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Commentaire sur l’arrêt Ostiguy c. Collège des médecins du Québec

L’injonction interlocutoire visant à empêcher un professionnel de s’adonner à l’exercice illégal d’une profession

EYB2021REP3230

Repères, Mars, 2021

Catherine BÉLANGER PÂQUET*

Commentaire sur l'arrêt Ostiguy c. Collège des médecins du Québec – L'injonction interlocutoire visant à empêcher un professionnel de s'adonner à l'exercice illégal d'une profession
 

Résumé

L'auteure commente cet arrêt dans lequel la Cour d'appel traite notamment du critère d'apparence de droit dans le contexte d'une injonction de type pénal visant à empêcher un professionnel de s'adonner à l'exercice illégal d'une profession, la durée d'une telle injonction, l'assignation d'un tiers concerné par une ordonnance accessoire et la notion de « mains propres ».

INTRODUCTION

La preuve prima facie d'apparence de droit est-elle suffisante pour justifier une ordonnance accessoire à l'injonction principale de type pénal ? Celle-ci peut-elle avoir une durée excédant celle prévue par la loi ? L'omission d'assigner l'employeur de l'appelant était-elle fatale au recours de l'intimée ? La théorie des mains propres peut-elle faire échec au recours en injonction interlocutoire en l'espèce ?

Dans l'arrêt Ostiguy c. Collège des médecins du Québec1, la Cour d'appel répond affirmativement uniquement à la première question, mais accueille tout de même l'appel au motif que le juge de première instance ne pouvait pas ordonner que l'injonction demeure en vigueur pour une durée excédant celle prévue par la loi.


I- LES FAITS

En juin 2015, Richard Herman Ostiguy (ci-après « le défendeur » ou « l'appelant »), orthésiste, a été accusé d'avoir commis diverses infractions pour exercice illégal de la médecine. Le 15 février 2017, il a été déclaré coupable par la juge Émond de la Cour du Québec d'avoir agi de manière à donner lieu de croire qu'il était autorisé à exercer la médecine et d'avoir exercé illégalement une activité professionnelle réservée aux membres du Collège des médecins, entre autres chefs.

Au cours des années 2016 et 2017, le défendeur a de nouveau fait l'objet de constats d'infraction de même nature en lien avec des activités professionnelles qu'il a exercées subséquemment au jugement du 15 février 2017. Alors que ces instances pénales sont en cours, le Collège des médecins du Québec a intenté une demande introductive d'instance enjoignant à la Cour supérieure d'interdire au défendeur de poser des actes exclusifs aux médecins, dont le diagnostic de certaines maladies et la prescription d'examens diagnostiques et de médicaments. L'injonction recherchée par le Collège des médecins est un type particulier d'injonction hybride qui peut être prononcée à l'occasion d'une poursuite pénale.
 

II- LA DÉCISION DE PREMIÈRE INSTANCE

Le 29 janvier 2020, le juge Damien St-Onge, j.c.s, rend un jugement interdisant au défendeur de poser des actes exclusifs aux membres du College des médecins du Québec jusqu'à la dixieme journée suivant le jugement à être rendu dans l'instance pénale concernant les mêmes faits. Le juge St-Onge ordonne également au défendeur d'afficher clairement son jugement sur la porte d'entrée de la clinique où il travaille, afin que les clients soient avisés de cette interdiction. Le juge conclut que la preuve produite démontre prima facie que le défendeur répete des infractions de même nature que celles pour lesquelles il a été déclaré coupable dans le passé, lesquelles concernent des dispositions d'ordre public de protection constituant un préjudice suffisant pour justifier l'octroi de l'ordonnance demandée.


III - LA DECISION

L'appelant se pourvoit contre le jugement de la Cour supérieure qui accueille une demande d'injonction interlocutoire lui interdisant de poser certains actes réservés aux médecins, alléguant 1) que le juge a erré en se contentant d'une preuve prima facie d'apparence de droit avant d'accorder l'injonction ordonnant l'affichage du jugement à la porte de la clinique où il travaille, 2) que le College des médecins avait omis d'assigner l'employeur de l'appelant et 3) que le juge aurait dû refuser de délivrer l'injonction interlocutoire puisque le College des médecins n'avait pas les « mains propres ». Finalement, l'appelant souleve 4) que le juge a erré en prononçant l'injonction interlocutoire pour une durée excédant celle prévue par la loi.

  • L'injonction hybride de type pénal et l'apparence de droit

L'injonction de type pénal recherchée par le College des médecins en premiere instance est une injonction hybride qui repose à la fois sur le Code des professions (C. prof.) et le Code de procédure civile (C.p.c.).

La demande d'injonction respectait les conditions d'ouverture prévues à l'article 191 C. prof. : le College des médecins a fait la preuve de la récidive alléguée aux infractions visées, de l'autorisation obtenue du Procureur général et de la résolution du conseil d'administration du College lui permettant de demander la délivrance d'une injonction, et démontré que des poursuites pénales avaient été intentées en lien avec les faits à l'origine de la récidive alléguée. La preuve présentée en premiere instance satisfaisait également aux conditions posées par l'article 511 C.p.c. pour la délivrance d'une injonction interlocutoire : l'existence d'une question sérieuse à juger, un préjudice irréparable en l'absence d'injonction et la mise en balance des inconvénients, tant pour les parties que pour l'intérêt public.

La Cour d'appel conclut que c'est à bon droit que le juge de premiere instance s'est satisfait d'une simple preuve d'apparence de droit pour ordonner l'appelant d'afficher le jugement sur la porte d'entrée des locaux occupés par son employeur. Cette preuve d'apparence de droit reposait notamment sur la nature des condamnations antérieures de l'appelant, les plaintes déposées à son égard, le témoignage des enquêteurs et les dossiers de ses clients.

La Cour d'appel rappelle que l'essence de l'injonction recherchée n'était pas de forcer l'appelant à faire quelque chose, mais bien à s'abstenir de poser certains actes réservés. L'ordonnance visant à afficher le jugement à la porte de la clinique est l'accessoire de cette ordonnance d'injonction et vise à en assurer la publicité aupres de la clientele. Dans ce contexte et dans l'esprit de protection du public, la publicité de l'injonction est essentielle et ne nécessitait pas que le College des médecins fasse la preuve d'une forte apparence de droit qu'elle obtiendra gain de cause au proces.

  • La mise en cause de l'employeur

L'appelant reproche au College des médecins de ne pas avoir mis en cause son employeur actuel, la clinique, alors qu'une ordonnance l'oblige à afficher le jugement à sa porte d'entrée.

La Cour d'appel est d'avis que l'appelant plaide pour autrui lorsqu'il souleve cet argument et que l'employeur n'est pas visé par les plaintes pénales ou par les conclusions en injonction, si ce n'est que le jugement sera affiché sur la porte de son commerce. Ayant soupesé les inconvénients de l'injonction envisagée pour l'employeur, le juge de premiere instance n'avait pas à l'assigner d'office avant de rendre sa décision, selon la Cour d'appel.

  • La théorie des mains propres

L'appelant plaide que le juge de premiere instance aurait dû refuser d'accorder l'injonction en s'appuyant sur la théorie des mains propres, étant donné que le College des médecins avait tenté d'obtenir une injonction dont la portée outrepassait l'autorisation obtenue du Procureur général, ce qui constitue une preuve de mauvaise foi.

La Cour d'appel rappelle que la théorie des mains propres ne crée pas de critere additionnel pour l'octroi d'une injonction, bien qu'il s'agisse d'un facteur pertinent dont le juge peut tenir compte. Cette théorie vise à sanctionner la mauvaise foi de la partie demandant l'injonction et le rôle qu'elle a joué dans la situation factuelle à l'origine du dossier. Le juge de premiere instance a exercé sa discrétion en concluant que les agissements du College des médecins résultaient d'une erreur de la part de son avocate et que de toute façon, la mauvaise foi alléguée par l'appelant se limitait aux conclusions de la demande introductive d'instance, lesquelles ont été corrigées à l'audience.

  • La durée de l'injonction

Le législateur s'exprime clairement à l'article 191 C. prof. : l'injonction interlocutoire demeure en vigueur jusqu'au jugement final à être rendu au pénal. Par conséquent, le juge de première instance ne pouvait ordonner que l'injonction demeure en vigueur pour une durée de 10 jours suivant le jugement à être rendu dans l'instance pénale.

La Cour d'appel rappelle que le jugement de première instance n'est pas exécutoire avant l'expiration d'un délai de 30 jours et qu'au surplus, l'article 514 C.p.c. prévoit la survie de l'injonction interlocutoire advenant que le dossier soit porté en appel par le demandeur. La conclusion du juge de première instance est donc superfétatoire selon la Cour d'appel, dans la mesure où l'injonction demeure de toute façon en vigueur jusqu'à l'expiration du délai d'appel.

 

IV– LE COMMENTAIRE DE L'AUTEURE

L'arrêt commenté est intéressant en ce qui a trait à l'évaluation du critère d'apparence de droit dans le cadre d'une injonction hybride reposant sur le Code et sur le C.p.c. Nous pouvons retenir qu'une preuve prima facie d'apparence de droit était ici suffisante, dans le contexte d'une ordonnance accessoire à l'injonction principale qui n'est pas de type mandatoire. La Cour d'appel souligne également l'importance de la protection du public, en l'espèce.

Ensuite, bien qu'on puisse croire que toute personne faisant l'objet d'une ordonnance doive d'abord être assignée lors de l'instance ou l'instruction la concernant, dans cet arrêt, la Cour d'appel explique que l'employeur n'étant visé que par une ordonnance accessoire à l'injonction principale, le juge de première instance n'avait pas à l'assigner d'office avant de rendre sa décision. La Cour d'appel justifie cette entorse à la règle générale en soulevant notamment que le juge de première instance aurait soupesé les inconvénients découlant de son ordonnance, pour ce tiers à l'instance. L'étendue de l'analyse du juge de première instance n'apparaît toutefois pas de son jugement. Il semblerait que l'importance de l'enjeu de protection du public en l'espèce ainsi que l'inaction du tiers employeur, la clinique, qui n'a visiblement pas cherché à contester lui-même cette conclusion, ont mené à cette situation.

Par ailleurs, la Cour d'appel précise que la théorie des mains propres ne crée pas un critère additionnel d'octroi de l'injonction. Il s'agit toutefois d'un élément pertinent dont le juge peut tenir compte, justifiant que tout justiciable visé par une demande d'injonction interlocutoire s'y attarde. Rappelons que c'est dans l'exercice de sa discrétion que le tribunal peut  décider (et non doit décider) d'appliquer cette théorie importée de la common law.

Finalement, il va de soi qu'on ne peut faire fi d'un texte législatif clair tel que le libellé de l'article 191 C. prof. concernant la durée de l'injonction. Il importe également de rappeler qu'en l'absence d'une conclusion confirmant l'exécution nonobstant appel, les règles générales d'exécution des jugements et l'article 514 C.p.c. s'appliqueront. Il n'y a donc pas lieu de demander au juge de rédiger une conclusion qui est déjà, de toute façon, prévue par le législateur.

CONCLUSION

Il sera intéressant de voir quelle sera la portée de cet arrêt sur les prochaines décisions en matière d'injonction interlocutoire, qu'elles soient de nature hybride, comme en l'espèce, ou non.

* Me Catherine Bélanger Pâquet, avocate chez McCarthy Tétrault, concentre sa pratique en litige civil, commercial et contractuel ainsi qu'en matière de responsabilité professionnelle et médicale.

  1. EYB 2020-366582 (C.A.).
    Date de dépôt : 9 mars 2021

Publié dans La référence 

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