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La Cour rend des décisions clés dans une affaire de contrefaçon de droit d’auteur visant un logiciel ouvert

Dans le dernier épisode de la chronique Jacobsen c. Katzer, la Cour de district du district nord de la Californie a statué que les fichiers en libre accès d’un logiciel de trains miniatures avaient droit à la protection conférée par le droit d’auteur. Même si le titulaire du droit d’auteur avait fourni le code gracieusement, la Cour a accueilli sa demande en dommages-intérêts puisqu’il existait une preuve attribuant une valeur monétaire au travail exécuté par les réalisateurs du logiciel.

Dans cette affaire, le demandeur Jacobsen était le membre principal du projet à libre accès JMRI (Java Mobile Railroad Interface). Cet organisme avait réalisé une application logicielle appelée Decoder Pro destinée aux amateurs de trains miniatures. Jacobsen étant titulaire du droit d’auteur sur certains fichiers Decoder Pro, il a rendu ces fichiers disponibles à des fins de téléchargement public sans frais aux termes d’une soi-disant « licence artistique » (Artistic License) (sorte de licence de logiciel libre). La licence permettait aux utilisateurs de copier, de modifier ou de distribuer le contenu concédé sous licence à condition que les utilisateurs indiquent de nouveau les mentions de la source qui figurent sur le logiciel, répètent tous les avis de droit d’auteur et décrivent les modifications apportées au fichier d’origine.

Jacobsen a poursuivi les défendeurs en contrefaçon du droit d’auteur, alléguant qu’ils avaient téléchargé ses fichiers, avaient inclus des parties des fichiers dans leur programme de logiciel concurrent et avaient omis de respecter les modalités de la licence artistique.

La Cour d’appel du circuit fédéral des États-Unis a statué qu’en omettant de se conformer aux modalités et conditions d’une licence artistique, une partie s’exposait à une responsabilité en matière de violation du droit d’auteur. La Cour d’appel a renvoyé l’affaire à la Cour de district pour examiner s’il y avait eu contrefaçon en fonction des faits dans l’affaire.

La Cour de district a depuis rejeté la requête en jugement sommaire partiel des défendeurs et accueilli en partie la requête en jugement sommaire du demandeur. Dans son jugement, la Cour a rendu des décisions importantes sur trois grandes questions :

  1. L’œuvre de Jacobsen jouit-elle de la protection du droit d’auteur? Dans leur requête en jugement sommaire partiel, les défendeurs ont fait valoir que l’œuvre de Jacobsen n’était pas suffisamment originale pour donner ouverture à la protection du droit d’auteur. Toutefois, la Cour de district a statué que le droit d’auteur pouvait subsister dans les fichiers-textes. Elle a fait observer qu’il existait [traduction] « une preuve non contestée dans le dossier indiquant que le demandeur et les autres membres du groupe JMRI avaient consacré une quantité suffisante de créativité au choix, à l’ordre et à l’arrangement des données recueillies dans les fichiers copiés » et que [traduction] « ces sélections et choix au sujet de l’arrangement reflètent la quantité minimale de créativité nécessaire pour répondre au seuil minimum de démonstration d’originalité ». Elle a donc rejeté la requête en jugement sommaire des défendeurs sur cette question. Ayant conclu que Jacobsen détenait un droit d’auteur valide et que les défendeurs avaient copié ses fichiers, la Cour a accordé un jugement sommaire à Jacobsen sur sa demande en contrefaçon de droit d’auteur (sur la question de la responsabilité).
  2. Y a-t-il ouverture à des dommages-intérêts en matière de droit d’auteur? Les défendeurs affirmaient que l’action en droit d’auteur de Jacobsen devait être rejetée parce qu’il n’avait pas subi de dommages, les œuvres étant distribuées sur Internet gracieusement. En rejetant la requête des défendeurs, la Cour a déclaré que les titulaires de droit d’auteur ont le droit de recouvrer des dommages-intérêts compensatoires en cas de contrefaçon et qu’il existait [traduction] « une preuve dans le dossier attribuant une valeur monétaire au travail réel exécuté par les collaborateurs du projet JMRI ».
  3. Le retrait par les défendeurs des mentions de la source constitue-t-il une violation de la loi intitulée Digital Millennium Copyright Act (DMCA)? Jacobsen a allégué que les défendeurs avaient violé un article de la DMCA, qui protège l’intégrité de l’information relative à la gestion du droit d’auteur. Il affirmait plus particulièrement que [traduction] « le nom de l’auteur, un titre, une mention de la licence et du lieu où trouver la licence, un avis de droit d’auteur, et le titulaire du droit d’auteur » constituaient de l’information relative à la gestion du droit d’auteur (« copyright management information ») au sens de la DMCA. Il a fait valoir qu’en retirant les mentions de la source de ces fichiers et en en faisant des copies, les défendeurs violaient la DMCA. La Cour a conclu que Jacobsen respectait tous les éléments d’une action en vertu de la DMCA, sauf qu’il restait une question au sujet de l’intention des défendeurs et de leurs connaissances. Puisqu’il y avait là matière à procès, la Cour n’a accueilli que la partie de la requête en jugement sommaire de Jacobsen ayant trait à l’action en vertu de la DMCA.

Remarques de McCarthy Tétrault 

Cette décision confirme l’opposabilité et la validité de licences de logiciel ouvert sous forme de licence artistique.

L’affaire est également intéressante car un membre du monde du logiciel ouvert cherchait à faire appliquer la DMCA de façon à protéger son modèle de concession de licence et son droit moral de paternité (le droit d’être identifié comme auteur) inhérent à la concession de licence de logiciel ouvert. Bien que dans certains cercles du monde du logiciel ouvert on s’oppose à la DMCA, cette affaire donne à penser qu’il existe des synergies possibles entre la mise à exécution de licences de logiciel ouvert et l’accessibilité à la protection de l’information relative à la gestion des droits prévue dans la DMCA.

On peut maintenant se demander quelle décision une cour canadienne aurait rendue sur la question de gestion des droits. Étant donné que le Canada n’a pas adopté de dispositions législatives pour mettre en œuvre le Traité de l’OMPI sur le droit d’auteur (WCT), alors que les États-Unis et beaucoup d’autres de nos partenaires commerciaux l’ont fait, le Canada n’a aucune loi protégeant expressément l’information relative à la gestion des droits. Jacobsen aurait eu à plaider que la suppression des mentions de la source violait son droit moral de paternité en vertu de la Loi sur le droit d’auteur.

Cela lui aurait peut-être accordé une certaine forme de réparation, mais elle aurait été limitée à l’information qui l’identifiait à titre d’auteur et ne serait pas appliquée à tous les autres renseignements que le WCT reconnaît en tant qu’information relative à la gestion des droits. En vertu de l’article 12 du WCT, la protection est obligatoire pour « des informations permettant d’identifier l’œuvre, l’auteur de l’œuvre, le titulaire de tout droit sur l’œuvre ou des informations sur les conditions et modalités d’utilisation de l’œuvre, et de tout numéro ou code représentant ces informations, lorsque l’un quelconque de ces éléments d’information est joint à l’exemplaire d’une œuvre ou apparaît en relation avec la communication d’une œuvre au public ».

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