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Comment réagir à la « prise de l’ours »

Le premier coup tiré dans le cadre d'une tentative de prise de contrôle est bien souvent un coup de fil de l'initiateur potentiel au chef de la direction ou au président du conseil de la société ouverte visée en vue d'obtenir une réunion pour discuter d'« intérêts réciproques ». L'initiateur potentiel peut notamment exprimer son admiration pour la société visée, déclarer qu'il est déjà un actionnaire important (peut-être juste en deçà de 10 %, de sorte qu'aucune déclaration d'initié ni déclaration selon le système d'alerte n'ont été déposées), et proposer que les deux parties entament des discussions officielles en vue d'explorer si une acquisition pure et simple ou une éventuelle fusion serait dans les meilleurs intérêts des deux parties. À un certain moment vers la fin de cette conversation, l'initiateur potentiel présentera une lettre adressée à la société visée dont l'objet est d'embrasser aussi étroitement que possible la société visée, c'est ce qu'on appelle la « prise de l'ours » dans le jargon des offres publiques d'achat.

Le présent article comporte certains commentaires sur les principaux points à surveiller dans ce type de lettre, de même que certaines réponses que le conseil et la direction de la société visée peuvent envisager.

En général, la première lettre présente l'initiateur potentiel, sa banque d'investissement et ses conseillers juridiques, et peut indiquer un prix proposé pour une opération. Elle contient en outre les éléments suivants :

  • une déclaration selon laquelle la lettre et les discussions connexes sont strictement confidentielles, mentionnant également que si la société visée est disposée à aller de l'avant, les parties devraient signer dans les meilleurs délais une convention de non-divulgation;
  • une déclaration selon laquelle la proposition n'est pas contraignante, et que les engagements ne seront exécutoires qu'à la conclusion de contrats officiels;
  • une demande selon laquelle l'initiateur potentiel est autorisé à consulter les documents importants et la direction de la société visée aux fins d'une vérification diligente; et
  • une demande selon laquelle la société visée négocie exclusivement avec l'initiateur potentiel pour une période déterminée relativement courte (selon le temps nécessaire pour la vérification diligente, habituellement entre deux semaines et un mois).

Quelles sont les divulgations publiques nécessaires?

Si les premières discussions s'inscrivent dans le cadre d'une proposition non contraignante accompagnée d'une demande de l'initiateur potentiel de garder les discussions confidentielles jusqu'à la conclusion d'une entente, la plupart des avocats sont d'avis que les premières discussions ne constituent pas un « fait important » ni un « changement important » que la société visée doit divulguer sans délai par voie de communiqué de presse. Ce qui est tout à fait logique. Les autorités de réglementation en valeurs mobilières reconnaissent que la communication prématurée d'information peut être tout aussi néfaste que la communication tardive d'information pour une société ouverte. Il n'est pas souhaitable que le cours de l'action de la société visée monte brièvement sous l'effet de spéculation aux termes d'une offre publique d'achat, pour s'effondrer peu après lorsque l'opération ne se concrétise pas. En général, il vaut mieux attendre que l'initiateur potentiel se soit fermement engagé à lancer une offre avant d'en faire l'annonce publique.

En revanche, ce n'est pas parce qu'une proposition n'est pas contraignante et que l'initiateur potentiel a demandé la confidentialité que la société visée doit en préserver la confidentialité. Parfois, d'un point de vue stratégique, la société visée peut, par voie de communiqué de presse, divulguer qu'elle est l'objet d'une proposition non sollicitée, ainsi que la nature de la proposition (insistant sur le fait qu'il s'agit d'une proposition non contraignante) et conseiller aux actionnaires d'attendre l'évolution de la situation. Un tel communiqué de presse entraînera sans doute, à court terme, une hausse du cours de l'action de la société visée. Il attirera aussi probablement l'attention d'autres parties intéressées et pourra ainsi mener à un processus d'offres concurrentes si d'autres initiateurs stratégiques ou financiers choisissent d'entrer dans la course.

Les obligations de divulgation peuvent être complexes et rigoureuses. Elles tiennent beaucoup aux faits et il n'existe aucune directive générale applicable en toute circonstance. L'assistance de conseillers professionnels expérimentés en matière légale et financière profitera tant à la direction qu'au conseil d'administration.

La vente est-elle inévitable?

Le fait qu'un initiateur potentiel propose à une société ouverte une offre publique d'achat ou une fusion ne veut pas dire que le conseil de la société cible doit immédiatement la mettre en vente. Le conseil a l'obligation fiduciaire juridique d'agir dans l'intérêt véritable de la société (qu'il s'agisse d'une société ouverte, d'une fiducie de revenu ou d'une société de personnes) et peut juger qu'à ce stade, pour diverses raisons, des discussions sur une offre publique d'achat ne sont pas dans l'intérêt véritable de la société. L'initiateur offre peut-être un prix tellement bas que le conseil de la société cible ne pourra jamais l'appuyer. L'initiateur fait peut-être preuve d'opportunisme en enclenchant le processus à un moment où les marchés boursiers sont généralement baissiers, ou à un moment où la société cible émerge tout juste d'un trimestre exceptionnellement difficile. Le conseil de la société visée peut conclure que ce n'est pas le bon moment ni dans l'intérêt véritable de la société d'entreprendre des discussions relatives à une acquisition ou à une fusion.

Si le conseil de la société visée rejette la proposition d'acquisition, ce n'est évidemment pas nécessairement la fin de l'histoire. Sans un engagement de non-agression, l'initiateur est toujours libre d'annoncer publiquement son intention et de formuler son offre directement aux actionnaires de la société visée. La direction et le conseil de la société visée peuvent recommander aux actionnaires de rejeter l'offre, mais la décision appartient ultimement aux actionnaires.

L'initiateur est-il vraiment sérieux?

La détermination et le niveau de préparation apparents de l'initiateur potentiel comptent parmi les facteurs importants que le conseil et la direction doivent prendre en considération quant à la manière de répondre à une prise de l'ours. L'initiateur a-t-il constitué une équipe de conseillers? La proposition est-elle sous réserve de l'obtention d'un financement ou le financement a-t-il déjà été obtenu? L'initiateur doit-il procéder à une vérification diligente ou sont-ils prêts à procéder sans elle? L'initiateur a-t-il identifié toutes les approbations nécessaires des autorités de réglementation et a-t-il un plan bien établi en vue de les obtenir?

Il est en général prudent de supposer que l'initiateur potentiel a prévu des stratégies de rechange en fonction de la réaction de la société visée à l'égard de la proposition initiale. L'initiateur préférera autant que possible une opération négociée afin de pouvoir bénéficier de certaines mesures de protection de l'opération (notamment une indemnité de non-réalisation) en vertu d'une entente relative à l'opération avec la société visée avant de rendre l'opération publique. Si toutefois les parties sont à un tel point divisées quant au prix ou aux autres conditions de l'opération qu'il leur est impossible de conclure une entente, l'initiateur potentiel qui essuie un refus au moment ou peu après la première réunion peut très bien avoir anticipé cette réponse et préparé d'avance sa note d'information relative à une offre publique d'achat et les documents connexes afin de pouvoir lancer immédiatement son offre. Évidemment, l'objectif de l'initiateur est d'agir rapidement et d'accorder seulement à la société visée le délai minimum de 35 jours prescrit par la législation afin de trouver un « chevalier blanc » ou de répondre autrement à une offre hostile.

Doit-on accorder l'exclusivité?

Les initiateurs demandent toujours l'exclusivité dans leur négociation avec les sociétés visées. Dans certains cas, lorsqu'un prix très intéressant est offert, que l'initiateur et la société visée sont stratégiquement en parfait accord et que les conseillers financiers sont prêts à indiquer au conseil qu'une enchère ou quelque autre processus ne procurerait probablement pas davantage de valeur pour les actionnaires, la société visée peut convenir de négocier exclusivement avec une partie pour une période relativement courte. Comme il a été mentionné ci-dessus, la direction et le conseil de la société visée ne peuvent évidemment pas convenir de vendre la société; c'est la prérogative des actionnaires de la société visée. Le conseil peut soutenir une opération et recommander aux actionnaires de l'appuyer, mais une fois l'opération proposée annoncée, d'autres parties pourront dans l'intervalle se manifester et formuler des propositions supérieures. Le conseil de la société visée estime parfois qu'il est justifié de négocier avec une seule partie, de manière confidentielle et exclusive, afin d'obtenir le lancement d'une opération favorable sur le marché. Si des tiers proposent alors une meilleure opération, ce sont les actionnaires de la société visée qui en profitent.

Quelles sont les prochaines étapes?

Si la proposition non sollicitée de l'initiateur prend la société visée par surprise, la direction et le conseil doivent examiner sans délai un certain nombre de questions. Les administrateurs réunis en conseil plénier voudront sans doute être mis au fait de la situation. Un avocat d'expérience en matière de fusions et acquisitions sera manifestement utile. Afin d'évaluer les considérations financières de la proposition, les services de conseillers financiers professionnels pourront être retenus. Le conseil d'administration doit-il mettre sur pied un comité spécial chargé des questions de conflits potentiels ou de logistique? Si la société visée n'a pas de régime de protection des droits des actionnaires, le conseil doit-il en adopter un? Une salle de consultation des documents par voie électronique doit-elle être créée pour le bénéfice de l'initiateur ou d'autres parties?

Conclusion

Les sociétés ouvertes sont régulièrement approchées par des tiers à la recherche d'une éventuelle acquisition ou de toutes autres transactions. Bon nombre de ces discussions n'aboutissent jamais. Pour la société visée, toutefois, penser d'avance à la manière dont la direction et le conseil devraient réagir permet à chacun d'adopter une attitude calme et réfléchie. Ce niveau de préparation sert généralement la société visée ainsi que ses actionnaires.