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Le Règlement ITAR américain relatif aux personnes possédant une double nationalité et aux ressortissants de pays tiers pose de nouveaux défis aux entreprises canadiennes

Aujourd’hui, la Directorate of Defense Trade Controls (DDTC) du département d’État des États-Unis a publié au registre fédéral le règlement définitif  (en anglais seulement) contenant ses modifications tant attendues au règlement américain intitulé International Traffic in Arms Regulations (ITAR). On se rappelle que ce dernier régit l’accès des personnes possédant une double nationalité et des ressortissants de pays tiers au matériel de défense régi par l’ITAR, y compris les données techniques. Ces modifications, en addition avec les modifications en cours au Programme des marchandises contrôlées (PMC) du Canada couvrant généralement des marchandises et technologies semblables, devraient avoir une incidence importante sur les sociétés canadiennes du secteur de l’aérospatial, de la défense et des satellites, et plus particulièrement sur leurs procédés de conformité et de vérification et sur leur sécurité.

Jusqu’à maintenant, les sociétés canadiennes ont fait face à de nombreuses difficultés associées au règlement ITAR. Ce dernier interdisait aux employés de certaines nationalités ou qui sont nés dans certains pays proscrits d’accéder aux marchandises et aux technologies de défense contrôlées par les États-Unis au Canada. Afin de se conformer à ces restrictions, les sociétés canadiennes avaient dû prendre le risque de contrevenir aux lois antidiscrimination provinciales et fédérales, en plus de s’exposer à des plaintes relatives aux droits de la personne, lorsqu’elles refusaient à certains employés l’accès aux projets visant des éléments contrôlés par l’ITAR étant donné leur nationalité ou leur pays de naissance. Les sociétés faisant partie des secteurs visés avaient dû traiter, défendre et régler des poursuites aux termes des lois antidiscrimination. Ces poursuites découlant de la volonté des entreprises de se conformer à l’ITAR sont coûteuses et, dans certains cas, très médiatisées.

Les dirigeants du DDTC ont affirmé que le règlement définitif vise à s’éloigner des critères d’accessibilité fondés sur la nationalité afin d’éviter les conflits liés aux droits de la personne. Ces derniers ayant causé des problèmes considérables aux partenaires commerciaux tant au Canada que dans d’autres pays.

Les modifications proposées ont été tout d’abord publiées de façon provisoire aux fins de commentaires par le DDTC en août 2010. Notre commentaire portant sur le règlement provisoire peut être consulté ici. Le règlement définitif porte essentiellement sur les mêmes points qui avaient été proposés initialement, mais son libellé comporte certains changements mineurs ainsi que d’autres révisions importantes décrites ci-dessous.

Le matériel de défense visé par l’ITAR peut maintenant être transféré à des pays tiers ou à des employés possédant une double nationalité

En vertu de l’article 126.18 du nouveau texte de l’ITAR, l’approbation du DDTC ne sera plus nécessaire afin de transférer du matériel de défense, y compris des données techniques, à une entreprise étrangère, à une entité gouvernementale étrangère ou à une organisation internationale qui est un utilisateur final approuvé ou un dépositaire de ces articles, [traduction] « y compris le transfert à des ressortissants ayant la double nationalité ou à des ressortissants de pays tiers qui sont des employés actuels et réguliers, directement employés par l’entreprise étrangère ». Cette exemption s’appliquera dans la mesure où d’une part, le transfert a lieu entièrement à l’intérieur des territoires où l’utilisateur final est situé ou dans lesquels le dépositaire exerce ses activités et, d’autre part, où il est autorisé par une licence d’exportation approuvée, une autre autorisation d’exportation où il fait l’objet d’une exemption de licence.

Condition clé — Procédures efficaces pour éviter tout détournement

Aux termes de cette disposition, tout transfert à des employés étrangers est conditionnel à ce que le destinataire du matériel de défense ait en place [traduction] « une procédure efficace pour éviter tout détournement vers des lieux ou des entités ou encore à des fins autres que celles autorisées dans la licence d’exportation applicable ou toute autre autorisation afin de se conformer à la loi américaine intitulée Arms Export Control Act et au ITAR ».

Afin qu’elles soient considérées comme ayant des procédures efficaces, les sociétés canadiennes qui sont des dépositaires ou des utilisateurs finaux du matériel de défense doivent soit i) exiger une attestation de sécurité approuvée par le gouvernement du Canada pour ses employés ou ii) mettre en œuvre un processus de sélection de leurs employés et leur faire signer des ententes de non-divulgation afin de garantir que ces employés ne transfèreront pas de renseignements à des personnes ou à des entités sans l’autorisation expresse de l’employeur.

Aux termes du nouveau règlement, les sociétés canadiennes devront faire une enquête de sécurité à l’égard de tous leurs employés ayant accès à des éléments contrôlés en tenant compte de leurs « liens importants » avec les 25 pays proscrits ou faisant l’objet de mesures restrictives aux termes de l’ITAR — y compris la Chine, le Vietnam, Haïti, le Venezuela et d’autres pays assujettis aux sanctions militaires américaines. Le règlement définitif a précisé sa définition de « liens importants », lesquels comprennent maintenant :

  1. les déplacements fréquents à destination de ces pays;
  2. les liens récents ou continus avec des agents, courtiers et ressortissants de ces pays;
  3. l’allégeance continue à ces pays;
  4. le maintien de relations d’affaires avec des personnes de ces pays;
  5. le maintien d’une résidence dans ces pays;
  6. la réception d’un salaire ou d’une autre rémunération continue provenant de ces pays; ou
  7. les actes indiquant un risque de détournement.

Les modifications prévoient que, bien que la nationalité d’un employé n’est pas en soi un facteur déterminant afin d’interdire l’accès au matériel de défense, s’il est établi qu’un employé a des liens importants avec des personnes provenant des pays proscrits ou faisant l’objet de mesures restrictives en vertu de l’ITAR, ces personnes sont présumées poser un risque de détournement [traduction] « à moins d’indication contraire de la part du DDTC ».

Les sociétés sont également tenues de maintenir un plan de sécurité et/ou d’autorisation de sécurité technologique comportant des procédures aux fins du contrôle des liens importants des employés et de tenir des registres à cet égard pour une durée de cinq ans. Le plan de sécurité et/ou d’autorisation de sécurité technologique ainsi que les registres de contrôle doivent être mis à la disposition du DDTC ou de ses agents sur demande aux fins de l’application du droit civil ou criminel.

Autres aspects importants du nouveau règlement

Le règlement définitif ainsi que le commentaire formulé par le DDTC qui l’accompagne traitent de certaines autres questions importantes pour les sociétés canadiennes :

  1. D’un point de vue canadien, l’une des questions les plus importantes est que, malgré les demandes provenant des intervenants ayant formulé des commentaires sur les changements proposés, le DDTC n’a pas accepté que les sociétés qui se conforment au programme de sécurité industrielle national d’un autre pays prévoyant la sélection efficace et d’autres mesures de sécurité aux fins de la protection de ces éléments contrôlés bénéficient d’une exemption explicite. Cela signifie que les sociétés canadiennes qui sont enregistrées et qui se conforment au PMC (programme s’appliquant essentiellement aux mêmes articles) doivent tout de même examiner et réviser les mesures de sécurité existantes afin de veiller à ce qu’elles soient conformes au nouveau règlement ITAR pour l’ensemble de leurs employés qui auront accès à des marchandises ou à de la technologie contrôlée par l’ITAR.
  2. Certains intervenants ayant formulé des commentaires avaient également exprimé des préoccupations concernant le fait que les employés contractuels ne seraient pas assujettis au nouveau règlement. Même si le DDTC n’a pas voulu appliquer le règlement à l’ensemble des employés contractuels, il a convenu de l’appliquer de façon restrictive aux travailleurs ayant une relation d’emploi à long terme avec des utilisateurs finaux agréés. Cette notion est comprise dans une nouvelle définition d’« employés réguliers ». En plus d’inclure les personnes employées de façon permanente et directe par la société, le terme « employés réguliers » comprend maintenant [traduction] « une personne ayant une relation contractuelle à long terme avec la société lorsque la personne travaille dans les installations de la société, travaille sous les directives et le contrôle de la société, travaille à temps plein et exclusivement pour la société, et signe des ententes de non-divulgation pour la société, et lorsque l’agence de dotation ayant recommandé l’individu ne joue aucun rôle dans le travail qu’effectue la personne (sauf fournir les services de cette personne pour ce travail) et que l’agence de dotation n’a pas accès à toute technologie contrôlée (sauf tel que spécifiquement autorisé par une licence) ».
  3. Bon nombre de sociétés canadiennes profitent actuellement de l’article 124.16 de l’ITAR concernant les autorisations de transfert spécial. Ces autorisations permettent de transférer du matériel de défense et des données techniques aux employés d’entités étrangères (notamment canadiennes) qui sont exclusivement des ressortissants de l’Australie, du Japon, de la Nouvelle-Zélande ou de la Suisse ou de pays membres de l’OTAN ou de l’UE. Le DDTC a proposé initialement d’éliminer l’article 124.16 au moment de l’adoption du nouveau règlement. Toutefois, dans son règlement définitif, le DDTC a revu sa position et a pris en compte une préoccupation importante exprimée certains intervenants selon laquelle la règle relative aux personnes ayant une double nationalité proposée ne prévoyait pas le transfert à des sous-titulaires de licence autorisés (lesquels sont visés aux termes de l’article 124.16). Conformément aux nouvelles modifications, l’article 124.16 a été conservé et sa définition d’« employés réguliers » a été modifiée afin d’inclure les travailleurs ayant une relation d’emploi à long terme avec les utilisateurs finaux, tel qu’indiqué précédemment.
  4. Les établissements d’enseignement au Canada ont fait face à des défis particuliers pour ce qui est des questions de conformité soulevées à l’égard des marchandises et des technologies contrôlées par l’« ITAR ». Toute incertitude concernant l’application du nouveau règlement aux universités canadiennes a été dissipée par le DDTC lorsqu’il a noté dans son commentaire qu’il n’était pas, à l’heure actuelle, prêt à accorder l’exemption aux établissements d’enseignement.

Lien avec les Programmes des marchandises contrôlées du Canada

Malgré le refus du DDTC d’autoriser une exemption explicite aux personnes inscrites au PMC à l’heure actuelle, le Canada travaille à l’élaboration de mesures en vue d’adapter ces nouvelles exigences en vertu de l’ITAR afin de faciliter la conformité aux sociétés canadiennes. Après une menace à la sécurité et un examen des risques, la Direction des Marchandises Contrôlées de Travaux publics et Services gouvernementaux Canada (DMC) a récemment mis en œuvre sa stratégie d’amélioration de la sécurité comprenant la mise en œuvre d’un tableau des risques afin d’identifier les personnes à risque de transférer sans autorisation des marchandises contrôlées.

Nouveau questionnaire élaboré pour les sociétés canadiennes

La DMC a récemment indiqué qu’elle procède actuellement à l’élaboration d’un questionnaire de sélection, lequel sera fourni aux sociétés canadiennes afin de les aider à évaluer leurs employés aux termes du PMC. Les facteurs devant être pris en considération dans le cadre d’une telle évaluation ne sont pas différents de ceux prévus dans l’analyse du « lien important » aux termes du nouveau règlement ITAR et comprennent :

  1. les liens avec les dirigeants, agents ou fondés de pouvoir du gouvernement;
  2. les liens d’affaires et/ou familiaux;
  3. l’allégeance continue à un pays étranger;
  4. le lien avec le gouvernement d’un pays étranger (p. ex., emploi);
  5. les voyages fréquents;
  6. une résidence et/ou des comptes bancaires dans un pays étranger;
  7. des affiliations à l’intérieur ou à l’extérieur du Canada.

La DMC a également indiqué que la nature et l’objet de ces liens seront utilisés afin de déterminer si une personne doit être assujettie à une évaluation de sécurité plus exhaustive ou si son enregistrement doit être refusé. Lorsque le niveau de risque est trop élevé, la DMC, en collaboration avec d’autres ministères du gouvernement, reprendront une évaluation de la personne afin d’établir si l’on doit ou non lui accorder l’accès.

Mesures supplémentaires aux termes de la stratégie d’amélioration de la sécurité

La stratégie d’amélioration de la sécurité de la DMC comprend également des mesures en vue de resserrer les exigences en matière de sécurité pour les personnes inscrites au PMC dans divers secteurs. On pense notamment aux étudiants, stagiaires et agents de recouvrement; à des évaluations des travailleurs temporaires étrangers et des visiteurs en matière de sécurité plus exhaustives; à des évaluations de sécurité des sociétés de transport (en collaboration avec Transport Canada) plus exhaustives; ainsi qu’à d’autres exigences s’appliquant au plan de sécurité d’une société, notamment en relation aux risques liés à la cybersécurité; et finalement à des procédés d’inspection plus poussés; ainsi qu’à l’élaboration d’une liste des personnes et des sociétés exclues.

Prochaines étapes

Le nouveau règlement ITAR entre en vigueur le 15 août 2011. Conformément à ce nouveau règlement, ainsi qu’aux nouvelles exigences du PMC du Canada, les sociétés canadiennes seront tenues de mettre en œuvre des mesures de sécurité améliorées, y compris d’effectuer une vérification de tous les employés demandant l’accès aux articles contrôlés. L’incidence de ces nouvelles règles et exigences sera établie au cas par cas en fonction de chaque employeur en particulier. On prévoit que les sociétés canadiennes feront face à de nombreux défis lorsqu’elles mettront en œuvre ces mesures, elles devront en effet veiller à ce que leurs procédures respectent la diligence exigée par l’ITAR, mais devront également s’assurer de ne pas s’exposer aux risques de non-conformité avec les droits de la personne et la législation canadienne relative au respect de la vie privée.

Il sera également important que les sociétés canadiennes œuvrant dans les secteurs de la défense, de l’aérospatial et des satellites qui ont accès à des biens et à de la technologie contrôlée collaborent étroitement avec leurs conseillers juridiques aux États-Unis et au Canada afin de veiller à ce qu’elles se conforment au nouveau régime de contrôle commercial en matière de défense applicable dans ces deux pays ainsi qu’aux exigences liées à la législation en matière d’emploi, de vie privée et de droits de la personne.

Le groupe du droit du commerce et de l’investissement international de McCarthy Tétrault dispose d’une vaste expérience de la gestion de ces mesures de réglementation commerciale en matière de défense et peut donner des conseils tant au sujet de questions de planification stratégique que d’application de la loi ou de conformité.

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