Passer au contenu directement.

La Cour d'appel fédérale statue sur le brevet « en un seul clic » d'Amazon.com — Les pratiques commerciales demeurent brevetables au Canada

Le 24 novembre 2011, la Cour d'appel fédérale a rendu sa décision dans l'affaire Canada (PG) c. Amazon.com, Inc. et a enjoint à la commissaire aux brevets de réexaminer la demande de brevet d'Amazon.com conformément aux motifs invoqués par la Cour. Par conséquent, la brevetabilité ultime des revendications d'Amazon.com présentées dans la demande doit être établie, sous réserve de l'application particulière des motifs de la Cour par la commissaire. La décision de la Cour peut également faire l’objet d’un appel devant la Cour suprême du Canada.

La commissaire avait initialement rejeté la demande d'Amazon.com portant sur son nouveau système de commande de produits en ligne « en un seul clic ». La demande revendiquait une pratique et un système permettant à un client d'acheter un article en ligne en un seul clic. À la suite d'un long examen, la commissaire a conclu que l’objet de la demande ne visait pas un objet brevetable au sens de la Loi sur les brevets. En rejetant la demande, la commissaire a fondé sa décision en partie sur la jurisprudence étrangère, notamment celle du Royaume-Uni.

Dans le cadre d'un appel antérieur de la décision de la commissaire devant la Cour fédérale, le juge Phelan a rejeté les conclusions de la commissaire et a plutôt conclu que la commissaire n’avait pas appliqué les bons tests juridiques lors de l'évaluation de la demande. Le juge Phelan a plutôt formulé un test à trois volets et a conclu que l'objet d'une revendication visant une réalisation brevetable : a) ne doit pas être une idée désincarnée, mais comporter une méthode d’application pratique; b) elle doit constituer une façon nouvelle et innovatrice d’appliquer des compétences ou des connaissances; c) elle doit produire des résultats ou des effets commerciaux utiles. Ce critère reposait sur une décision rendue antérieurement par la Cour suprême du Canada dans l'affaire Shell Oil Co. c. Commissaire des brevets. Le juge Phelan avait également rejeté l'approche de la commissaire axée sur « la forme et la substance » aux fins de l'interprétation des revendications de brevets et est plutôt revenu au principe bien établi de l’« interprétation téléologique ». (À ce sujet, vous pouvez consulter notre article intitulé Les pratiques commerciales sont brevetables en « un clic » au Canada.) Même si le juge Phelan a demandé à la commissaire de réexaminer la demande en tenant compte du fait que les revendications constituaient un objet brevetable, la commissaire n'a pas accordé le brevet et a interjeté appel de la décision de la Cour fédérale, ce qui a donné lieu à la décision actuelle rendue par la Cour d'appel fédérale.

La juge Sharlow de la Cour d'appel fédérale s’est montrée d’accord avec le juge Phelan et a conclu que la doctrine de l’interprétation téléologique demeure l’un des principaux préceptes du droit canadien en matière de brevets. Toute évaluation de la brevetabilité de l'objet doit donc se fonder sur une interprétation téléologique des revendications de brevets.

La Cour a ensuite statué sur les divers tests ayant été utilisés par la commissaire pour rejeter la demande d'Amazon.com, notamment le test selon lequel l'objet admissible au brevetage 1) doit être de nature technologique; 2) ne doit pas être une pratique commerciale; 3) doit produire un changement de nature ou d’état d'un objet physique. La Cour d'appel fédérale a conclu que la commissaire devrait être prudente lorsqu'elle élabore de tels critères ou lorsqu'elle s'appuie sur ceux-ci et qu'elle devrait plutôt se concentrer sur les principes tirés de la jurisprudence. Cependant, la Cour a formulé une mise en garde à l’effet qu’il faut faire attention à ne pas appliquer un principe jurisprudentiel de façon à empêcher la possibilité qu'une nouvelle connaissance puisse rendre les idées conventionnelles obsolètes.

Conformément au juge Phelan, la Cour d'appel fédérale a explicitement rejeté le test de nature technologique à titre de test indépendant afin de déterminer le caractère brevetable d'un objet. Pour ce qui est de l'exclusion générale des pratiques commerciales par la commissaire, la Cour a conclu qu'aucune jurisprudence canadienne ne pouvait établir de façon irréfutable qu'une pratique commerciale ne devrait pas constituer un objet brevetable. Cette conclusion était également conforme à celle du juge Phelan. Toutefois, même si le juge Phelan peut avoir établi en tant que règle générale qu'une pratique commerciale devient un objet brevetable lorsqu’elle a une « concrétisation pratique » ou une « application pratique », la Cour n'était pas d'accord avec le fait qu'il s'agissait d'un test distinctif. À cet égard, la Cour a fourni son aide uniquement afin d'établir que si l'unique aspect inventif d'une invention revendiquée était un algorithme (soit une formule mathématique) qui est programmé dans un ordinateur, cela ne serait pas suffisant pour présenter une demande invoquant un objet brevetable. En ce sens, la Cour a fait référence à sa décision rendue précédemment dans l'affaire Schlumberger Canada Ltd. c. Commissaire des brevets. Finalement, pour ce qui est du test selon lequel un objet physique doit subir un changement de nature ou d'état, la Cour a souscrit à l'exigence formulée par le juge Phelan prévoyant que l'objet brevetable doit avoir une existence physique ou comporter un effet ou un changement visible. Toutefois, la Cour a rejeté explicitement la proposition faite par le juge Phelan selon laquelle une simple « application pratique » est suffisante pour donner à l'invention revendiquée le « caractère physique » pour qu'elle soit considérée comme un objet brevetable.

La Cour d'appel fédérale a ordonné que la commissaire réexamine dans les plus brefs délais la demande en tenant compte des lignes directrices citées en conformité avec ses motifs. La Cour d'appel fédérale a signifié son désaccord avec le juge Phelan sur la question visant à déterminer si la Cour devrait elle-même entreprendre une interprétation téléologique des revendications en se fondant uniquement sur les données dont elle dispose. Même si la commissaire peut être avantagée du fait qu'elle reçoit les demandes du demandeur et qu’elle bénéficie de l'aide d'employés expérimentés sur le plan technique, la Cour a indiqué que les juges exigent généralement la preuve d'expert de personnes compétentes versées dans l'art afin d'interpréter adéquatement les revendications de brevets.

Les parties disposent de 60 jours pour interjeter appel à la Cour suprême du Canada.

Remarques de McCarthy Tétrault

Même si elle vise précisément la technologie de commande en ligne en un seul clic extrêmement populaire d'Amazon.com, cette décision a également une incidence sur la brevetabilité de diverses innovations informatiques, y compris celles dans le secteur financier et dans le domaine de l'économie du savoir en général.

Comme la Cour d'appel fédérale a enjoint à la commissaire des brevets de réexaminer la demande d'Amazon.com, il reste à voir quels seront les effets pratiques de cette décision. Bien que les innovations dans le secteur de l’informatique ainsi que les pratiques commerciales inventives et nouvelles puissent jouer un rôle de plus en plus important dans la concurrence comparative des entreprises canadiennes, la ligne permettant de distinguer les innovations brevetables des innovations non brevetables continue d'être mal définie.

Dans l'intervalle, les personnes présentant des demandes de brevets devraient veiller à ce que les descriptions et qu'au moins quelques-unes des revendications figurant dans leurs demandes de brevets décrivent un effet visible sur le plan physique, afin de répondre à l'exigence relative au « caractère physique », telle que formulée par la Cour d'appel fédérale conformément à la ligne directrice générale de l'arrêt Schlumberger. De plus, les demandeurs devraient veiller à ce que certaines de leurs revendications ne portent pas idéalement, d'un point de vue de l'interprétation téléologique, sur un seul aspect inventif qui constitue une simple pratique commerciale ou, de façon plus générale, sur un algorithme. Les décisions futures des tribunaux et de la commissaire, en particulier à l'égard de la demande d'Amazon.com sous examen, permettront de clarifier les critères jugés suffisants afin de satisfaire à ces exigences.

Dans l'ensemble, cette importante décision appuie généralement l’augmentation des acceptations de brevets visant des inventions et des pratiques commerciales dans le secteur de l’informatique au Canada.

Auteurs