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Portée étendue des obligations d’un employeur de déclarer des blessures graves : L’affaire Blue Mountain Resort

Une décision rendue récemment par la Cour divisionnaire de l’Ontario a mis en évidence la portée étendue des obligations d’un employeur de déclarer au ministère du Travail (MT) des blessures graves et des décès.

Contexte

La décision concerne le Blue Mountain Resort situé à Collingwood, en Ontario. Le 24 décembre 2007, un client du centre s’est noyé dans la piscine située sur la propriété du centre. Blue Mountain n’a pas communiqué avec le MT et ne lui a pas rapporté l’incident, en croyant qu’il ne s’agissait pas d’un incident de travail qui devait être déclaré au MT, étant donné que l’incident visait un client du centre (et non l’un de ses employés) et que la piscine n’était pas surveillée au moment de l’accident.

Au début de 2008, un inspecteur du MT qui s’est rendu sur les lieux du centre (pour une autre question) a été mis au courant de l’incident et a émis un ordre de se conformer au paragraphe 51(1) de la Loi sur la santé et la sécurité au travail (la Loi). Le paragraphe 51(1) de la Loi oblige les employeurs à rapporter au MT les blessures graves ou décès survenus sur un lieu de travail. Le paragraphe 51(1) mentionne ce qui suit :

Si une personne est tuée ou gravement blessée de quelque façon que ce soit dans un lieu de travail, le constructeur, le cas échéant, et l’employeur en avisent immédiatement un inspecteur et le comité, le délégué à la santé et à la sécurité et le syndicat, le cas échéant, par téléphone ou par un autre moyen de communication directe. Au cours des 48 heures qui suivent, l’employeur envoie à un directeur un rapport écrit sur l’événement et lui fournit dans ce rapport les renseignements et les détails que prescrivent les règlements. [termes mis en gras par les auteurs]

Décision de la CRTO et de la Cour divisionnaire

L’employeur a porté en appel l’ordre émis devant la Commission des relations du travail de l’Ontario (CRTO). La CRTO s’est rangée du côté de l’inspecteur et a conclu que l’employeur aurait dû rapporter l’incident au MT. L’employeur a porté en appel la décision devant la Cour divisionnaire de l’Ontario (la Cour). La Cour a examiné les deux questions ayant été soumises à la CRTO, en se fondant sur la définition des termes qui suivent figurant au paragraphe 51(1) de la Loi :

  1.  « personne »; et
  2. « lieu de travail ».

La Cour a conclu que le terme « personne » devrait être interprété au sens littéral et courant. La Cour a rejeté la position de Blue Mountain selon laquelle le terme « personne », dans ce contexte, devrait être interprété comme s’il désignait un « travailleur », de sorte que seuls les décès ou blessures graves d’un travailleur devraient déclencher l’obligation de déclaration en vertu du paragraphe 51(1).

Blue Mountain a fait part de ses préoccupations concernant l’application pratique de l’interprétation du terme « lieu de travail » par la CRTO visant à englober l’ensemble des 750 acres de terrain exploités par Blue Mountain. Blue Mountain a noté qu’il serait à peu près impossible de déclarer toutes les blessures graves survenant sur ses lieux compte tenu de la taille de l’installation et du fait que Blue Mountain exploite un centre récréatif qui comporte certains dangers inhérents. En outre, Blue Mountain a fait valoir que l’application de l’article 51 à l’ensemble du site pourrait perturber gravement ses activités étant donné que le paragraphe 51(2) de la Loi exige généralement qu’un employeur préserve la scène de l’accident jusqu’à ce qu’un inspecteur ait donné des directives à l’effet contraire. Blue Mountain a souligné que la décision de la CRTO [traduction] « élargit son application à des domaines d’activité qui n’ont aucun lien avec la santé et la sécurité des travailleurs ».

La Cour a noté que la Loi devrait être interprétée de façon large et déterminante et que la définition de « lieu de travail » en vertu de la Loi1 était extrêmement large. Compte tenu des faits dans cette affaire, la Cour a facilement conclu que la piscine constituait un lieu où des travailleurs accomplissaient leur travail et que l’absence d’un travailleur au moment réel de l’incident ne changeait rien au fait que la piscine constituait un « lieu de travail ». Toutefois, la Cour a également conclu que l’interprétation de la CRTO, selon laquelle l’ensemble de Blue Mountain constituait un lieu de travail, était trop large et qu’elle allait au-delà de l’application de la Loi. La Cour n’était pas prête à aller aussi loin que la déclaration de la CRTO, laquelle stipulait que la totalité du Blue Mountain Resort devait être considérée comme un « lieu de travail » et être assujettie au texte législatif de la Loi. La Cour a conclu que chaque affaire devait être jugée en fonction des faits qui lui sont propres et que l’obligation de déclaration ne serait pas déclenchée s’il n’y avait aucun « lien » entre le lieu de l’accident et la sécurité des travailleurs.

Finalement, la Cour a confirmé la décision de la CRTO et a jugé que, selon les faits dans cette affaire, l’ordre émis était approprié.

Mesures devant être prises par les employeurs

Cette décision met en évidence la très large portée possible des obligations de déclaration au MT en vertu de la Loi. Les employeurs devraient utiliser cette décision comme prétexte afin de passer en revue leurs politiques en matière de déclaration de blessures graves sur les lieux de travail et de préservation des scènes d’accident. À la suite de cette décision, les employeurs devraient garder à l’esprit que, selon la définition générale de « lieu de travail » que la Cour a appuyée, toute partie de la propriété d’un employeur pourrait être considérée comme un « lieu de travail » s’il s’agit d’un endroit où un travailleur pourrait travailler ou si ce lieu comporte des dangers qui sont connus des travailleurs et d’autres personnes. Afin d’évaluer s’il y a ou non obligation de déclarer un incident, les employeurs devraient prêter une attention particulière au « lien » qui existe ou non entre le lieu de l’accident et la sécurité du travailleur.

Au moment de publier le présent article, aucune demande d’autorisation d’appel n’avait été présentée à la Cour d’appel de l’Ontario.


1  « Lieu de travail » désigne tout bien-fonds, local ou endroit où le travailleur est employé ou près duquel il travaille ou tout objet sur lequel ou auprès duquel il travaille.

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