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Fung et Isohunt sont reconnus coupables d’incitation à la violation du droit d’auteur

Une cour de district de la Californie a récemment accordé aux membres de Motion Pictures Association of America un jugement sommaire dans le cadre d’une poursuite pour violation du droit d’auteur contre Gary Fung et quatre sites web exploités par celui-ci, y compris Isohunt, l’un des plus importants sites BitTorrent au Canada.

BitTorrent est un protocole Internet populaire permettant aux utilisateurs de partager rapidement de gros logiciels et fichiers médias. Pour télécharger les fichiers au moyen du protocole BitTorrent, les utilisateurs visitent tout d’abord un site d’indexation (comme Isohunt) afin d’obtenir un petit pointeur de fichier correspondant au contenu qu’ils souhaitent télécharger. Tous les utilisateurs ayant obtenu le même fichier pointeur sont ensuite connectés à une centrale de traçage BitTorrent, qui coordonne le partage des éléments des fichiers de contenu parmi tous les utilisateurs jusqu’à ce que chaque utilisateur ait une copie complète de l’œuvre.

Dans la présente affaire, les demandeurs prétendaient que les utilisateurs des sites web de Fung violaient les droits d’auteur des demandeurs en téléchargeant le contenu protégé par le droit d’auteur sans frais et sans l’autorisation des demandeurs. Les demandeurs soutenaient que les défendeurs facilitaient la violation commise par les utilisateurs et étaient donc responsables en vertu de trois théories de responsabilité subsidiaire : l’incitation à la contrefaçon, la contribution importante à la contrefaçon et la responsabilité du fait d’autrui. La cour de district a fondé la responsabilité des défendeurs sur la doctrine en matière d’incitation étant donné que la [traduction] « responsabilité en matière de contrefaçon des défendeurs est des plus évidentes ». Par conséquent, la cour a conclu qu’il n’était pas nécessaire de tenir compte des deux autres théories.

Dans le cadre de son analyse de responsabilité subsidiaire, la cour a établi qu’elle devait tout d’abord conclure qu’il y a eu contrefaçon directe par un tiers. Fung a fait valoir que, afin d’établir qu’il y a eu violation de la loi sur le droit d’auteur aux États-Unis, les demandeurs devaient faire la preuve que l’auteur du transfert et le récepteur du transfert étaient situés aux États-Unis. Toutefois, la cour a rejeté ce point de vue en soutenant que les [traduction] « actes de téléchargement vers le serveur et de téléchargement vers l’aval constituent des motifs indépendants de violation du droit d’auteur et, par conséquent, constituent une responsabilité ». Par conséquent, les demandeurs n’avaient qu’à prouver qu’une œuvre protégée par le droit d’auteur avait soit été téléchargée vers le serveur ou téléchargée vers l’aval aux États-Unis. La cour a conclu qu’il y avait une preuve accablante d’actes de violation directe aux États-Unis.

L’une des questions intéressantes dans cette affaire consistait à déterminer si le tribunal américain avait compétence à l’égard de la violation, étant donné que les quatre sites web de Fung étaient hébergés au Canada. La cour a conclu qu’elle avait compétence en se fondant sur le principe bien établi en droit américain selon lequel, dans le contexte de responsabilité subsidiaire, une personne peut être tenue responsable d’une activité commise à l’étranger qui incite sciemment à la contrefaçon aux États-Unis. Lorsqu’un demandeur établit qu’un acte de contrefaçon a eu lieu aux États-Unis, les défendeurs peuvent être tenus responsables pour toute conduite constituant une incitation, une contribution importante ou une responsabilité du fait d’autrui, même si la conduite des défendeurs a eu lieu à l’étranger.

En traitant de l’incitation à la contrefaçon, la cour de district a cité le juge Souter de la Cour suprême des États-Unis, qui a déclaré dans la décision Metro-Goldwyn-Mayer Studios, Inc. v. Grokster, Ltd. que [traduction] « toute personne qui distribue un appareil dans l’objectif de promouvoir son utilisation afin de violer le droit d’auteur, comme l’attestent clairement certaines expressions ou d’autres mesures affirmatives prises en vue de favoriser la contrefaçon, est responsable des actes de contrefaçon qui en résultent commis par des tiers ».

La cour de district a également conclu que la responsabilité [traduction] « peut s’appliquer même si le défendeur n’incite pas quiconque à commettre des actes de contrefaçon spécifiques ». Plutôt, la cour peut [traduction] « conclure que l’objectif des déclarations et des actions était manifestement illégal en démontrant quel était l’objectif du défendeur ».

En concluant qu’il y a eu incitation, la cour a examiné le message du défendeur à l’intention des utilisateurs, l’aide fournie par les défendeurs aux utilisateurs s’adonnant à des actes de contrefaçon et la mise en œuvre de caractéristiques techniques par les défendeurs en vue de promouvoir la contrefaçon. La cour a également conclu que le modèle d’entreprise des défendeurs s’appuyait massivement sur des usages contrefaits de matériel protégé par le droit d’auteur.

Les défendeurs ont tenté, en vain, d’invoquer les dispositions de la règle-refuge en vertu de la loi intitulée Digital Millennium Copyright Act en vue de se décharger de leurs responsabilités (p. ex., à l’égard des fournisseurs d’outils de repérage d’information). La cour a affirmé qu’afin de se prévaloir de ces défenses, les défendeurs doivent respecter trois éléments conjonctifs :

  1. le défendeur ne doit pas être au courant des activités de contrefaçon ou avoir un motif d’être au courant de celles-ci ou ne pas retirer le matériel de contrefaçon dès qu’il en prend connaissance.
  2. Le défendeur ne profite aucunement de la contrefaçon, bien qu’il ait le pouvoir de la contrôler.
  3. Le défendeur doit, sur réception d’un avis (de la façon réglementaire prescrite) du titulaire du droit d’auteur, retirer le matériel contrefait.

En concluant que les dispositions relatives à la règle-refuge ne s’appliquaient pas à la présente affaire, la cour a formulé les observations suivantes :

  • Les demandeurs avaient établi que les défendeurs avaient des motifs d’être au courant des activités de contrefaçon de leurs utilisateurs et ils n’ont pas fourni de preuve à l’effet contraire.
  • Les défendeurs n’ont présenté aucune preuve attestant qu’ils ont procédé sans délai au retrait du matériel contrefait.
  • M. Fung a lui-même effectué des téléchargements non autorisés de matériel protégé par le droit d’auteur et, par conséquent, aurait dû savoir qu’il y avait du matériel contrefait sur ses sites web.
  • Les sites de M. Fung contenaient des fonctions permettant d’afficher les principales recherches des utilisateurs, qui énuméraient bon nombre d’œuvres protégées par le droit d’auteur.

La cour a également noté que les défenses fondées sur la règle-refuge [traduction] « sont fondées sur la conduite de bonne foi passive visant une entreprise Internet légitime ». Les parties qui incitent activement à la contrefaçon ne peuvent se prévaloir de ces défenses.

Remarques de McCarthy Tétrault

L’affaire Isohunt revêt un intérêt tout particulier pour les Canadiens, étant donné que le Canada évalue actuellement les modifications devant être apportées à ses lois afin de permettre aux Canadiens de mettre un terme aux contrefaçons en ligne facilitées par des services et des sites de partage de fichiers canadiens non autorisés. Il est évident que les doctrines clés ont joué un rôle important dans les conclusions de contrefaçon de la décision de la cour. Notamment, les facteurs suivants étaient au cœur même des conclusions de responsabilité de la cour :

  1. La responsabilité à l’égard de la contrefaçon directe fondée sur des actes de téléchargement vers le site (p. ex., rendre les fichiers disponibles aux fins de distribution tel qu’exigé par les droits en matière de distribution et de disponibilité prévus par le Traité de l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (OMPI) sur le droit d’auteur et sur les interprétations et exécutions et les phonogrammes), et de téléchargements vers l’aval (p. ex., la création de reproductions de fichiers).
  2. L’existence de doctrines solides à l’égard de la responsabilité subsidiaire comme l’incitation.
  3. Les règles-refuges à l’intention des fournisseurs de services qui a) sont étroitement adaptées; b) protègent uniquement les intermédiaires innocents légitimes (p. ex., les fournisseurs de services Internet qui ne participent pas ni n’incitent à la contrefaçon commise par des utilisateurs de leurs services); et c) ne s’appliquent pas à moins que les fournisseurs de services n’agissent de façon responsable et ne prennent les mesures raisonnables afin d’empêcher l’utilisation de leurs services par des contrefacteurs à répétition.

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