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Re Indalex Limited : Une question de priorités

La décision de la Cour d’appel de l’Ontario dans l’affaire Re Indalex Limited (disponible en anglais seulement) (Indalex) en avril soulève de nombreuses questions quant à la capacité des créanciers titulaires d’une sûreté de faire valoir leurs droits et quant à l’étendue des obligations d’un employeur en sa qualité d’administrateur d’un régime de retraite en vertu de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies (LACC). Le présent article porte sur les répercussions en droit des pensions de la décision pour les employeurs. Même si la décision est en général défavorable pour les employeurs, les faits particuliers ayant influé sur la décision pourraient éventuellement en limiter son application.

Contexte

Indalex Limited (Indalex Canada) était le promoteur et l’administrateur de deux régimes de retraite à prestations déterminées (PD), l’un à l’intention des salariés syndiqués admissibles (régime à l’intention des salariés syndiqués) et l’autre, à l’intention des dirigeants admissibles (régime à l’intention des dirigeants).

En avril 2009, Indalex Canada s’est placée sous la protection de la LACC, par suite d’une proposition en vertu du chapitre 11 de sa société mère établie aux États-Unis (Indalex É.-U.). Au moment de la proposition en vertu de la LACC, le régime à l’intention des salariés syndiqués était en voie d’être liquidé, contrairement au régime à l’intention des dirigeants. Les deux régimes étaient sous-capitalisés.

Le tribunal saisi de la proposition en vertu de la LACC a autorisé un prêt de débiteur-exploitant (DE) à Indalex Canada garanti par une sûreté superprioritaire qui, aux termes de l’ordonnance du tribunal saisi de la proposition en vertu de la LACC, avait « priorité sur toutes les autres... fiducies..., notamment prévues par la législation ». Indalex É.-U. garantissait le prêt.

Indalex Canada a vendu l’actif de son entreprise en exploitation en juillet 2009. L’acheteur n’a pas pris en charge les régimes de retraite. Le produit de la vente étant insuffisant pour rembourser intégralement le prêt de DE, Indalex É.-U., en sa qualité de caution, a dû rembourser 10,75 $ millions au prêteur DE et a donc pris en charge cette tranche de la créance du prêteur DE. Le contrôleur judiciaire (contrôleur) a réservé 6,75 $ millions du produit de la vente (fonds réservés) soit le montant approximatif de la sous-capitalisation combinée du régime à l’intention des salariés syndiqués et du régime à l’intention des dirigeants.

Les anciens salariés ayant des droits à pension, aux termes du régime à l’intention des salariés syndiqués et du régime à l’intention des dirigeants, ont cherché à obtenir une ordonnance selon laquelle ils recevraient sur les fonds réservés le montant nécessaire à la liquidation des déficits des deux régimes. Les deux groupes ont invoqué en partie la Loi sur les régimes de retraite (Ontario) (LRR), qui dispose que les « cotisations de l’employeur qui sont acquises à la date de la liquidation [d’un régime de retraite], mais qui ne sont pas encore dues aux termes du régime ou des règlements » sont réputées détenues en fiducie.

Peu après la requête des anciens salariés, Indalex Canada a cherché à faire lever la suspension des procédures en vertu de la LACC et a déposé une requête en faillite. À l’audition des deux requêtes, le tribunal saisi de la proposition en vertu de la LACC a statué que la créance du prêteur DE avait priorité sur les demandes de pension de retraite des anciens salariés. Il n’était donc pas nécessaire d’entendre la requête en faillite.

Les anciens salariés ont interjeté appel.

La décision

La Cour d’appel a statué à l’unanimité que le régime à l’intention des salariés syndiqués et le régime à l’intention des dirigeants avaient priorité quant aux fonds réservés pour la tranche de leurs déficits respectifs.

Cette décision repose sur la conclusion de la Cour selon laquelle Indalex Canada avait manqué à ses obligations fiduciaires en tant qu’administrateur du régime à l’intention des salariés syndiqués et du régime à l’intention des dirigeants en se plaçant sous la protection de la LACC et en demandant un prêt de DE sans donner un préavis suffisant aux bénéficiaires du régime de retraite et sans examiner adéquatement des moyens de régler la sous-capitalisation du régime à l’intention des salariés syndiqués et du régime à l’intention des dirigeants.

La Cour a également statué qu’Indalex Canada avait manqué à son obligation d’éviter des conflits d’intérêts dans l’administration des deux régimes de retraite au motif qu’Indalex Canada a pris, dans le cadre de la proposition en vertu de la LACC et du prêt de DE, des mesures indûment favorables à ses intérêts au détriment de ceux des bénéficiaires des régimes de retraite.

En ce qui a trait au régime à l’intention des salariés syndiqués, la Cour a statué que le libellé de la LRR créait une fiducie réputée en vertu de la législation sur la totalité du déficit du régime à l’intention des salariés syndiqués, ce montant s’étant cristallisé ou « accumulé » à la date de la liquidation, même si le règlement d’application de la LRR permet à un employeur de liquider ce déficit sur une période maximale de cinq ans.

Dans un revirement inhabituel, la Cour a alors statué que la fiducie réputée avait priorité sur la créance du prêteur DE, malgré l’ordonnance du tribunal saisi de la proposition en vertu de la LACC approuvant le prêt de DE et conférant une superpriorité sur les fiducies prévues par la législation. Le tribunal a conclu à la nécessité d’un tel redressement au motif qu’Indalex Canada avait manqué à ses obligations fiduciaires et que les bénéficiaires des régimes n’avaient pas eu une occasion raisonnable de soumettre la fiducie réputée au juge autorisant le prêt de DE.

En ce qui a trait au régime à l’intention des dirigeants, la Cour a refusé de conclure à l’application de la fiducie réputée en vertu de la LRR au motif que le régime ne faisait pas l’objet d’une liquidation au moment de la vente de l’entreprise d’Indalex Canada.

La Cour a toutefois statué qu’en raison du manquement d’Indalex Canada à ses obligations fiduciaires, il était approprié en l’espèce d’accorder une fiducie judiciaire sur les fonds réservés, ayant priorité sur la créance du prêteur DE, d’un montant correspondant au déficit du régime à l’intention des dirigeants. La Cour a souligné que si elle avait tort à propos de la fiducie réputée en vertu de la LRR en faveur du régime à l’intention des salariés syndiqués, elle aurait également accordé une fiducie judiciaire en faveur de ce régime.

Les faits particuliers en l’espèce ont largement influé sur la décision de la Cour. En premier lieu, la Cour a souligné que l’un des administrateurs d’Indalex Canada a fait une déclaration solennelle à l’appui de la proposition initiale en vertu de la LACC et dans laquelle il a déclaré sous serment qu’Indalex avait l’intention de respecter l’ensemble de la législation applicable, y compris les « obligations relatives aux fiducies réputées prescrites par règlement ». En second lieu, la Cour a souligné qu’en raison du remboursement intégral du prêteur DE initial par Indalex É.-U., le fait d’accorder la priorité aux demandes de pension de retraite ne portait pas en l’espèce atteinte aux droits des créanciers intervenants. En troisième lieu, la Cour semble avoir pris en compte le fait qu’Indalex Canada avait tenté de faire une cession volontaire de ses biens au profit de ses créanciers, après que d’anciens salariés aient fait valoir leurs demandes de pension de retraite. Enfin, la Cour a souligné la situation difficile du chef de la restructuration d’Indalex É.-U., qui était autorisé à diriger les affaires d’Indalex Canada et qui était également premier directeur général du contrôleur de la société mère. C’est pourquoi la Cour a conclu à un conflit d’intérêts au sein d’Indalex Canada.

Indalex Canada, Indalex É.-U. et les intervenants favorables à leur cause ont demandé une autorisation de pourvoi devant la Cour suprême du Canada. À l’heure actuelle, la demande est toujours en instance.

Remarques de McCarthy Tétrault

Si la Cour suprême accepte d’entendre le pourvoi, la décision de la Cour d’appel pourrait être infirmée. La décision de la Cour d’appel s’écarte d’ailleurs à bien des égards des décisions antérieures de la Cour d’appel et de la Cour suprême du Canada dans des affaires d’administration de restructurations en vertu de la LACC.

Dans l’intervalle, la décision de la Cour d’appel fait autorité. Quelles sont ses ramifications du point de vue du droit des pensions pour les employeurs qui sont également des administrateurs de régimes de retraite à PD? On ne peut malheureusement répondre clairement à cette question.

Il est important de souligner que le manquement d’Indalex Canada à ses obligations fiduciaires a largement influé sur la décision de la Cour. La Cour n’a pas exprimé un principe général selon lequel la fiducie réputée en vertu de la LRR ou une fiducie judiciaire aura toujours, ou souvent, priorité sur d’autres créances garanties. En fait, la Cour a pris soin de supposer le contraire et a limité sa propre décision aux faits. Néanmoins, les créanciers devront sans aucun doute être plus prudents lorsqu’ils consentent des prêts à des employeurs qui offrent des régimes de retraite à PD.

L’affaire laisse également entendre que si l’employeur omet de donner suffisamment à l’avance aux bénéficiaires d’un régime un avis d’une proposition en vertu de la LACC, d’une demande d’un financement de DE ou de quelque autre événement important ayant une incidence sur les droits des bénéficiaires du régime, un tribunal pourrait statuer que l’employeur a manqué à ses obligations fiduciaires. Un employeur-administrateur qui fait une proposition en vertu de la LACC peut envisager la nomination d’un tiers indépendant pour l’administration du régime de retraite. Dans les territoires dans lesquels l’administrateur du régime doit être l’employeur, il peut être utile d’envisager de déléguer le pouvoir administratif à un tiers indépendant. L’opportunité de ces mesures peut dépendre à terme de la législation sur les normes de pension applicable et des faits propres à la procédure en vertu de la LACC, notamment la question de savoir si le but visé est la liquidation, d’une part, ou la restructuration en vue d’assurer la viabilité de l’entreprise, d’autre part.

Pour visualiser des articles précédents de McCarthy Tétrault concernant Indalex, notamment une description complète de l’effet potentiel de la décision sur les prêteurs titulaires d’une sûreté, veuillez cliquer ici.

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Randy Bauslaugh

Kevin P. McElcheran