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Les exportateurs font l’objet d’un contrôle du commerce plus rigoureux

*Cet article paraîtra dans le prochain numéro bilan de fin d’année (Year-in-Review) de la revue The International Lawyer, une publication de l’American Bar Association.

L’autorité douanière du Canada, l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC), continue d’exercer ses pouvoirs étendus en vertu de la Loi sur les douanes et de la Loi sur les licences d'exportation et d'importation afin de procéder à un grand nombre de fouilles, de perquisitions, de rétentions, de saisies, de confiscations compensatoires, d’enquêtes et d’autres activités d'exécution de la loi afin de s’assurer que les exportations en provenance du Canada respectent toutes les exigences des lois canadiennes. Les exportateurs doivent se conformer à des exigences réglementaires considérables et parfois complexes, notamment des contrôles en ce qui concerne le transfert de marchandises et de technologies qui figurent sur la Liste des marchandises et technologies d'exportation contrôlée (LMTEC), les sanctions économiques imposées conformément à la Loi sur les mesures économiques spéciales (LMES) et à la Loi sur les Nations Unies (LNU), ainsi qu’à leurs obligations en vertu de l’ASFC en ce qui a trait à la déclaration des exportations.

L’insatisfaction continue des autorités américaines à l’égard de l’application par le Canada des contrôles à l’exportation semble être l’une des explications au fait que l’ASFC procède à une application de plus en plus rigoureuse dans ce domaine1. Jusqu’à présent, le Canada n’a pas un bilan d’application des contrôles aussi solide que celui des États-Unis en ce qui concerne les contrôles à l’exportation et les sanctions économiques. Toutefois, les fonctionnaires canadiens évoquent une « série d’actions qui ont été couronnées de succès » récemment, en plus des poursuites et des condamnations, en vue de limiter les infractions relatives aux exportations — notamment au moyen de retenues et de saisies qui retardent et interrompent les expéditions et qui peuvent se traduire par des pertes de contrats2.

Secteurs cruciaux pour les exportateurs

Voici certains secteurs qui comportent d’importants défis pour les exportateurs canadiens en ce qui a trait à la conformité et à l’exécution de la loi :

(i) Opérations effectuées avec des « personnes désignées » — Peu importe le pays de destination, les exportateurs devraient systématiquement sélectionner toutes les parties concernées afin de vérifier si elles figurent sur les listes de sociétés, d’organisations et d’individus qui se trouvent dans les nombreux règlements sur les sanctions pris en vertu de la Loi sur les mesures économiques spéciales et de la LNU, dans la Loi sur le blocage des biens de dirigeants étrangers corrompus3, ainsi que les dispositions du Code criminel en ce qui concerne les opérations effectuées avec des entités terroristes. Il est interdit aux exportateurs canadiens d’effectuer des opérations avec ces personnes.

(ii) Articles de sécurité de l’information — Les contrôles de la LMTEC du Canada en ce qui concerne les marchandises, les logiciels et les technologies conçus ou modifiés pour effectuer le cryptage ou pour fonctionner avec de tels articles sont plus lourds de conséquences que leurs contreparties américaines. Souvent, ce n’est que lorsque leurs produits sont retenus ou saisis par l’ASFC que les exportateurs apprennent qu’ils font l’objet de contrôles. Le fait qu’ils répondent alors tardivement aux mesures d’exécution de la loi et qu’ils attendent d’obtenir des licences leur cause des interruptions du commerce coûteuses et leur font perdre des ventes4.

(iii) Contrôles « fourre-tout » — Conformément à une disposition « fourre-tout » de la LMTEC, toutes les exportations de marchandises et de technologies sont interdites sans licence si « […] leurs caractéristiques et toute information communiquée à l’exportateur […] porteraient une personne raisonnable à soupçonner qu’elles seront utilisées […] » en lien avec des armes chimiques, biologiques ou nucléaires et leurs vecteurs ou missiles (des armes de destruction massive ou ADM) ou utilisées dans une quelconque installation d’ADM5; par conséquent, les exportateurs doivent faire preuve de diligence raisonnable afin de veiller à ce que leurs marchandises et leurs technologies libres ne soient pas destinées à une installation d’ADM.

(iv) Iran — La fourniture à l’Iran de marchandises et de technologies connexes aux fins d’une utilisation par l’industrie pétrochimique, pétrolière ou gazière ou pour des projets liés au nucléaire est interdite par les règlements pris en vertu de la LMES et de la LNU qui contiennent aussi une liste exhaustive d’autres articles interdits6. La récente interdiction visant les services financiers imposée par le Canada peut aussi compliquer de façon importante la situation de ceux qui exportent vers l’Iran7. De plus, aucune marchandise ni aucune technologie d’origine américaine ne peuvent être transférées vers l’Iran sans qu’une licence d’exportation ait été délivrée, ce qui ne se fait que dans certaines circonstances particulières8. Les exportateurs devraient être informés que l’ASFC examine aussi minutieusement les exportations vers certaines destinations qui servent souvent de lieux de transbordement pour l’acheminement de marchandises vers l’Iran, notamment les Émirats arabes unis, la Malaisie et Hong Kong.

(v) Syrie — Il est interdit d’exporter vers la Syrie toutes les marchandises et les technologies précisées dans la LMTEC ainsi que toutes les marchandises ou les données techniques servant à la surveillance des télécommunications9. Comme c’est le cas pour les transferts vers l’Iran, il est interdit de transférer toutes les marchandises et technologies d’origine américaine vers la Syrie sans détenir une licence, qui n’est délivrée que dans certaines circonstances particulières.

(vi) Cuba — Le Canada ne restreint pas les exportations ou les transferts vers Cuba à moins que les marchandises ou les technologies soient d’origine américaine ou autrement contrôlées par la LMTEC. Dans ce cas, une licence doit d’abord être obtenue; cependant, conformément à une ordonnance émise en vertu de la Loi sur les mesures extraterritoriales étrangères10, il est interdit aux sociétés et aux personnes physiques de se conformer à l’embargo commercial extraterritorial des États-Unis contre Cuba, et elles sont tenues d’aviser le procureur général du Canada immédiatement de toute communication relative à l’embargo commercial américain reçue de quiconque exerce une fonction lui permettant d’influencer les politiques au Canada. Le non-respect de cette ordonnance est passible de sanctions pénales.

(vii) Bélarus et Myanmar — Les sanctions imposées par le Canada contre le Bélarus et le Myanmar sont plus sévères que celles qu’imposent les autres pays, notamment les États-Unis et l’Union européenne. Elles interdisent l’exportation ou le transfert de toutes les marchandises et technologies vers le Bélarus et le Myanmar. Des licences peuvent être délivrées dans de très rares circonstances, c’est-à-dire pour des raisons humanitaires11.

En plus des contrôles de la LMTEC particuliers à certains types de marchandises ou de technologies et des sanctions contre les pays déjà mentionnées ci-dessus, les exportateurs devraient savoir que le Canada impose aussi actuellement divers degrés de restrictions commerciales sur les activités touchant la Côte d'Ivoire, la République démocratique du Congo, l’Égypte, l’Érythrée, la Guinée, l’Iraq, le Liban, le Libéria, la Libye, la Corée du Nord, le Pakistan, la Sierra Leone, la Somalie, le Soudan, la Tunisie et le Zimbabwe.

Atténuer les risques

Les exportateurs qui ne se conforment pas à ces exigences s’exposent à des conséquences financières et des coûts opérationnels importants découlant de pénalités pécuniaires ainsi qu’à des retards, des rétentions ou des annulations de leurs expéditions destinées à l’exportation. Dans de nombreux cas, cette non-conformité peut aussi avoir une incidence désastreuse sur la réputation de la société dans son ensemble.

Afin d’atténuer ces risques, les exportateurs devraient être en mesure de démontrer qu’ils font preuve d’une diligence raisonnable efficace en concevant et en mettant en œuvre une stratégie rigoureuse de conformité aux contrôles commerciaux. Le programme de conformité interne d’un exportateur devrait comprendre des mesures comme :

  • un manuel bien rédigé et facile d’accès qui fait l’objet de révisions et de mises à jour régulières;
  • la nomination d’au moins un cadre supérieur responsable de la mise en œuvre et du respect des politiques et des procédures;
  • l’enseignement et la formation à l’intention des employés des ventes et des autres employés de première ligne et des membres de la direction;
  • des procédures pour la déclaration d’éventuelles violations, à l’interne et à l’externe (p. ex. la divulgation volontaire), et des mesures de protection contre les représailles;
  • des procédures disciplinaires internes en cas de violations;
  • la sélection des destinations et des parties concernées, notamment la sélection des clients, des fournisseurs, des transitaires et des autres fournisseurs de services ou agents concernés;
  • la vérification de l’utilisation finale, notamment au moyen d’une attestation écrite des clients;
  • la révision, l’évaluation et l’amélioration des processus et des procédures, de façon régulière, afin de s’assurer d’une conformité totale.

Il n’existe aucun programme de conformité qui convienne à tous puisque les mesures seront différentes notamment en fonction de la taille de la société, de la nature des marchandises, des services ou des technologies de l’exportateur, ainsi que de son marché, de ses clients et de ses utilisateurs. Toutefois, alors que les exportateurs doivent composer avec une surveillance de plus en plus rigoureuse de leurs expéditions de la part de l’ASFC, il est important qu’ils portent une attention toute spéciale au respect des obligations de contrôle commercial. Ils pourront ainsi réduire le risque de non-conformité et éviter les coûts financiers et les atteintes à la réputation qui découlent de l’exécution de la loi par l’ASFC et de commandes retardées ou annulées.

John est coprésident du Export Controls and Economic Sanctions Committee de la Section of International Law (SIL) de l’American Bar Association et coprésident du comité d’exportation de l’Association canadienne des importateurs et exportateurs. Il est aussi un associé chez McCarthy Tétrault où il dirige le groupe du droit du commerce et de l'investissement international.


1 Voir, par exemple, l’article « Fronts in Canada set up to ship banned goods abroad: secret cable », The Globe and Mail, 23 novembre 2011.

2 Témoignage du 31 octobre 2011 de Geoff Leckey, directeur général, Opérations relatives aux renseignements et au ciblage de l’ASFC, devant le Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense.

3 Voir le Règlement sur le blocage des biens de dirigeants étrangers corrompus (Tunisie et Égypte), DORS/2011-316.

4 Afin d’offrir l’égalité des chances aux exportateurs canadiens, la Direction des contrôles à l'exportation (DCE) du ministère des Affaires étrangères et du Commerce international a offert divers types de licences d’exportation à multiples destinations pour les articles de cryptologie. Même si les exportateurs sont encore tenus de faire une demande auprès de la DCE et de se conformer à des conditions de rapport et autres conditions selon la licence d’exportation à multiples destinations applicable, ces licences peuvent être délivrées sans qu’il soit nécessaire de préciser les destinataires dans la demande. Par conséquent, il n’est plus nécessaire de faire une demande de licence d’exportation individuelle pour chacun des destinataires. La DCE a rendu disponibles sept licences d’exportation à multiples destinations de ce genre, assorties de diverses modalités (voir « Licences d’exportation applicables aux articles de cryptologie »).

5 Article 5505 de la LMTEC. Voir l’avis de la DCE : « Contrôles à l'exportation des marchandises et technologies destinées à certaines utilisations » (mars 2011, nº de série : 176). Cela ne s’applique pas si les marchandises ou les technologies sont destinées à une utilisation finale dans l’un des 29 pays alliés figurant sur la liste et que le destinataire final (et tout destinataire intermédiaire) y est établi.

6 Règlement sur les mesures économiques spéciales visant l’Iran, DORS/2010-165 et le Règlement d’application des résolutions des Nations Unies sur l’Iran, DORS/2007-44.

7 En vigueur depuis le 21 novembre 2011.

8 L’article 5400 de la Liste des marchandises et technologies d'exportation contrôlée porte sur la totalité des marchandises et technologies d’origine américaine qui sont exportées ou transférées à partir du Canada. La Licence générale d’exportation no12 permet l’expédition de marchandises vers toute destination sauf le Bélarus, le Myanmar, la Corée du Nord, Cuba, la Syrie et l’Iran.

9 Règlement sur les mesures économiques spéciales visant la Syrie, DORS/2011-114.

10 Arrêté de 1992 sur les mesures extraterritoriales étrangères (États-Unis), DORS/92-584.

11 Le Bélarus et le Myanmar, ainsi que la Corée du Nord, figurent sur la liste du Canada intitulée Liste des pays visés, DORS/81-543. Le Myanmar est aussi assujetti aux sanctions établies en vertu de la Loi sur les mesures économiques spéciales et prises aux termes du Règlement sur les mesures économiques spéciales visant la Birmanie, DORS/2007-285.

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