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La bonne foi dans la passation (ou l’exécution) de contrats

Que cachent les mots? Curieusement, l’extrait suivant de l’acte II, scène I de la pièce l’Avare de Molière nous rappelle qu’il est important de bien peser chaque mot que nous utilisons :
Cléante : Il y a encore quelque chose?
La Flèche : Ce n’est plus qu’un petit article. « Des quinze mille francs qu’on demande, le prêteur ne pourra compter en argent que douze mille livres, et, pour les mille écus restants, il faudra que l’emprunteur prenne les hardes, nippes et bijoux dont s’ensuit le mémoire, et que ledit prêteur a mis de bonne foi au plus modique prix qu’il lui a été possible. »
Cléante : Que veut dire cela?

L’expression « passation d’un contrat » peut signifier deux choses, soit : i) la confirmation de l’existence d’un contrat, habituellement en le signant, bien qu’il soit possible de conclure un contrat verbalement; et ii) l’exécution des obligations convenues dans le cadre du contrat.

Un accord d’entente future ne constitue pas un contrat exécutoire, tel que l’a précisé mon collègue M. Geoff Hall dans son livre intitulé Canadian Contractual Interpretation Law (2007, LexisNexis), à la page 132 :

[Traduction] L’affaire Bawitko Investments Ltd. v. Kernels Popcorn Ltd. (1991), 79 D.L.R. (4th) 97 (Ont. C.A.) est un arrêt-clé canadien portant sur les accords d’entente future et précise judicieusement les diverses sous-questions soulevées par l’affirmation selon laquelle un accord d’entente future ne peut être mis à exécution... Autrement dit, la notion de base prévoyant qu’un accord d’entente future ne peut être mis à exécution comporte trois sous-affirmations distinctes. Premièrement, le contrat ne peut être mis à exécution lorsque les modalités essentielles n’ont pas été convenues, mais plutôt laissées en plan par les parties en vue d’une entente future. Deuxièmement, le contrat ne peut être mis à exécution lorsque les dispositions se rapportant aux modalités ayant été convenues ne sont pas suffisamment certaines. Troisièmement, le contrat ne peut être mis à exécution lorsque les parties ne souhaitent pas être contractuellement liées par une entente provisoire jusqu’à ce qu’un document officiel soit signé ultérieurement.

Toutefois, lorsqu’un contrat est conclu, les parties sont tenues de régir de bonne foi leurs actions dans la passation ou l’exécution des modalités de ce contrat, même s’il est possible que l’expression « de bonne foi » ne soit pas comprise explicitement dans le contrat.

Comme l’a indiqué le juge d’appel Blair dans l’affaire Nareerux Import Co. Ltd. v. Canadian Imperial Bank of Commerce, 2009 ONCA 764 (CanLII) au par. 69 :

[Traduction] Bien que le droit canadien n’ait pas encore reconnu une « obligation d’agir de bonne foi » distincte dans le cadre de l’exécution d’un contrat qui est indépendante des modalités du contrat, comme l’ont fait les États-Unis, la jurisprudence établit qu’il existe une obligation contractuelle implicite de bonne foi de ne pas agir d’une façon qui est contraire à l’objet et à l’objectif mêmes du contrat.

Que signifie l’expression agir « de bonne foi »? La Cour suprême du Canada dans l’arrêt Roncarelli c. Duplessis (1959), 16 D.L.R. (2d) 689 a précisé ce qui suit : « La bonne foi consistait à appliquer la loi d’une manière conforme à son intention et dans le but auquel elle tend; cela signifie qu’ils devraient agir de bonne foi dans une appréciation raisonnable de cette intention et de ce but ». À cet égard, le mot « contrat » pourrait être remplacé par le mot « loi ». Le juge McEachern dans l’affaire Nystad v. Harcrest Apt. Ltd. 1986 CanLII 1057 (C.S. C.-B.) au par. 18 a adopté l’interprétation suivante de l’expression agir « de bonne foi » :

[Traduction] Conformément au Black’s Law Dictionary, 5th ed. (1979), l’expression agir « de bonne foi » n’a aucune signification technique mais est plutôt employée afin de « décrire l’état d’esprit d’une personne qui agit de façon honnête, sans intentions malveillantes et signifie, en général, être loyal dans l’exécution d’un devoir ou d’une obligation », ou renvoie à « une intention honnête de s’abstenir de profiter d’autrui de façon inique en dépit des technicalités du droit, combinée à l’absence de tout renseignement, avis ou avantage ou de toute croyance à l’égard des faits qui rendent l’opération inique. »

Mais pour quelle raison une partie pourrait-elle être exemptée de ses obligations aux termes du contrat? L’obligation d’exécution de bonne foi constitue-t-elle une obligation de « vie ou de mort »? Il est évident qu’une personne ne peut se fonder sur son propre manquement : voir la décision intitulée Southcott Estates Inc. v. Toronto Catholic School Board, 2010 ONCA 310 (CanLII) aux par. 13 et 14.

Les parties peuvent être exemptées de leurs obligations juridiques si elles prouvent qu’il y a eu impossibilité d’exécution : voir l’arrêt intitulé Naylor Group Inc. c. Ellis-Don Construction Ltd., 2001 CSC 58 au par. 53, dans lequel le juge Binnie a affirmé ce qui suit :

Il y a impossibilité d’exécution lorsque survient une situation que les parties n’ont pas prévue dans le contrat et qui fait en sorte que l’exécution du contrat devient « quelque chose de radicalement différent des engagements pris au contrat » : voir la décision intitulée Peter Kiewit Sons’ Co. c. Eakins Construction Ltd., [1960] R.C.S. 361.

Toutefois, si les parties avaient envisagé la possibilité qu’une telle difficulté survienne, il ne serait donc pas question d’impossibilité d’exécution.

Qu’advient-il alors des trois concepts, soit la force majeure, l’acte de Dieu (Act of God) et le cas fortuit? Le Dictionnaire de droit québécois et canadien Hubert Reid (2004, 3e éd., Wilson & Lafleur) décrit ces expressions de la façon suivante :

a) force majeure — Événement imprévisible, inévitable ou irrésistible qui provient d’une cause étrangère au débiteur et qui libère ce dernier de son obligation; b) acte de Dieu (Act of God) — expression anglaise signifiant « cas fortuit » (force majeure); et c) cas fortuit — événement causé par des éléments imprévisibles et irrésistibles, rendant ainsi impossible l’exécution d’une obligation ou constituant un motif d’exonération de responsabilité; p. ex. un tremblement de terre constitue un cas fortuit.

Il semble parfois que ces expressions soient utilisées au hasard dans les contrats, sans tenir compte de leurs incidences. Si une personne souhaite être certaine que la survenance d’une telle éventualité la dispensera de l’exécution de ses obligations, il serait donc approprié de décrire cette exemption afin d’y inclure certains types d’événements précis ainsi que tout autre événement de nature semblable ou ayant une incidence semblable. Il est bien de noter que les clauses de force majeure peuvent exclure l’incapacité financière comme dans l’arrêt Atcor Ltd. v. Continental Energy Marketing Ltd., [1996] 6 W.W.R. 274 (Alta C.A.). Toutefois, il est important de noter que même sans cette formulation d’exclusion, les tribunaux ont accepté la position traditionnelle en common law selon laquelle une partie n’est pas exemptée de l’exécution de ses obligations en raison d’une situation décrite dans l’affaire Tandrin Aviation Holdings Ltd. v. Aero Toy Store LLC, [2010] EWHC 40 (Comm) comme étant [Traduction] « une chute cataclysmique, inattendue et imprévisible des marchés financiers à l’échelle mondiale ». Dans cette affaire, le juge Hamblen a indiqué ce qui suit au par. 40 :

[Traduction] Il est bien établi en droit anglais qu’un changement dans la situation économique et/ou du marché, ayant une incidence sur la rentabilité d’un contrat ou la facilité avec laquelle les obligations des parties peuvent être exécutées, ne peut être considéré comme un cas de force majeure. Il a donc été conclu que le défaut d’exécution dû à la provision de ressources financières insuffisantes ne constitue pas un cas de force majeure...

Il est également important de comprendre que, comme l’a affirmé le juge d’appel Kerans aux pages  288 et 289 de la décision Atcor :

[Traduction] ... en l’absence de termes plus précis à l’effet contraire, un fournisseur n’est pas exempté de son défaut d’exécution en raison d’un cas de force majeure, même si ce cas a pour unique conséquence de l’amener à acheter d’un autre fournisseur et à réaliser un profit moindre. Il est exempté, toutefois, si la solution en toute circonstance n’est pas raisonnable.

Dans l’arrêt Wal-Mart Canada Corp. v. Gerard Developments Ltd., 2010 ABCA 149 (CanLII), le juge d’appel McDonald a formulé l’observation suivante au par. 15 :

[Traduction] À l’égard d’un cas de force majeure, la clause de force majeure s’applique lorsque des circonstances imprévisibles ou hors du contrôle d’une partie surviennent et ne s’applique pas au risque d’affaire habituel ou afin de répartir de nouveau le risque contractuel négocié : voir la décision intitulée Atlantic Stock Limited v. St. Anne-Nackawic Pulp and Paper Co. Limited, [1976] 1 R.C.S. 580 au par. 4.

Compte tenu du fait que les parties souhaitent avoir certaines certitudes (et ainsi éviter les litiges coûteux et interminables), il serait indiqué de préciser une exclusion d’incapacité financière si cela est souhaitable et de définir de façon explicite et exhaustive cette exclusion. Cette règle ne protège pas les parties contre tout litige, mais elle permet certainement de réduire la possibilité que de tels litiges surviennent.

On peut également se demander à quelles normes d’exécution l’obligation d’une partie d’agir de bonne foi appartient? Les décisions semblent généralement éviter cette question, s’appuyant apparemment sur les circonstances existantes. Dans l’affaire CEP Holdings Limited v. Steni AS, [2009] EWHC 2447 (Q.B.) visant à déterminer s’il y a eu manquement à une clause prévoyant « tous les efforts raisonnables », le juge Gloster a examiné les efforts déployés par le demandeur en vue de commercialiser et de promouvoir la vente des produits du défendeur, la nature de son organisation de commercialisation, le caractère adéquat des systèmes aux fins de la préparation des prévisions à cycle continu, des livrets de caractéristiques et des estimations, l’ampleur de la collaboration avec le défendeur, la distribution de la documentation et des documents de commercialisation du défendeur et sa participation aux foires et séminaires.

Il semble exister une liste quasi inépuisable de possibilités de normes d’exécution prévoyant l’exécution des obligations d’une personne (de la façon indiquée ci-après dans le paragraphe énumérant les possibilités de a) à i)). Il peut être souhaitable de choisir celle indiquée dans les circonstances au moment de l’ébauche du contrat. Il semble évident que toute personne étant partie à un contrat devrait déployer des « efforts raisonnables » aux fins de l’exécution de ses obligations. Si l’une des parties déploie des efforts qui sont plus que raisonnables, on pourrait dire que cette personne « fait de son mieux ». On peut alors se demander si une partie visée par une clause prévoyant des efforts raisonnables est tenue de faire de son mieux étant donné qu’il est tout à fait possible pour une partie de faire de son mieux; toutefois, il semble que la jurisprudence ait accepté qu’une clause prévoyant des « efforts raisonnables » n’exige pas nécessairement qu’une partie fasse tout ce qui est en son pouvoir.

La question relative à l’expression « faire de son mieux » pour une partie a été abordée dans la décision Atmospheric Diving Systems Inc. v. International Hard Suits Inc., [1994] 5 W.W.R. 719 (B.C.S.C.) aux pages 735-736 :

[Traduction]

  1. « Faire de son mieux » impose une obligation plus élevée que le fait de déployer un « effort raisonnable ».
  2. « Faire de son mieux » signifie prendre, de bonne foi, toutes les mesures raisonnables afin d’atteindre l’objectif, de mener à bien le processus à sa conclusion logique et de faire tout son possible.
  3. L’expression « faire de son mieux » signifie faire tout ce que l’on fait habituellement, qui est nécessaire et approprié afin d’assurer la réussite de l’initiative.
  4. Toutefois, la signification de « faire de son mieux » n’est pas sans limite. Cette expression doit être abordée en tenant compte du contrat en particulier, des parties à celui-ci et de l’objectif général du contrat en fonction de son libellé.
  5. Étant donné que l’obligation de « faire de son mieux » régissant le défendeur doit être assujettie à des obligations primordiales, telles que l’honnêteté et le traitement équitable, il n’est pas nécessaire que le demandeur prouve que le défendeur a agi de mauvaise foi.
  6. La preuve de « défaut inévitable » est pertinente pour la question de causalité du dommage, mais non à la question de responsabilité. Il incombe au défendeur de démontrer que le défaut était inévitable, même si le défendeur a « fait de son mieux ».
  7. La preuve selon laquelle le défendeur, s’il avait agi de façon diligente, aurait pu respecter le « critère de meilleur effort est une preuve pertinente que le défendeur n’a pas fait de son mieux ».

Mais qu’en est-il des expressions suivantes qui se trouvent souvent dans des contrats? De quelle façon ces expressions doivent-elles être interprétées? Dans quelle catégorie doit-on les classer?

  1. tous les efforts;
  2. les efforts maximums;
  3. les efforts de bonne foi;
  4. tous les efforts raisonnables de bonne foi;
  5. les efforts raisonnables conformes aux usages du commerce;
  6. tous les efforts raisonnables;
  7. tous les efforts raisonnables sur le plan commercial;
  8. tous les efforts possibles;
  9. de façon raisonnable sur le plan commercial; et
  10. toute autre variation sur ce thème.

Le classement de ces expressions par ordre d’importance serait probablement celui indiqué ci-dessus en insérant « faire de son mieux » entre les éléments b) et c).

Il est important de faire preuve de prudence lorsque l’on évalue si les nuances (parfois appelées des « nuisances ») de ces phrases viennent alourdir ou réduire le fardeau contractuel (et dans quelle mesure). Comme il a été observé dans l’affaire Castledowns Law Office Management Ltd. v. FastTrack Technologies Inc., 2009 ABCA 148 (CanLII) par le juge d’appel Slatter (en désaccord, mais non à cet égard) au par. 67 :

[Traduction] Certaines autorités soutiennent qu’on ne peut renoncer à une « véritable » condition préalable. D’autres causes tentent de déterminer si les parties contractantes ont une obligation d’agir de façon raisonnable et diligente afin de respecter les conditions. Il n’est pas nécessaire d’aborder ces questions ici. Les deux contrats prévoient expressément que l’on peut renoncer à la condition. Ils contiennent tous deux des clauses à l’égard de la « bonne foi et diligence » et des « efforts raisonnables ». Évidemment, la définition de bonne foi, diligence et efforts raisonnables variera en fonction de la nature de la situation.

Alors, que cachent les mots? Ce que l’on doit retenir, c’est qu’il est important de choisir avec soin les mots que l’on utilise dans la rédaction d’un contrat. Sinon, il est facile de faire dire aux mots ce que l’on souhaite qu’ils disent.

L’honorable James M. Farley, c.r.