Passer au contenu directement.

Le gouvernement fédéral présente son projet de dispositions législatives relatives au régime de la recapitalisation interne des banques : le projet de loi C-15

Le 20 avril 2016, le gouvernement fédéral canadien a déposé le projet de loi C-15, qui prévoit notamment l’établissement d’un régime de recapitalisation interne des banques d’importance systémique nationale (« BISN »)

La recapitalisation interne

Pour ceux qui ne sont pas familiers avec cette caractéristique de la réforme réglementaire des services financiers, la notion de recapitalisation interne veut que certaines parties intéressées d’une banque qui se trouve dans la situation peu probable d’éprouver de graves difficultés financières soient tenues de soutenir la viabilité de la banque au moyen de la conversion obligatoire des titres de la banque qu’elles détiennent en actions ordinaires. Cette conversion obligatoire se produirait lorsque l’organisme de réglementation estime que ce processus permettrait l’absorption des pertes et que, conjointement aux autres mesures que l’organisme de réglementation peut juger nécessaires, la conversion pourrait rétablir la viabilité de la banque. Ce mécanisme législatif vise à éviter (ou à minimiser) la probabilité d’un « renflouement » de cette banque par les contribuables. On prévoit en grande partie que le régime de recapitalisation interne s’appliquera (bien que cela ne soit pas précisé dans le projet de loi) d’abord à certains titres de créance de premier rang non garantis ayant une échéance de plus de 400 jours et émis par des BISN à des investisseurs institutionnels après l’entrée en vigueur du projet de loi (et après la date d’entrée en vigueur des règlements nécessaires)[1]. Un régime de recapitalisation interne visant les titres de créance de premier rang compléterait les règles de conversion actuelles prévues par le régime de fonds propres d’urgence en cas de non-viabilité (« FPUNV ») applicable aux titres de fonds propres réglementaires émis par les banques canadiennes sous forme de titres de créance subordonnés et d’actions privilégiées qui est en place depuis trois ans au Canada pour toutes les banques canadiennes. Tant le régime actuel de FPUNV pour les fonds propres réglementaires non constitués d’actions ordinaires que le régime proposé de recapitalisation interne, présumé s’appliquer à certains titres de créance de premier rang des BISN, constituent la mise en œuvre par le Canada des changements réglementaires adoptés, dans plusieurs pays dans la foulée de la crise financière.

Selon le projet de loi, certaines parties intéressées des BISN (la portée demeurant à définir) seront tenues d’absorber les pertes avant que les contribuables y soient exposés à la suite d’un événement déclenché par l’organisme de réglementation. Le gouvernement antérieur avait publié un document de consultation (« Document de consultation ») exposant les modalités d’un régime proposé de recapitalisation (que nous avons décrit de façon plus approfondie dans notre mise à jour antérieure intitulée Department of Finance Releases Proposal for Canadian Bail-In Regime). Le gouvernement fédéral a par la suite confirmé son intention d’aller de l’avant en établissant un régime de recapitalisation interne dans le budget 2015 et, après le changement de gouvernement, dans le budget de mars 2016.

À cette étape, le régime de recapitalisation interne figurant dans le projet de loi ne constitue qu’un cadre de référence. Comme cela se fait couramment pour le dépôt de telles mesures législatives, la plupart des modalités ne figurent pas dans le projet de loi, mais seront prévues par les règlements à suivre.

Les BISN

Le projet de loi C-15 propose la modification de la Loi sur les banques, conférant au Bureau des surintendants des institutions financières (BSIF) le pouvoir de désigner les BISN en vertu d’un processus entrainant la publication de ces désignations. Le surintendant peut, par ordonnance, désigner une banque comme BISN sauf si le ministre des Finances est d’avis que cela n’est pas dans l’intérêt public. Le surintendant peut aussi révoquer une désignation à titre de BISN. Les modifications apportées à la Loi sur les banques prévoient que le surintendant doit, pour chaque BISN, fixer le montant des fonds propres, composé des actions et des passifs visés par règlement, qui constituent la capacité minimale des BISN d’absorber des pertes. Le BSIF a déjà publié un préavis désignant les six plus importantes banques canadiennes comme BISN.

La SADC

Le projet de loi déposé prévoit que si le surintendant du Bureau du surintendant des institutions financières (« BSIF ») est d’avis qu’une BISN a cessé, ou cessera bientôt, d’être viable et que sa viabilité ne peut pas être rétablie au moyen de l’exercice des pouvoirs du surintendant, le gouvernement fédéral peut nommer la Société d’assurance-dépôts du Canada (« SADC ») comme séquestre de la banque et donner à la SADC le pouvoir de convertir certaines actions et certains passifs de la banque en actions ordinaires de la banque ou d’une des entités de son groupe. Le projet de loi ne précise pas les actions et les passifs assujettis au pouvoir de conversion, lesquels seront précisés par règlements. Le pouvoir de conversion s’appliquera uniquement aux actions et aux passifs émis ou créés à compter de la date d’entrée en vigueur des règlements sauf si, à compter de cette date, les actions ou les passifs sont modifiés ou, dans le cas des passifs, la durée de leur terme est prolongée. Le projet de loi prévoit également des modifications additionnelles à la Loi sur la Société d’assurance-dépôts du Canada Loi sur la SADC ») qui élargissent le pouvoir de résolution bancaire de la SADC à l’égard des BISN, notamment le pouvoir de la SADC de prendre le contrôle temporairement d’une BISN. De plus, le projet de loi élargit les cas où des restrictions, comme une suspension empêchant la résiliation de contrats (sous réserve des limites mentionnées ci-après concernant les contrats financiers admissibles), seront imposées à la suite d’un décret de mise sous séquestre ou de conversion de la SADC, notamment l’interdiction de résilier un contrat en raison (i) de la « détérioration de la situation financière » de la banque ou d’une entité de son groupe, des fournisseurs de soutien au crédit ou des garants (plutôt que seulement l’insolvabilité de la banque), (ii) d’un défaut non pécuniaire par la banque ou une entité de son groupe avant la prise du décret ou (iii) d’un défaut pécuniaire, avant la prise du décret, qui est corrigé dans un délai de 60 jours.

L’indemnité

Le projet de loi C-15 prévoit que si une personne désignée se trouve dans une situation financière moins favorable, suivant la conversion, qu’elle l’aurait été dans le cadre d’une liquidation, cette personne a droit à une indemnité. Cette situation pourrait se produire, par exemple, lorsqu’un porteur de titres de créance les fait convertir en actions ordinaires et perd la priorité à laquelle il aurait autrement eu droit par rapport aux porteurs d’actions ordinaires lors de la liquidation d’une banque.

Les contrats financiers admissibles

Les contrats financiers admissibles (« CFA ») correspondent essentiellement à ce qui est généralement considéré, sur le plan commercial, comme des instruments dérivés, des prêts de titres ou des opérations de mise en pension.

Sous réserve de certaines exceptions, la Loi sur la SADC contient des dispositions prévoyant le caractère exécutoire des droits de résiliation et de compensation, notamment les garanties financières applicables, en vertu d’un CFA, malgré la suspension automatique de la résiliation des contrats qui s’appliquerait autrement à la prise d’un décret de mise sous séquestre ou d’un décret similaire par la SADC. À l’heure actuelle, dans le cas de la mise sous séquestre par la SADC, lorsqu’un décret de constitution d’une institution-relais est pris, on ne peut invoquer les Safe Harbors applicables à un CFA pendant un jour ouvrable (« suspension de l’institution-relais ») lorsque le décret de résiliation et de compensation est pris uniquement en raison (i) de l’insolvabilité de la banque, (ii) de la prise d’un décret nommant la SADC comme séquestre ou constituant l’institution-relais ou (iii) la cession du CFA à une institution-relais (« motifs de résiliation suspendus »).

Le projet de loi C-15 modifie les Safe Harbors applicables aux CFA principalement de trois façons. Premièrement, le projet de loi C-15 prévoit que la suspension de l’institution-relais s’applique de manière à suspendre (i) la résiliation ou la modification du CFA, (ii) l’exercice de toute clause de déchéance du terme prévu dans le CFA et (iii) toute opération à l’égard de la garantie financière afférente (à l’exception de deux mesures décrites plus loin) (« mesures suspendues ») lorsqu’un décret constituant une institution-relais est pris. Il élargit également les motifs de résiliation suspendus suivant la suspension de l’institution-relais de manière à englober la « détérioration de la situation financière » de la banque, des entités de son groupe ou de ses fournisseurs de soutien au crédit ou garants selon un CFA en plus de l’insolvabilité de la banque. Toutefois, le projet de loi C-15 précise que les mesures suivantes ne sont pas assujetties à la suspension de l’institution-relais : a) l’exercice de recours en cas de défaut de verser toute somme due en vertu d’un CFA et b) la compensation relativement à toute somme due en vertu du CFA. Par conséquent, dans de tels cas, si une banque est en défaut de paiement en violation du CFA, la partie non en défaut peut exercer ses recours même si un décret constituant une institution-relais a été pris.

Deuxièmement, le projet de loi C-15 modifie les dispositions Safe Harbors applicables aux CFA prévues par la Loi sur la SADC afin de prévoir que, dans le cas où aucune institution-relais n’est créée, ou si une institution-relais est créée et la SADC lui cède le CFA avant l’expiration de la suspension d’un jour ouvrable susmentionné, les mesures suspendues ne peuvent pas être prises en raison uniquement, selon le cas :

  • de l’insolvabilité ou de la détérioration de la situation financière de la banque, de toute entité de son groupe ou de quiconque lui offre un soutien au crédit ou garant;

  • de la cession du CFA de la banque à une institution-relais ou à un tiers ou de la prise en charge du CFA par une institution relais ou un tiers;

  • de la prise du décret nommant la SADC comme séquestre ou d’un décret similaire ou d’un changement de contrôle ou de propriété de la banque ou d’une entité de son groupe;

  • de la conversion des actions ou des passifs de la banque conformément à leurs modalités ou par suite d’un décret.

Le gouvernement fédéral peut ordonner par décret la fin de cette suspension au moment qu’il fixe si tout ou presque tous les éléments d’actifs de la banque seront transférés à un tiers, sauf à l’égard des CFA que la SADC s’engage à céder à un tiers avant le moment fixé.

Troisièmement, le projet de loi C-15 modifie les dispositions relatives aux CFA de manière à prévoir que les mesures suspendues ne s’appliquent pas aux CFA qui ont été compensés sauf si la SADC s’est engagée à accorder une aide financière dont la banque a besoin afin de s’acquitter de ses obligations envers la chambre de compensation à leur échéance.

Le calendrier

Le projet de loi ne prévoit aucun échéancier de mise en œuvre du régime de recapitalisation interne proposé. Le projet de loi C‑15 prévoit qu’il entrera en vigueur à une date à déterminer.


[1] Le projet de loi C-15 est rédigé d’une façon beaucoup plus large et étend la portée des titres susceptibles d’être visés par une recapitalisation interne à l’ensemble des actions et des passifs d’une BISN. Toutefois, le régime de recapitalisation interne ne s’appliquera pas aux dépôts des consommateurs, qu’ils soient d’un montant intérieur ou supérieur au seuil assuré.

Auteurs