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Inforica c. CGI

Introduction

Le 11 septembre 2009, la Cour d’appel de l’Ontario a rendu sa décision dans l’affaire Inforica Inc. c. CGI Information Systems and Management Consultants Inc., 2009 ONCA 642 (CanLII). La décision confirme l’hésitation des tribunaux à entraver le déroulement d’arbitrages tant qu’une sentence finale n’a pas été rendue. La marche à suivre pour un arbitrage est établie par les parties, et les tribunaux n’entraveront pas l’ordonnance de procédure d’un arbitre. Dans la cause qui nous intéresse, la Cour d’appel a maintenu l’ordonnance de procédure de l’arbitre exigeant que la plaignante, Inforica Inc., fasse un dépôt de garantie de 750 000 $ à l’égard des frais avant de donner suite à sa demande d’arbitrage de 14,4 millions de dollars.

Faits

CGI et Inforica ont conclu une entente touchant la prestation de services en juillet 2004. L’entente prévoyait que les différends devaient être réglés par voie d’arbitrage en vertu de la Loi de 1991 sur l’arbitrage (Ontario). En juillet 2007, Inforica a introduit une instance d’arbitrage contre CGI aux termes des dispositions en matière d’arbitrage de l’entente, demandant, entre autres choses, des dommages-intérêts de 14,4 millions de dollars. CGI et Inforica ont convenu que l’arbitrage serait mené par un arbitre d’ADR Chambers.

Avant l’audition de l’arbitrage, CGI a présenté une requête en cautionnement pour frais. L’arbitre a accueilli la requête de CGI en décidant qu’Inforica était tenue de verser un dépôt de garantie de 750 000 $ pour les frais de l’arbitrage, faute de quoi CGI pourrait présenter une demande de rejet de l’arbitrage. L’arbitre a conclu qu’il avait le pouvoir de rendre une ordonnance à l’égard du cautionnement pour frais aux termes de la Loi de 1991 sur l’arbitrage et des ADR Chambers Rules.

Décision de la juge saisie de la demande

Inforica a introduit une demande pour annuler l’ordonnance de l’arbitre, alléguant que l’arbitre n’avait pas le pouvoir de rendre une ordonnance à l’égard du cautionnement pour frais. CGI s’est opposée à la demande en faisant valoir que la juge saisie de la demande n’avait pas le pouvoir d’entendre la demande puisque l’ordonnance frappée d’appel était une ordonnance de procédure plutôt qu’une sentence finale, et la Loi de 1991 sur l’arbitrage ne permettait pas d’interjeter appel à l’égard d’une ordonnance de procédure.

La juge saisie de la demande a accueilli la demande d’Inforica et annulé l’ordonnance de l’arbitre. Elle a conclu que l’arbitre n’avait pas le pouvoir d’ordonner un cautionnement pour frais puisque cette ordonnance [traduction] « n’est pas une simple affaire de procédure » et « peut être dûment classée dans une catégorie spécialisée qui lui est propre ». La juge saisie de la demande a également conclu que les ADR Chambers Rules ne s’appliquaient pas puisqu’elles n’avaient pas été expressément intégrées dans la convention d’arbitrage des parties. La juge saisie de la demande ne s’est pas expressément prononcée sur sa compétence quant à l’audition de la demande.

Décision de la Cour d’appel

La Cour d’appel a annulé la décision de la juge saisie de la demande et maintenu l’ordonnance de l’arbitre, sans se prononcer expressément quant à la question de savoir si les arbitres ont le pouvoir de rendre une ordonnance de cautionnement pour frais en vertu de la Loi de 1991 sur l’arbitrage. La Cour a plutôt conclu que la juge saisie de la demande n’avait même pas le pouvoir d’entendre la demande d’Inforica puisque la Loi de 1991 sur l’arbitrage ne permet d’interjeter appel qu’à l’égard d’une sentence finale, qui se prononce sur le bien-fondé d’un arbitrage, et non à l’égard d’une ordonnance procédurale d’un arbitre.

La Cour d’appel a de plus confirmé la conclusion de l’arbitre voulant que les ADR Chambers Rules, qui confèrent expressément à un arbitre le pouvoir de rendre une ordonnance en cautionnement pour frais, s’appliquent à l’arbitrage.

Pour en venir à cette conclusion, la Cour d’appel a réitéré la primauté de l’arbitrage et l’importance de la retenue judiciaire (au paragraphe 14) :

[Traduction] Il est clair d’après la structure et l’objet de la loi en général, et la formulation de l’article 6 en particulier, que l’intervention judiciaire dans le processus d’arbitrage doit strictement se limiter aux situations prévues par la loi. Cela est conforme à l’approche moderne qui considère l’arbitrage comme un processus autonome, autosuffisant et indépendant aux termes duquel les parties conviennent de faire résoudre leurs différends par un arbitre, et non par les tribunaux. (…) La loi encourage les parties à avoir recours à l’arbitrage, « exige d’elles qu’elles s’en tiennent à ce processus une fois qu’elles en ont convenu » et « enchâsse la primauté de la procédure d’arbitrage (…) en demandant au tribunal, en général, de ne pas intervenir ».

La Cour d’appel a également confirmé l’importance du cautionnement pour frais en tant que mécanisme [traduction] « destiné à protéger l’intégrité du processus de règlement des différends en empêchant les parties de structurer leurs affaires d’une façon qui les immunise de la discipline en matière de coûts ».

Remarques de McCarthy Tétrault

Cette affaire renforce les droits des parties de choisir le règlement confidentiel, rapide et économique de leurs différends par voie d’arbitrage privé. Elle nous rappelle également qu’il faut accorder une attention particulière aux clauses d’arbitrage, y compris les règles de procédure et les outils dont l’arbitre peut se servir en cas de différend, tel que la capacité de rendre une ordonnance en cautionnement pour frais. Le cautionnement pour frais est un outil utile lorsqu’une partie est forcée de contester une demande d’arbitrage à l’encontre d’une partie n’ayant pas d’actif réalisable et n’ayant rien à craindre en cas d’échec.

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