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Le français dans les entreprises : projet de loi 14

Le 6 décembre 2012, le gouvernement Marois a déposé le projet de loi 14 sur l’avenir du français au Québec (Projet de loi). Ce Projet de loi apporte des modifications à la Charte de la langue française (Charte). En plus de préciser le rôle du ministre responsable, le Projet de loi introduit de nouvelles mesures concernant la protection et la valorisation du français par le gouvernement, les entreprises, les municipalités, les universités et les collèges.

De manière générale, l’objectif du Projet de loi est de permettre au gouvernement d’adapter la Charte afin qu’elle réponde aux besoins d’aujourd’hui et pour renforcer le français comme langue commune de la société québécoise. Dans le cadre de cet article, nous allons traiter en premier lieu de l’état actuel du droit et nous allons ensuite analyser les répercussions que le Projet de loi pourrait avoir sur les entreprises, s’il est adopté.

État actuel du droit

Nous allons aborder trois volets prévus à la Charte, soit la langue du travail, la langue du commerce et des affaires et la francisation des entreprises.

La langue du travail

La Charte impose aux employeurs d’utiliser la langue officielle, soit le français, dans les communications écrites adressées à son personnel, dans les conventions collectives ainsi que dans les offres d’emploi ou de promotion.

Elle interdit aux employeurs de congédier, de mettre à pied, de rétrograder ou de déplacer un membre de son personnel pour la seule raison que ce dernier ne parle que le français ou qu'il ne connaît pas suffisamment une langue donnée autre que la langue officielle.

Il est également interdit aux employeurs d'exiger, pour l'accès à un emploi ou à un poste, un niveau de connaissance spécifique d'une langue autre que la langue officielle, à moins que l'accomplissement de la tâche ne nécessite une telle connaissance.

La langue du commerce et des affaires

Règle générale, en affaires, le français doit être la langue utilisée pour communiquer les informations. Les documents qui doivent être rédigés en français sont les suivants : les formulaires de demande d’emploi, les bons de commande, les factures, les reçus et quittances, de même que les catalogues, les brochures, les dépliants, les annuaires commerciaux et toute autre publication de même nature, toute inscription sur un produit, sur son contenant ou sur son emballage, sur un document ou objet accompagnant ce produit, y compris le mode d'emploi et les certificats de garantie, les menus et les cartes des vins.

Dans certains cas, tels les contrats d’adhésion ou les contrats où figurent des clauses-types imprimées, il est possible de les rédiger dans une langue autre que la langue française, si telle est la volonté des parties.

L'affichage public et la publicité commerciale doivent également se faire en français. Ils peuvent être faits à la fois en français et dans une autre langue pourvu que le français y figure de façon nettement prédominante. Toutefois, le gouvernement peut déterminer, par règlement, les lieux, les cas, les conditions ou les circonstances où l'affichage public et la publicité commerciale doivent se faire uniquement en français ou peuvent se faire sans prédominance du français ou uniquement dans une autre langue.

Quant au nom d’une entreprise, un nom en langue française est nécessaire à l’obtention de la personnalité juridique. Le nom de l'entreprise peut être assorti d'une version dans une autre langue que le français pourvu que, dans son utilisation, le nom de langue française figure de façon au moins aussi évidente. Toutefois, dans l'affichage public et la publicité commerciale, l'utilisation d'un nom dans une autre langue que le français est possible dans la mesure où l’utilisation de cette autre langue dans cet affichage ou cette publicité a été permise par le gouvernement. En outre, dans les textes ou documents rédigés uniquement dans une autre langue que le français, un nom peut apparaître uniquement dans l'autre langue.

La francisation des entreprises

Les programmes de francisation ont pour but la généralisation de l'utilisation du français à tous les niveaux de l'entreprise par (i) la connaissance de la langue officielle chez les dirigeants, les membres des ordres professionnels et les autres membres du personnel, (ii) l'augmentation, s'il y a lieu, à tous les niveaux de l'entreprise, y compris au sein du conseil d'administration, du nombre de personnes ayant une bonne connaissance de la langue française de manière à en assurer l'utilisation généralisée, (iii) l'utilisation du français comme langue du travail et des communications internes, (iv) l'utilisation du français dans les documents de travail de l'entreprise, notamment dans les manuels et les catalogues, (v) l'utilisation du français dans les communications avec l'Administration, la clientèle, les fournisseurs, le public et les actionnaires sauf, dans ce dernier cas, s'il s'agit d'une société fermée au sens de la Loi sur les valeurs mobilières1, (vi) l'utilisation d'une terminologie française, (vii) l'utilisation du français dans l'affichage public et la publicité commerciale, (viii) une politique d'embauche, de promotion et de mutation appropriée et (ix) l'utilisation du français dans les technologies de l'information.

L'entreprise employant 100 personnes ou plus doit instituer un comité de francisation composé d'au moins six personnes. Le comité de francisation procède à l'analyse linguistique de l'entreprise et en fait rapport à la direction de l'entreprise pour transmission à l'Office québécois de la langue française (Office). S'il y a lieu, il élabore le programme de francisation de l'entreprise et en surveille l'application. Il doit, lorsqu'un certificat de francisation est délivré à l'entreprise, veiller à ce que l'utilisation du français demeure généralisée à tous les niveaux de l'entreprise.

L'entreprise qui, durant une période de six mois, emploie 50 personnes ou plus doit, dans les six mois de la fin de cette période, s'inscrire auprès de l'Office. Elle doit, à cet effet, informer l'Office du nombre de personnes qu'elle emploie et lui fournir des renseignements généraux sur sa structure juridique et fonctionnelle et sur la nature de ses activités. L'Office délivre à cette entreprise une attestation d'inscription. Dans les six mois de la date de délivrance de cette attestation d'inscription, l'entreprise transmet à l'Office une analyse de sa situation linguistique. Après analyse, l’Office peut décider soit de délivrer un certificat de francisation, soit de généraliser l’utilisation du français à tous les niveaux de l’entreprise en adoptant un programme de francisation tel que mentionné précédemment.

Après avoir approuvé le programme de francisation d'une entreprise, l'Office lui délivre une attestation d'application d'un tel programme. L'entreprise doit se conformer aux éléments et aux étapes prévus dans son programme et tenir son personnel informé de son application. Elle doit, en outre, remettre à l'Office des rapports sur la mise en œuvre de son programme, tous les 24 mois dans le cas où l'entreprise emploie moins de 100 personnes et tous les 12 mois dans le cas où elle emploie 100 personnes ou plus.

Lorsque l'entreprise a terminé l'application de son programme de francisation et que l'Office estime que l'utilisation du français est généralisée à tous les niveaux de l'entreprise, il lui délivre un certificat de francisation. Toute entreprise qui possède un certificat de francisation délivré par l'Office a l'obligation de s'assurer que l'utilisation du français y demeure généralisée à tous les niveaux et doit remettre à l'Office, à tous les trois ans, un rapport sur l'évolution de l'utilisation du français dans l'entreprise.

Une entreprise qui ne respecte pas ses obligations légales commet une infraction et est passible de sanctions pénales.

Modifications apportées par le projet de loi 14

En premier lieu, il est important de noter que si le Projet de loi est adopté, les entreprises comptant entre 26 et 49 employés devront également mettre en place des mesures de francisation.

Ainsi, l’entreprise qui compte entre 26 et 49 personnes à son emploi et qui maintient ce nombre, pour deux années consécutives, pendant plus de six mois, devra vérifier son mode de fonctionnement et faire du français la langue normale et habituelle du travail. Lorsque des correctifs lui permettraient de mieux atteindre cet objectif, l’entreprise devra adopter des mesures de francisation. Selon le diagnostic posé et les problématiques identifiées, ces mesures devront aborder l’un ou plusieurs des éléments suivants : (i) la liste des postes qui requièrent la connaissance d’une langue autre que le français en indiquant la date à laquelle a été faite l’évaluation et le niveau de connaissance exigé pour chacun, (ii) la politique de mutation et de promotion, (iii) l’usage du français dans les réunions et dans les communications internes, (iv) la formation destinée aux personnes à son emploi qui est nécessaire à la mise en œuvre de changements apportés par l’entreprise, (v) le mécanisme de traitement des plaintes au sein de l’entreprise et le nom de la personne responsable de la francisation et (vi) tout autre moyen pris par l’entreprise visant à faire du français la langue normale et habituelle du travail.

Les entreprises comptant 100 employés et plus et celles comptant 50 employés ou plus sont peu touchées par le Projet de loi.

Il est important de noter que le Projet de loi prévoit que l’entreprise demeurera assujettie aux dispositions de la Charte portant sur la francisation des entreprises malgré toute diminution du nombre de personnes à son emploi, à moins qu’une autre règle ne soit prévue par le gouvernement, par règlement.

En deuxième lieu, les obligations générales applicables à toutes les entreprises quant à la langue au travail et à la langue du commerce et des affaires sont pour la plupart maintenues ou renforcées.

Les employeurs auront en outre l’obligation de (i) rendre disponible en français leurs formulaires de demande d’emploi, (ii) de signer en français des contrats de travail, à moins qu’ils ne soient rédigés dans une autre langue à la volonté expresse des parties et (iii) de rendre disponible en français le règlement intérieur et tout document énonçant les droits et obligations du travailleur, ainsi que les instructions obligatoires pour l’exécution de son travail, notamment en matière d’hygiène ou de sécurité.

Également, en plus de la convention collective, toute autre entente collective portant sur les conditions d’engagement, les conditions de rémunération ou la rétribution de services, négociée par une association ou un regroupement reconnu en vertu d’une loi devra, si elle n’est pas déjà rédigée dans cette langue, être disponible en français dès sa signature.

Pour les entreprises comptant 10 employés ou plus, l’employeur devra afficher dans un endroit bien en vue de son établissement une pancarte informant ses travailleurs des principales règles générales prévues à la Charte.

Le Projet de loi ajoute une nouvelle règle contre la discrimination et le harcèlement envers une personne parce qu’elle ne maîtrise pas ou peu une langue autre que le français, parce qu’elle revendique la possibilité de s’exprimer en français ou parce qu’elle a exigé le respect d’un droit découlant de la Charte.

Finalement, si le Projet de loi est adopté, la Charte permettra à la personne qui se croit victime d’une pratique interdite d’adresser une plainte à la Commission des normes du travail conformément à l’article 123 de la Loi sur les normes du travail2.


1 chapitre V-1.1
2 chapitre N-1.1