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Peut-on inférer un préjudice collectif? Biondi c. Syndicats des cols bleus regroupés de Montréal et l’abaissement du fardeau de preuve quant à l’établissement d’un préjudice en matière de recours collectifs

Si les éléments de faute, de dommage et de lien de causalité sont prouvés, un tribunal peut-il inférer de la preuve que tous les membres ont subi un préjudice semblable dans le cadre d’un recours collectif? Possiblement, oui, selon la récente décision Biondi c. Syndicat des cols bleus regroupés de Montréal (SCFP-301) et Ville de Montréal (500-06-000265-047, 3 septembre 2010, Grenier J).

Il s’agit d’un recours collectif au mérite intenté à la suite des évènements survenus entre les 5 et 12 décembre 2004. La requérante allègue que les chutes sur les trottoirs glissants et les blessures qui y sont reliées sont la faute de la Ville de Montréal (Ville) et du Syndicat des cols bleus regroupés de Montréal (Syndicat). Elle prétend que de ne pas déglacer les trottoirs et de ne pas répandre d’abrasif dans les conditions météorologiques de l’époque représentent une conduite fautive, que les moyens de pressions étaient illégaux et exercés de mauvaise foi. Elle prétend de plus que la Ville a elle aussi été négligente et fautive, entre autres, en changeant le mode de répartition en début d’hiver, en ne donnant pas la formation requise à ses contremaîtres et en omettant d’informer le Syndicat de cette décision. Elle demande à ce que le Syndicat soit tenu à des dommages exemplaires et que la Ville soit solidaire quant aux dommages compensatoires.

Selon la Cour, la preuve permet aisément de conclure à la faute du Syndicat; il y a eu négligence quant à l’entretien des trottoirs dans cette période de verglas. De plus, les circonstances étaient telles que des dommages punitifs s’imposent puisque le Syndicat connaissait les conséquences que sa conduite pouvait engendrer.

La Ville a, pour sa part, tenté de repousser sa responsabilité en affirmant qu’elle n’avait commis aucune faute personnelle et qu’elle ne pouvait être considérée comme commettant, car les cols bleus n’étaient pas dans l’exercice de leurs fonctions. Ces deux moyens furent contredits, car d’autres villes avaient retardé l’implantation de tels changements à la répartition de peur des conséquences découlant de moyens de pression en début d’hiver. De ce fait, la Ville ne pouvait plaider la force majeure afin de s’exonérer.

La Ville a demandé l’irrecevabilité du recours collectif puisque la causalité ne peut pas être déterminée de façon collective, que la preuve ne peut démontrer un lien de causalité commun pour tous les membres et qu’il est impossible de conclure que toutes les chutes dans cet arrondissement, lors de cette période, aient été en raison des moyens de pression des cols bleus.

En réponse à cette demande d’irrecevabilité, la Cour affirme d’abord que les règles de preuve ne diffèrent pas, que l’on soit dans le cadre d’une requête individuelle ou collective. De ce fait, si les éléments de faute, de dommage et de lien de causalité sont prouvés, le Tribunal peut inférer de la preuve que les membres ont subi un préjudice semblable. Il affirme que l’on peut présumer qu’il est plus probable que si un individu est tombé durant cette période, c’est dû au mauvais entretien de la chaussée. Le témoignage d’un individu quant à sa chute serait plus crédible que celui de la Ville et du Syndicat, puisque la faute est démontrée. La causalité est donc logique, directe et immédiate.

Quant au lien de causalité, la Ville affirmait de plus que l’on doit nécessairement évaluer la possibilité d’une faute contributoire pour chaque individu, due à des facteurs comme le type de chaussure et la connaissance de l’état des lieux. Le Tribunal rétorque que ces facteurs affectant la part de responsabilité de chaque partie n’entraînent pas le rejet du lien de causalité et qu’ils seront évalués au niveau du montant des réclamations individuelles de chaque membre.

En conclusion, le Tribunal condamne le Syndicat à payer 2 millions de dollars aux membres du recours de façon collective. De plus, étant impossible d’établir un quantum des dommages commun pour tous, ils feront l’objet de réclamations individuelles que la Ville et le Syndicat seront solidairement responsables d’acquitter.

Remarques de McCarthy Tétrault

Cette décision de la Cour supérieure est particulièrement surprenante à la lumière du principe voulant que le recours collectif, un moyen procédural, ne puisse modifier le droit substantif. Les tribunaux québécois seraient-ils tentés d’amoindrir le fardeau qui incombe au représentant quant à l’établissement d’un élément essentiel de la responsabilité — le préjudice — sur une base purement présomptive et donc, hypothétique? Jusqu’à présent, l’approche prônée dans l’affaire Biondi demeure inusitée et, il est à espérer, inimitée.

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Erick Block