposée par les demandeurs pourrait entraîner une obligation indéterminée pour une catégorie indéterminée. L’obligation ferait en sorte que les banques deviennent des autorités de réglementation, un rôle superflu lorsqu’un régime de réglementation bien élaboré existe déjà. S’acquitter de l’obligation entraînerait des activités d’enquête à l’échelle internationale bien au-delà des capacités d’une seule banque puisque plusieurs fraudes dépassent le cadre strictement national. L’obligation proposée ferait en sorte que les banques deviendraient les assureurs de ceux qui investissent avec les clients des banques.

En appel, la Cour d’appel de l’Ontario a confirmé intégralement la décision de la Cour supérieure. La Cour d’appel a conclu que, lorsqu’elle ouvre un compte pour un client, une banque n’a pas d’obligation envers un non-client de s’assurer que le compte ne sera pas utilisé à une fin illégale. Elle a de plus conclu qu’une banque n’a pas d’obligation envers les non-clients d’enquêter relativement aux activités de ses clients parce qu’elle aurait dû savoir que ces activités étaient suspectes, inhabituelles ou frauduleuses.

Remarques de McCarthy Tétrault 

La décision rendue dans l’affaire Dynasty Furniture constitue un jugement extrêmement important et bien accueilli par les banques canadiennes. Il a clarifié le fait qu’une banque n’a pas d’obligation de diligence envers des non-clients sauf lorsque la banque a une connaissance réelle que l’un de ses clients exerce une activité illégale. Il s’agit d’un fondement extrêmement étroit pour la responsabilité et devrait être un sérieux moyen de dissuasion pour les demandeurs qui cherchent à poursuivre les banques en raison de leur grande capacité à payer lorsqu’ils ne peuvent recouvrer les pertes auprès des personnes qui les ont causées.

Communiquez avec l'auteur ou Junior Sirivar

Auteurs