Passer au contenu directement.

Qui est propriétaire d’une société de personnes québécoise?

Dans Ferme CGR enr., s.e.n.c. (Syndic de), 2010 QCCA 719, la Cour d’appel du Québec a décidé qu’il n’est pas nécessaire de mettre en faillite les associés d’une société en nom collectif québécoise lorsque cette société est elle-même mise en faillite. Pour ce faire, la Cour s’est initialement fiée à la jurisprudence qui interprète les dispositions pertinentes de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité. De plus, la Cour a appuyé sa décision sur une analyse de la nature juridique de la société en nom collectif québécoise et, par conséquent, a modifié la structure de propriété des sociétés de personnes au Québec.

La Cour d’appel du Québec a décidé que les biens d’une société en nom collectif au Québec constituent un patrimoine autonome qui, s’il n’y est pas identique, s’apparente au patrimoine d’affectation qui caractérise une fiducie québécoise. Ainsi, bien que les associés détiennent une part de la société, selon la décision Ferme CGR, ils ne détiennent pas un droit de propriété sur les actifs de la société. À cet égard, la Cour d’appel écarte sa propre décision de 1996 dans Québec (Ville de) c. Cie d’Immeubles Allard Ltée rendue en vertu du Code civil du Bas-Canada (C.c.B.-C.). Cette décision soutenait qu’une société en nom collectif ne possédait pas une personnalité juridique distincte de se.s associés et ne pouvait donc bénéficier d’un patrimoine distinct de ses associés. Par conséquent, les associés étaient des copropriétaires indivis des biens de la société.

Dans Ferme CGR, la Cour d’appel a indiqué qu’en vertu du Code civil du Québec (C.c.Q.), contrairement à la situation prévalant en vertu du C.c.B.-C., la notion de patrimoine n’est plus inextricablement liée à la personnalité juridique ni tributaire de celle-ci. Par conséquent, bien qu’une société en nom collectif ne soit pas une personne juridique distincte, il est possible que les biens de la société constituent un patrimoine distinct de celui des associés. Selon la Cour d’appel, le fait que l’apport de biens à la société par un associé est réalisé par le transfert de droits de propriété montre clairement la volonté du législateur de créer un patrimoine autonome affecté à la société, plutôt qu’une copropriété indivise entre les associés.

Que l’on soit d’accord ou pas avec le raisonnement de la Cour d’appel, et malgré le fait que sa décision soit rendue dans le cadre d’une faillite, Ferme CGR énonce clairement une nouvelle structure de propriété applicable aux sociétés en commandite et en nom collectif en vertu du droit du Québec. Dorénavant, les créanciers d’un associé ne pourront pas faire valoir leurs droits à l’encontre des biens de la société. Le transfert d’une participation dans une société de personnes, bien meuble incorporel, n’entraînera pas le transfert de biens immeubles appartenant à la société. Le patrimoine autonome d’une société de personnes indique également qu’il ne devrait plus y avoir de confusion à l’égard des signatures exigées pour le transfert des droits visant les biens de la société. La signature exigée serait celle de tout associé qui est le mandataire autorisé de la société dans les circonstances.

La décision Ferme CGR implique également qu’il peut être nécessaire de repenser les structures d’opérations, voire la planification fiscale, dans le cadre desquelles les droits de propriété des associés à l’égard des biens de la société sont importants. Par exemple, la dispense prévue aux termes de l’article 10 de la Loi sur l’intérêt du droit de rembourser par anticipation des hypothèques à long terme si elles sont consenties par une société par actions ne s’appliquera probablement plus à une hypothèque consentie par une société en commandite ou en nom collectif québécoise dans laquelle tous les associés sont des sociétés par actions. D’après la décision Ferme CGR, une hypothèque grevant les biens de la société de personnes n’est pas consentie par les associés qui sont des personnes morales qui n’ont pas de droits de propriété sur l’actif de la société.

La décision Ferme CGR ne modifie pas les règles régissant la responsabilité personnelle des associés à l’égard des dettes d’une société en nom collectif aux termes de l’article 2221 du C.c.Q. Les associés ne seront personnellement responsables des dettes d’une société en nom collectif qu’après que leur recouvrement a été mis à exécution à l’encontre de l’actif de la société. À cet égard, la décision soulève des questions à savoir quand et comment des patrimoines autonomes peuvent exister. L’autonomie du patrimoine de la société en nom collectif est clairement réduite par la responsabilité personnelle ultime des associés. Le patrimoine d’une société en commandite est par contraste autonome en ce qui a trait aux commanditaires dont la responsabilité se limite à leur apport à la société. Un prêt à droit de recours limité autorisé en vertu de l’article 2645 du C.c.Q. donnerait-il lieu à un patrimoine autonome? À quel point la volonté du législateur doit-elle être claire pour autoriser la création de patrimoines autonomes?

Finalement, la décision Ferme CGR n’envisage pas l’application d’un patrimoine divis dans le contexte des sociétés de personnes. En d’autres termes, la Cour d’appel aurait très bien pu parvenir au même résultat en décidant que les biens de la société sont détenus en copropriété par les associés mais constituent une partie de leur patrimoine distincte de leurs biens personnels.

Pour l’instant, il reste à voir quelles répercussions la décision Ferme CGR aura sur le droit et son exercice au Québec.