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Charte des droits et libertés de la personne du Québec : Décisions récentes portant sur le milieu de travail

Trois décisions rendues récemment par des arbitres en droit du travail au Québec portent sur l’application de la Charte des droits et libertés de la personne1 (la « Charte ») du Québec en milieu de travail et soulèvent des questions quant à l’état civil, à la liberté d’expression ainsi qu’à l’inviolabilité, la dignité et le respect de la vie privée.

La Charte régit les obligations à l’égard des droits de la personne dans les milieux de travail réglementés à l’échelle provinciale. La Charte interdit la discrimination et le harcèlement fondés sur « la race, la couleur, le sexe, la grossesse, l’orientation sexuelle, l’état civil, l’âge, sauf dans la mesure prévue par la loi, la religion, les convictions politiques, la langue, l’origine ethnique ou nationale, la condition sociale, le handicap ou l’utilisation d’un moyen pour pallier ce handicap ». La Charte protège les libertés fondamentales de la personne, « telles la liberté de conscience, la liberté de religion, la liberté d’opinion, la liberté d’expression, la liberté de l’union pacifique et la liberté d’association ». La Charte protège également les droits de la personne notamment à l’égard de l’inviolabilité, de la dignité, de l’honneur, de la réputation et de la vie privée.

Toute violation des droits prévus par la Charte peut donner lieu à des recours, notamment des dommages-intérêts en espèces, et une entrave intentionnelle à ces droits peut justifier l’octroi de dommages-intérêts punitifs.

Les juges, arbitres et organismes administratifs tentent sans cesse de définir les motifs de distinction illicites et la portée des droits et libertés protégés par la Charte.

Afin de vous tenir au fait de l’évolution dans ce secteur, nous vous présentons ci-dessous trois récents exemples d’application de la Charte en milieu de travail.

Nombre d’enfants dans une affaire portant sur l’état civil et la garde des enfants d’une employée

Une employée ayant été congédiée pour cause d’absentéisme excessif a allégué en vain qu’elle avait fait l’objet de discrimination en raison de son état civil à titre de mère monoparentale responsable de la garde de six enfants.2 Bien que l’arbitre ait convenu que la situation monoparentale relève de l’état civil, il a rejeté l’argument selon lequel le nombre d’enfants qu’une personne a à sa charge peut être considéré comme une caractéristique relevant de l’état civil d’une personne. L’arbitre a également conclu que la femme en question n’a pas réussi à prouver qu’il y avait un lien entre ses absences et sa situation monoparentale et, par conséquent, qu’elle n’avait pas prouvé que son congédiement résultait de façon discriminatoire de son état civil.

Politique en matière d’habillement de l’employeur et liberté d’expression

À quelques reprises, un employé d’usine a porté des chandails au travail exprimant ses croyances, notamment un chandail portant la mention « Dieu n’existe pas — www. rael.org. ».3 L’employeur a suspendu l’employé, puis l’a finalement congédié pour avoir violé une politique liée au milieu de travail qui interdisait les messages religieux sur les vêtements. L’arbitre a réintégré l’employé au motif que l’employeur avait violé la liberté d’expression et d’opinion de l’employé en prenant des mesures disciplinaires à son égard pour avoir porté des chandails affichant ces messages. L’arbitre a conclu qu’afin de justifier une politique en matière d’habillement faisant entrave aux droits de l’employé en vertu de la Charte, un employeur doit prouver qu’il a de sérieuses raisons, ainsi qu’un intérêt réel et légitime, pour mettre en œuvre une telle politique.

Politique en matière de dépistage de drogue et d’alcool de l’employeur et inviolabilité, dignité et respect de la vie privée

Les protections à l’égard de l’inviolabilité, de la dignité et du respect de la vie privée prévues par la Charte jouent un rôle clé dans le cadre de la contestation des politiques en matière de dépistage de drogue et d’alcool des employeurs. Dans un article précédent du trimestriel du droit du travail et de l'emploi, il a été question d’une décision rendue par la Cour d’appel du Québec qui concluait que les politiques visant à mettre en œuvre des processus aléatoires de dépistage de drogue et d’alcool auprès des employés occupant des postes nécessitant un niveau élevé de sécurité sont contraires à la Charte et ne sont généralement pas justifiables.

Un arbitre a fourni récemment d’autres lignes directrices concernant l’ébauche de politiques en matière de dépistage de drogue et d’alcool conformes à la Charte.4 La politique en question visait des employés travaillant dans une raffinerie de pétrole, un milieu qui, par sa nature même, exige des mesures de sécurité strictes, selon l’arbitre.

Parmi les conclusions intéressantes, l’arbitre a conclu que dans le contexte d’une industrie à risque élevé pour la sécurité, une politique peut légitimement exiger de soumettre à un dépistage de drogue et d’alcool des employés qui sont mutés ou promus à des postes nécessitant un niveau élevé de sécurité. L’arbitre a également affirmé, cependant, qu’afin d’être valablement conforme à la Charte, une politique devrait prévoir que les tests seront effectués de la façon la moins invasive possible, compte tenu des circonstances.

Conseils à l’intention des employeurs

La Charte joue un rôle important dans diverses situations en milieu de travail; les trois cas décrits ci-dessus ne sont que des exemples. Comme la jurisprudence concernant la Charte est en constante évolution, il est essentiel de demeurer au fait des nouveautés juridiques et, donc, d’examiner régulièrement vos pratiques et politiques en milieu de travail afin de vous assurer qu’elles sont conformes à la Charte. Les politiques et pratiques sur lesquelles vous devriez vous concentrer comprennent notamment :

  • les politiques en matière de drogue et d’alcool;
  • les codes et politiques vestimentaires relativement à l’apparence personnelle;
  • les politiques sur les conflits d’intérêts et l’antinépotisme;
  • les formulaires de demande d’emploi et les pratiques concernant l’information demandée aux candidats;
  • les politiques concernant la divulgation des infractions criminelles; et
  • les politiques en matière d’assiduité et d’absentéisme.

  • 1 L.R.Q. ch. C-12.

    2 Syndicat des travailleuses et travailleurs du Delta Centre-Ville (CSN) et Delta Hôtels ltée opérant le Delta Centre-Ville et la Corporation des Hôtels Legacy, D.T.E. 2009T-832 (T.A.).

    3 Syndicat des métallos, section locale 9414 et Transformateurs Delta inc., D.T.E. 2009T-744 (T.A.).

    4 Shell Canada ltée et Travailleurs Unis du Pétrole du Canada, Section Locale 121 du S.C.E.P., AZ-50589632 (T.A.).