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La Cour d’appel fédérale confirme le tarif homologué par la Commission du droit d’auteur dans le secteur de l’enseignement

La Cour d’appel fédérale (Cour) a récemment rendu une importante décision en matière d’utilisation équitable dans le secteur de l’enseignement allant de la maternelle à la 12année (équivalant à la première année d’études collégiales au Québec). Elle a confirmé la décision de la Commission du droit d’auteur selon laquelle la reproduction de manuels scolaires et d’autres documents protégés par le droit d’auteur par les enseignants à des fins d’utilisation dans une salle de classe n’est pas admissible à l’exception relative à l’utilisation équitable aux fins d’étude privée. Cette décision signifie que le personnel enseignant est tenu de verser des redevances en matière de droit d’auteur lorsqu’il fait des copies multiples d’œuvres protégées par le droit d’auteur devant être utilisées dans les salles de classe au Canada, puisqu’une telle utilisation n’est pas une utilisation « équitable » au sens de la Loi sur le droit d’auteur (Loi).

L’exception relative à l’utilisation équitable prévue dans la Loi permet à quiconque d’utiliser, sans qu’il n’y ait violation du droit d’auteur, des œuvres protégées par le droit d’auteur à la condition que cette utilisation vise l’une des fins énumérées et qu’elle soit équitable. L’une de ces fins prévues à l’article 29 est « d’étude privée ou de recherche ».

Access Copyright a demandé à la Commission de fixer une redevance afin d’indemniser les propriétaires et les éditeurs relativement aux photocopies de documents protégés par le droit d’auteur dans les écoles de la maternelle à la 12e année au cours des années 2005 à 2009 à l’extérieur du Québec. Les ministres provinciaux de l’Éducation et les commissions scolaires de l’Ontario ont allégué que les copies de manuels scolaires et d’autres documents protégés par le droit d’auteur à des fins d’enseignement dans les salles de classe constituaient une utilisation équitable. La Commission a appliqué le critère de l’arrêt CCH c. Barreau du Haut-Canada, a conclu que la copie n’était pas à des fins d’étude privée et a homologué le tarif d’Access Copyright.

Les ministres provinciaux de l’Éducation et les commissions scolaires de l’Ontario ont alors demandé un contrôle judiciaire de la décision de la Commission. En rendant sa décision relative à la demande, la Cour a déclaré que la « Commission a cité le critère applicable, celui de l’arrêt CCH et, pour des motifs clairs et compréhensibles, elle en est arrivée à une conclusion justifiable » et n’a constaté aucune erreur justifiant son intervention sur la question de l’utilisation équitable.

Dans les motifs de la décision, la Cour en est arrivée à un certain nombre de conclusions importantes.

La Cour a confirmé la décision dans l’arrêt CCH voulant que pour établir qu’une utilisation est équitable au sens de l’article 29 de la Loi, le défendeur doit prouver : 1) qu’il s’agit d’une utilisation aux fins d’étude privée ou de recherche et 2) que cette utilisation était équitable.

La Cour a également confirmé que la deuxième étape, celle à laquelle on se demande si l’utilisation est équitable, est « une question de fait qui doit être tranchée à partir des circonstances de l’espèce ». Répétant ce que la Cour suprême a dit dans l’arrêt CCH, la Cour d’appel a conclu que le caractère équitable de l’utilisation est déterminé en examinant six facteurs non exhaustifs : 1) le but de l’utilisation; 2) la nature de l’utilisation; 3) l’ampleur de l’utilisation; 4) les solutions alternatives à l’utilisation; 5) la nature de l’œuvre; 6) l’effet de l’utilisation sur l’œuvre.

Puisque la Commission a tenu pour avéré que les copies étaient faites pour une fin énumérée, la Cour s’est concentrée sur la question de savoir si la Commission avait commis une erreur en concluant que l’utilisation des copies devant être utilisées dans les salles de classe était équitable.

En examinant les fins de l’utilisation, la Cour a accepté que l’étude « privée » ne pouvait être considérée comme un synonyme d’étude non commerciale. L’« étude privée » signifie « étude personnelle ». La Cour a constaté que « lorsque des élèves étudient collectivement des documents en classe, ils ne se livrent pas à une étude « privée »; on peut dire qu’ils « étudient », tout simplement ».

Après avoir examiné la jurisprudence du Canada, du Royaume-Uni, de la Nouvelle-Zélande et des États-Unis, la Cour a également indiqué que les tribunaux doivent évaluer le véritable motif ou objectif du prétendu contrefacteur afin d’évaluer la question de savoir si une utilisation est équitable.

Sur les faits de l’affaire, la Cour a conclu que la Commission a agi de façon raisonnable en tenant compte de la question de savoir si l’élève avait demandé les copies ou si l’enseignant avait fait les copies de sa propre initiative. La Commission pouvait à juste titre conclure que, lorsqu’un élève reçoit l’instruction de lire un document, il est probable que la copie vise un enseignement en classe plutôt que l’étude privée de l’élève.

La Cour a jugé que les conclusions tirées par la Commission au sujet des autres facteurs énoncés dans l’arrêt CCH étaient raisonnables, en indiquant :

Pour ce qui est de la nature de l’utilisation, les demandeurs citent des témoignages suivant lesquels, normalement, les élèves détruisent ou perdent les photocopies. La Commission a toutefois conclu que les élèves conservaient souvent leurs copies dans des cartables pendant toute la durée de l’année scolaire. S’agissant de l’effet de l’utilisation, la Commission a conclu, vu l’ensemble de la preuve dont elle disposait, qu’il était probable que l’utilisation avait nui à la vente de manuels scolaires. Bien que la Commission ait admis qu’elle ne disposait d’aucun élément de preuve déterminant en ce sens, elle n’a pas agi de façon déraisonnable en tenant compte de la baisse générale des ventes lorsqu’elle a procédé à son analyse de l’utilisation.

De l’avis de la Cour, la conclusion de la Commission selon laquelle l’utilisation des copies ne répondait pas à la définition d’étude privée et était inéquitable constituait « une conclusion légitime qu’il était loisible à la Commission de tirer vu l’ensemble de la preuve dont elle disposait ».

La décision de la Cour revêt une importance considérable : bien qu’elle reconnaisse que le « droit des utilisateurs » comme l’utilisation équitable doit être interprété « de façon large et libérale », une telle interprétation ne peut avoir préséance sur le libellé de la Loi et ne peut créer des exceptions allant au-delà de celles établies par le Parlement.

La Cour a renvoyé à la Commission la décision quant à la question de savoir si les copies pouvaient être visées par une exception en vertu de l’article 29.4 de la Loi. Cet article permet à une personne de reproduire une œuvre protégée par le droit d’auteur à des fins pédagogiques si l’œuvre n’est pas accessible sur le marché sur un support approprié aux fins visées. Selon la Cour, la Commission n’a pas interprété les mots « sur un support approprié aux fins visées » et a ordonné à la Commission d’entreprendre une analyse exhaustive relative à la responsabilité.

Les ministres de l’Éducation demandent maintenant l’autorisation d’interjeter appel de la décision de la Cour à la Cour suprême du Canada.

McCarthy Tétrault a agi à titre de conseiller juridique de certains des intervenants dans le cadre de la demande de contrôle judiciaire.

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