Passer au contenu directement.

Modifications proposées au droit québecois des sûretés

Un projet de loi déposé le 26 novembre dernier[1] par le ministre des Finances du Québec vise notamment à modifier les dispositions du Code civil du Québec (CcQ) sur les hypothèques. Ce bulletin résume sommairement les changements proposés.

Ces changements portent sur (i) les hypothèques constituées au bénéfice d’une pluralité de créanciers et (ii) les hypothèques sur les dépôts bancaires et certaines autres créances monétaires.

Hypothèques en faveur du Fondé de Pouvoir

Les lois sur les sûretés mobilières des provinces de common law permettent qu’une sûreté soit constituée en faveur d’un représentant des créanciers des obligations destinées à être garanties par la sûreté (souvent appelé collateral agent ou security agent). Présentement, le CcQ, à son article 2692, ne permet l’octroi d’une sûreté à un tel représentant (appelé « fondé de pouvoir ») que si les obligations garanties sont des titres d’emprunt (généralement des titres désignés en anglais comme étant des bonds ou debentures).

Ainsi, le droit québécois ne permet pas actuellement à un emprunteur de consentir directement au représentant (agent) d’un syndicat de prêteurs une hypothèque garantissant des crédits pouvant être accordés à cet emprunteur par les membres présents ou futurs du syndicat. Pour atteindre ce résultat, diverses techniques juridiques ont été élaborées par la pratique. Par exemple, l’emprunteur émet une débenture garantie par une hypothèque en faveur d’un fondé de pouvoir et portant sur les biens de l’emprunteur (et souvent de ses filiales); cette débenture est alors mise en garantie en faveur des membres du syndicat qui peuvent en demander le paiement si l’emprunteur est en défaut en vertu des crédits. Advenant le défaut de l’emprunteur de payer la débenture, le fondé de pouvoir peut réaliser l’hypothèque et le produit de la réalisation est imputé sur cette débenture; ce produit est donc remis aux prêteurs du syndicat puisqu’ils détiennent la débenture en garantie. Finalement, les montants reçus sur la débenture sont imputés sur les crédits qu’elle garantit.

La technique ci-dessus (sûretés à deux niveaux) est complexe et est souvent mal comprise par les emprunteurs et les praticiens. La modification proposée au CcQ évitera de recourir à une telle technique[2] et permettra l’octroi d’une sûreté à un représentant (agent) d’une pluralité de créanciers d’une manière semblable à ce qui se fait dans les provinces de common law et aux États-Unis[3].

Il s’agira d’une modernisation plus que souhaitable, qui était d’ailleurs réclamée par le Barreau du Québec. Cette modernisation règlera de plus une controverse découlant de la rédaction actuelle de l’article 2692; la Cour supérieure du Québec avait en effet interprété cet article comme exigeant que toute hypothèque garantissant des « titres d’emprunts » soit consentie par notarié même si le titulaire de l’hypothèque n’est pas un fondé de pouvoir[4].

Sûretés sur les dépôts bancaires

Le projet de loi propose également la mise en place d’un nouveau régime pour les sûretés sur les dépôts bancaires et certaines autres créances monétaires. Il s’inspire largement de l’article 9 du Code commercial uniforme des États-Unis (Uniform Commercial Code).

Nous nous limiterons ici aux sûretés sur les dépôts bancaires et un prochain bulletin traitera du nouveau régime dans son ensemble. Soulignons toutefois que le projet consacre indirectement l’efficacité d’une convention de compensation comme mécanisme de garantie.

L’expression « dépôt bancaire » ci-dessus est un raccourci de langage et le régime proposé par le projet de loi s’applique à tout dépôt auprès d’une institution recevant des dépôts du public (banque, coopérative de services financiers, société de fiducie, etc.). En substance, ce nouveau régime permet à un client d’une institution financière de consentir une sûreté sur ses dépôts selon deux méthodes :

  1. Si le client veut consentir la sûreté à l’institution financière chez qui les dépôts sont maintenus, la sûreté deviendra automatiquement valide et opposable aux tiers dès que le client aura reconnu par écrit que ses dépôts pourront être retenus à titre de garantie. Cette méthode sera utilisée lorsque l’institution dépositaire est également créancière du client ou se propose de lui faire un crédit garanti par ses dépôts.
  2. Si le client veut consentir la sûreté à un tiers, c’est-à-dire à un créancier qui n’est pas l’institution financière dépositaire, l’accord de cette dernière est nécessaire. La sûreté deviendra valide et opposable aux tiers lorsque le client, le créancier et l’institution dépositaire auront conclu un accord conférant au créancier le pouvoir de disposer des dépôts sans l’intervention du client. Cet accord, appelé « accord de maîtrise », pourra toutefois permettre au client (si les parties le souhaitent) d’effectuer des retraits jusqu’à avis contraire du créancier. Il est cependant à noter qu’un client d’une institution financière ne pourra pas contraindre celle-ci à devenir partie à un accord de maîtrise.

Une sûreté consentie selon l’une des méthodes ci-dessus n’a pas à être inscrite dans un registre et elle confère une « super-priorité » au créancier. Par exemple, si une entreprise consentait à la banque X une hypothèque universelle sur l’ensemble de ses créances[5] présentes et futures et si la même entreprise consentait plus tard à la banque Y une hypothèque sur ses dépôts auprès de la banque Y, l’hypothèque de cette dernière prendrait rang avant l’hypothèque universelle de la banque X et ce, même si cette hypothèque universelle a été inscrite antérieurement au registre québécois des sûretés (RDPRM).

En terminant deux remarques s’imposent. Premièrement, ce nouveau régime est à la disposition non seulement des entreprises mais aussi des consommateurs (sauf, dans ce dernier cas, quelques exceptions comme des dépôts faisant partie d’un REER). Deuxièmement, il continuera d’être possible d’hypothéquer un dépôt bancaire sans utiliser les méthodes ci-dessus; l’hypothèque devra alors être inscrite au RDPRM pour être opposable aux tiers.


[1] Projet de loi no. 28, Loi concernant principalement la mise en oeuvre de certaines dispositions du discours sur le budget du 4 juin 2014 et visant le retour à l’équilibre budgétaire en 2015-2016. Le projet de loi est disponible ici.
[2] Le nouvel article 2692 CcQ n’affectant toutefois pas la validité de cette technique.
[3] L’octroi d’une hypothèque en faveur d’un fondé de pouvoir continuera généralement d’être soumise à l’exigence que l’acte d’hypothèque soit notarié.
[4]Positron Technologies Inc. (Arrangement relatif à), C.S. 500-11-031970-078, jugement du 3 octobre 2008.
[5] Rappelons qu’un dépôt bancaire constitue une créance.

Auteurs