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Avis sur le caractère équitable – Importants commentaires d’un tribunal ontarien

Dans presque toutes les opérations canadiennes de fusion et acquisition, le conseil d’administration de la société cible et, souvent, celui de la société projetant l’acquisition, s’attendent à ce que leurs conseillers financiers leur procurent un avis sur le caractère équitable indiquant que le prix de l’opération proposée est équitable pour la société et ses actionnaires du point de vue financier. Ces avis ne sont pas prescrits par la loi, mais les conseils d’administration les invoquent souvent comme preuve que les administrateurs ont rempli leurs obligations dans l’approbation de l’opération.

De façon générale, l’avis est relativement court et énonce les titres de compétence du conseiller financier, les documents ayant servi à la préparation de l’avis et la conclusion selon laquelle l’opération proposée est équitable. Le conseiller financier rencontrera le conseil d’administrateurs et passera en revue de façon détaillée l’analyse qu’il a effectuée pour en arriver à son avis. Dans la plupart des cas, cependant, cette analyse ne figure pas dans l’avis écrit sur le caractère équitable qui est remis au conseil et qui est souvent mis à la disposition des actionnaires.

Dans une décision rendue le 28 mars 2014 par la Cour supérieure de justice de l’Ontario, M. le juge David M. Brown a formulé certaines observations importantes au sujet de la teneur de l’avis sur le caractère équitable dont il était saisi. On avait demandé au juge Brown d’approuver un plan d’arrangement en vertu duquel Champion Iron Mines Limited, société inscrite à la cote de la Bourse de Toronto, serait acquise par Mamba Minerals Limited. Il a d’abord énoncé les conditions bien connues d’obtention de l’approbation par le tribunal d’un plan d’arrangement, à savoir que le demandeur doit convaincre le tribunal que : (i) la procédure prévue par la loi a été suivie; (ii) la demande a été présentée de bonne foi; (iii) l’arrangement est équitable et raisonnable. Le juge Brown estimait que les exigences prévues par la loi avaient été respectées, que la demande avait été présentée de bonne foi à une fin commerciale valable et que l’arrangement était équitable et raisonnable. Il a notamment souligné la prime de 72 % versée aux actionnaires de Champion Iron, l’approbation de plus de 99 % des actionnaires ainsi que l’approbation unanime du conseil d’administration de Champion Iron et de son comité spécial. Par conséquent, il a rendu l’ordonnance nécessaire pour approuver le plan d’arrangement.

Ensuite, il a formulé des « commentaires en conclusion ». Il a notamment déclaré que l’avis sur le caractère équitable qu’on lui avait soumis en preuve, et qui avait également été remis au conseil et aux actionnaires, ne respectait pas les conditions de recevabilité d’une opinion d’expert. L’avis sur le caractère équitable empruntait la forme habituelle des avis qu’on retrouve dans le cadre des opérations canadiennes de fusion et acquisition. Le juge Brown a souligné qu’en vertu des Règles de procédure civile de l’Ontario, un rapport d’expert doit renfermer « les motifs à l’appui de l’opinion de l’expert, notamment : (i) une description des hypothèses factuelles sur lesquelles l’opinion est fondée, (ii) une description de la recherche effectuée par l’expert qui l’a amené à formuler son opinion, (iii) la liste des documents, s’il y a lieu, sur lesquels l’expert s’est appuyé pour formuler son opinion ». Cet avis sur le caractère équitable, qui n’a fait qu’exposer l’opinion sans en indiquer les motifs, était inadmissible en preuve devant le tribunal dans le cadre d’une demande d’approbation du plan d’arrangement.

La plupart des conseils d’administration et des comités spéciaux dans le contexte d’une opération de fusion et acquisition veulent un avis professionnel d’une société respectée indiquant que le prix établi dans le projet d’opération est équitable du point de vue financier. Puisque le conseil et le comité spécial ont eu l’avantage de rencontrer à plusieurs reprises les conseillers financiers avant la remise de l’avis écrit, ils comprennent généralement les travaux qu’ont effectués les conseillers et la façon dont ils ont tiré leurs conclusions. Le conseil et le comité spécial peuvent donc se satisfaire d’un avis écrit sommaire n’indiquant pas l’analyse détaillée effectuée car ils ont déjà cette information en main en raison des présentations qui ont été faites au conseil. Toutefois, à la suite de la décision rendue dans Champion Iron, un tribunal ontarien qui évalue l’équité d’un plan d’arrangement ne tiendra vraisemblablement pas compte de la présentation d’un avis sur le caractère équitable provenant d’un conseiller financier sauf si cet avis ou les documents connexes qui sont remis au tribunal sont suffisamment détaillés pour que le tribunal comprenne l’analyse que le conseiller financier a effectué.

Nous estimons que cela mènera probablement à des avis sur le caractère équitable plus détaillés à l’avenir, ce qui modifiera considérablement la pratique actuelle au Canada.

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