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Les émetteurs publics canadiens et leurs dirigeants de plus en plus exposés à des poursuites

Pour les sociétés ouvertes canadiennes et leurs dirigeants, une poursuite autrefois hypothétique devient aujourd’hui réalité avec la décision récente de la Cour supérieure de l’Ontario dans l’affaire Silver v. IMAX.

Les défenseurs des actionnaires se sont toujours plaints du fait que la divulgation par les sociétés d’information présumée trompeuse sur le marché secondaire a rarement donné lieu à une bonne cause : une poursuite en vue de recouvrer des pertes individuelles n’étant pas toujours rentable, et les tribunaux hésitant à autoriser des recours collectifs au motif que les demandeurs ne pouvaient respecter le critère de common law selon lequel chaque investisseur doit avoir reçu, interprété et jugé digne de foi la même information présumée trompeuse de la même manière.

À la fin de 2005, le gouvernement de l’Ontario a adopté le projet de loi 198 qui offre, notamment à des groupes d’actionnaires, des causes d’actions législatives fondées sur la Loi sur les valeurs mobilières à l’égard de l’information trompeuse divulguée par des sociétés, rendant ainsi les sociétés (et leurs dirigeants et administrateurs) potentiellement responsables envers chaque investisseur qui a acheté des actions pendant la période au cours de laquelle l’information trompeuse a circulé, que l’investisseur s’y soit ou non fié au moment de l’achat. Depuis lors, toutes les autres provinces ont adopté une législation analogue.

On s’attendait à une avalanche de litiges, mais bien peu d’instances ont été effectivement introduites, peut-être en raison de l’incertitude autour de l’obligation pour l’actionnaire demandeur de répondre à certains critères en vue d’obtenir d’un juge l’autorisation d’introduire le recours.

La décision Silver lève désormais cette incertitude (du moins jusqu’à l’audition de l’appel). Les demandeurs investisseurs ont intenté une action contre la société défenderesse et ses dirigeants, prétendant que certains communiqués de presse et un rapport annuel présentaient publiquement de l’information trompeuse sur les résultats financiers de la société. Les investisseurs ont alors demandé à un juge de leur accorder l’autorisation de modifier leur demande afin d’y ajouter les causes d’action pour information trompeuse prévues par la législation et de faire autoriser l’ensemble de la poursuite, ainsi modifiée, en un recours collectif. Le juge a accordé ces ordonnances.

Même si la décision Silver est actuellement en appel, ses principales caractéristiques, si elles sont confirmées, favorisent, et peuvent ainsi encourager, les investisseurs (et leurs avocats) à bien des égards. Plus particulièrement, la décision établit non seulement une norme minimale (favorable à l’investisseur) quant aux critères d’autorisation, mais réduit aussi sensiblement la possibilité d’invoquer la common law qui avait rendu nécessaire les modifications législatives.

En ce qui a trait à la common law, la décision est importante pour les sociétés canadiennes pour les raisons suivantes :

  1. La cour permet aux investisseurs d’invoquer un argument juridique selon lequel le juge du procès peut supposer que le cours de l’action de chaque investisseur a augmenté par suite de l’information présumée trompeuse, chaque investisseur pouvant ainsi obtenir des dommages-intérêts sans avoir à prouver qu’il s’est personnellement fié à l’information présumée trompeuse.
  2. La cour accepte d’autoriser la poursuite en tant que recours collectif pour le compte d’un groupe global composé de tous les investisseurs d’IMAX au cours de la période visée.

De plus, la cour a interprété le critère d’autorisation d’une manière très favorable pour les actionnaires :

  1. Avant l’audition de la requête, les investisseurs demandeurs ont obtenu libre accès aux documents d’entreprise internes de la société défenderesse et ont ainsi pu confectionner leur dossier de preuve en vue de justifier l’autorisation.
  2. La cour a statué que les demandeurs n’avaient qu’à respecter un très faible fardeau de preuve à l’appui pour obtenir l’autorisation d’introduire les causes d’action prévues par la législation.
  3. À l’opposé, la cour a statué que la norme juridique et le fardeau de preuve que doivent respecter les sociétés et leurs dirigeants dans leur argument selon lequel les moyens de défense prévus par la législation étaient si solides que l’autorisation ne devrait pas être accordée.

Le juge a innové dans tous ces aspects de la décision autorisant le recours collectif, chacun allant à l’encontre des intérêts des sociétés ouvertes canadiennes et de leurs dirigeants.

La société défenderesse et ses dirigeants et administrateurs ont porté la décision en appel. Ils prétendent i) que la cour a commis une erreur dans sa décision quant aux obligations de preuve et aux obligations juridiques respectives des investisseurs et de la société dans la demande d’autorisation prévue par la législation; ii) qu’il est essentiel en droit canadien que tous les investisseurs prouvent selon la common law qu’ils se sont fiés à l’information présumée trompeuse; et iii) que les tribunaux ontariens ne devraient pas chercher à accommoder des groupes globaux d’investisseurs.

Remarques de McCarthy Tétrault

Bien que d’autres décisions soient à venir dans cette affaire, et dans des affaires imminentes fondées sur la Loi sur les valeurs mobilières (Ontario), les sociétés canadiennes devraient dans l’intervalle passer en revue leur pratique de gouvernance d’entreprise en ce qui a trait à l’information publique et aux communiqués de presse, et leur garantie d’assurance pour leurs dirigeants et actionnaires à cet égard.

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