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Atténuation des risques liés à la corruption à l’étranger : l’importance du récent document d’orientation sur la FCPA des États-Unis pour les entreprises canadiennes

Au cours de la dernière année et demie, la culture d’entreprise canadienne a connu d’importants changements à la suite de la mise en application vigoureuse de la nouvelle Loi sur la corruption d’agents publics étrangers (LCAPE) par la Gendarmerie royale du Canada (GRC) et les procureurs de la Couronne. Le très médiatisé plaidoyer de culpabilité de Niko Resources Ltd. en juin de l’année dernière et les enquêtes actuellement menées par la GRC sur les activités d’un certain nombre d’autres sociétés canadiennes servent de sérieux avertissements quant aux coûts de la non-conformité. Dans un contexte où environ 30 enquêtes supplémentaires sont actuellement menées par la GRC, les sociétés canadiennes agissent rapidement pour mettre en œuvre et en application des politiques et procédures anticorruption spécifiquement conçues pour contrer la corruption ainsi que des stratégies d’atténuation des risques liés aux transactions.

Le 14 novembre 2012, la publication du Resource Guide to U.S. Foreign Corrupt Practices Act1 (guide) par le Department of Justice (DOJ) et la Securities and Exchange Commission (SEC) des États-Unis est venue appuyer ces efforts. Fort de 120 pages, le guide est une collection exhaustive des précédents et politiques du DOJ et de la SEC relativement à la loi intitulée Foreign Corrupt Practice Act (FCPA), complétée par des études de cas hypothétiques et des résumés de la jurisprudence américaine relative à la FCPA. Bien que le guide ne contienne aucune surprise, il s’avère un outil très utile pour les sociétés canadiennes qui exercent des activités à l’étranger. Même si la LCAPE et la FCPA sont des lois différentes mises en œuvre par différentes autorités de réglementation nationales, elles contiennent toutes deux des dispositions très semblables en substance. À ce jour, tout semble également indiquer, y compris de nombreux éléments de l’ordonnance émise par la Cour qui a examiné le plaidoyer de culpabilité de Niko Resources (l’ordonnance dans l’affaire Niko), que les autorités canadiennes et américaines travaillent en étroite collaboration dans le cadre de leurs efforts pour contrer la corruption. Pour une analyse plus approfondie de l’affaire Niko et ses incidences pour les entreprises canadiennes, voir Une analyse plus approfondie de la première grande cause canadienne relative à la corruption d’agents publics étrangers : Niko Resources Ltd.

Il est important de noter que, dans l’affaire Niko, il est fait renvoi à des précédents américains pour établir les peines appropriées et l’ordonnance de probation ressemblait beaucoup à celles utilisées par les autorités américaines dans le cadre d’ententes de poursuites suspendues et d’ententes de non-poursuite aux termes de la FCPA. Par conséquent, l’évolution de la réglementation aux États-Unis peut être un élément important à prendre en considération pour les sociétés canadiennes qui tentent de comprendre ou de prévoir les changements apportés en vertu de la LCAPE ici au Canada. Évidemment, les sociétés canadiennes peuvent également être directement assujetties à la FCPA, notamment si elles sont inscrites aux États-Unis ou si elles exercent certaines activités ou effectuent certaines opérations aux États-Unis ou par l’entremise des États-Unis.

À cette fin, nous notons que le guide aborde les questions suivantes qui revêtent une importance particulière pour les sociétés canadiennes qui exercent des activités à l’étranger :

1. Politiques et procédures anticorruption efficaces : L’ordonnance dans l’affaire Niko indiquait clairement que les autorités de réglementation canadiennes s’attendent à ce que les politiques et procédures anticorruption découlent des évaluations de risques spécifiques à une société, c.-à-d. qu’elles soient adaptées à la situation particulière d’une société et à son exposition au risque de corruption, plutôt que d’être basées sur des modèles génériques. À cet égard, le guide est un complément utile à l’ordonnance dans l’affaire Niko puisqu’il donne davantage de détails sur les diverses composantes qui sont essentielles aux politiques et procédures anticorruption efficaces, entre autres choses, la garantie que des politiques et procédures dûment conçues dépendront en partie de la taille et de la nature des activités. Pour une analyse plus approfondie de l’évaluation du risque lié à la lutte contre la corruption, voir Message reçu sur la conformité anticorruption? L’évaluation du risque constitue votre prochaine étape.

2. Contrôle préalable anticorruption dans le cadre des opérations de fusions et acquisitions : Le risque d’engager sa responsabilité en matière de corruption en raison de l’acquisition d’une entité qui exerce des activités à l’étranger est devenu une préoccupation importante des entreprises qui envisagent d’accroître leurs activités au moyen de fusions et d’acquisitions. Bien que le guide réitère qu’une fusion ou acquisition ne supprime pas la responsabilité en matière de lutte contre la corruption, il précise également i) que le DOJ et la SEC n’ont pas la compétence nécessaire pour intenter une poursuite pour des pratiques de corruption préalables à l’acquisition d’une société visée si la société visée n’est devenue assujettie à la FCPA que lors de son acquisition (c.-à-d., l’acquisition d’une société visée ne créera pas une responsabilité lorsque cette responsabilité n’existait pas précédemment), et ii) que le DOJ et la SEC ne poursuivront vraisemblablement pas un acquéreur à l’égard d’une responsabilité préalable à l’acquisition d’une société visée si l’acquéreur a déployé ses meilleurs efforts de bonne foi pour contrôler préalablement la société visée pour ce qui est de la responsabilité en matière de corruption, même si elle échoue en bout de ligne. Pour une analyse plus approfondie du contrôle préalable anticorruption dans le cadre des acquisitions et financements à l’échelle internationale, voir Financement et acquisitions à l’étranger : L’importance croissante du contrôle préalable anticorruption.

3. L’étendue des défenses affirmatives : La LCAPE et la FCPA partagent trois défenses affirmatives identiques ou quasi identiques. Ces défenses sont : i) lorsqu’un paiement est autorisé ou nécessaire en vertu de la loi locale, ii) lorsqu’un paiement se rapporte à des dépenses de développement des affaires raisonnables et de bonne foi, et iii) les paiements de facilitation pour une mesure gouvernementale de nature courante et non discrétionnaire. Le guide offre également un certain nombre de renseignements importants concernant l’étendue de ces défenses, notamment i) que la défense basée sur la loi locale ne sera pas invoquée souvent puisque la loi locale permet rarement (le cas échéant) les paiements frauduleux, ii) que les voyages qui visent principalement des fins de divertissement personnel ne sont habituellement pas admissibles en tant que dépenses de développement des affaires raisonnables et de bonne foi, et iii) que la taille du prétendu paiement de facilitation éveillera des doutes puisque le paiement d’une somme importante peut donner davantage à penser à une intention frauduleuse d’influencer une mesure gouvernementale de nature non courante.

4. Cadeaux et dépenses de représentation : Un sujet de préoccupation commun pour les sociétés qui exercent des activités dans des pays étrangers et parmi des cultures et des coutumes étrangères est la question de savoir si les dons de cadeaux et les dépenses de représentations sont acceptables ou inacceptables en vertu de la législation anticorruption applicable. Le guide donne des directives utiles en indiquant que le DOJ et la SEC reconnaissent qu’un petit cadeau ou cadeau en guise de remerciement est souvent une façon appropriée pour les gens d’affaires de démontrer le respect qu’ils ont pour l’autre personne, et que les balises d’une remise de cadeau approprié comprennent i) la remise du cadeau de façon ouverte et transparente, ii) l’inscription en bonne et due forme du cadeau dans les livres et registres de celui qui le donne, et iii) la remise d’un cadeau uniquement pour traduire l’estime ou la gratitude. D’un autre côté, le guide précise que plus un cadeau est important ou extravagant, plus grandes sont les chances qu’il ait été donné dans une fin inappropriée.

5. Paiements obtenus par extorsion : Une des situations les plus difficiles auxquelles font face les sociétés qui exercent des activités à l’étranger est lorsqu’un agent étranger corrompu tente d’extorquer des paiements en menaçant les activités ou le personnel de la société. Le guide reconnaît que cela peut constituer un problème pour des sociétés et précise que des situations d’extorsion et de coercition n’entraîneront pas de responsabilité en vertu de la FCPA puisqu’un paiement fait dans des conditions d’extorsion ne peut être présumé avoir été fait avec une intention de corrompre ou aux fins d’obtenir et de conserver des contrats. Ceci étant dit, le DOJ et la SEC limitent cette exception aux demandes d’extorsion faites sous la menace de préjudices physiques et excluent les demandes visant uniquement la coercition économique.

6. Situations où le DOJ et la SEC n’appliquent pas la loi : Les ententes de poursuite suspendue et de non-poursuite négociées avec le DOJ et la SEC comportent habituellement d’importants engagements en matière de conformité et de mesures correctives ainsi que le paiement d’amendes en numéraire par des particuliers et des sociétés en échange du consentement du DOJ et de la SEC de renoncer à d’autres sanctions. Cependant, les autorités américaines peuvent également refuser de mettre en œuvre des sanctions sans que les particuliers et les sociétés visées ne soient tenus de prendre des engagements. Ces situations ne sont pas habituellement dévoilées publiquement, mais elles peuvent donner des renseignements utiles sur la manière dont les autorités de réglementation considèrent les violations éventuelles des lois anticorruption. Le guide donne un sommaire, sans donner de noms, des facteurs pris en considération dans six affaires dans le cadre desquelles la SEC et le DOJ ont refusé de mettre en œuvre des mesures de mise en application contre les sociétés visées.

En général, le guide constituera sans aucun doute une ressource utile pour les sociétés américaines et canadiennes qui se débattent avec les complexités des risques liés à la corruption étrangère. Comme il a été souligné par la Chamber of Commerce des États-Unis dans une lettre adressée au DOJ et à la SEC en prévision du guide2, puisque la conformité à la législation anticorruption est malheureusement coûteuse, toute clarification au sujet de l’étendue et du fond de la loi anticorruption est grandement appréciée.

Ceci étant dit, les sociétés canadiennes doivent garder à l’esprit que, même si les dispositions de la LCAPE et de la FCPA se ressemblent en grande partie à plusieurs égards, des écarts importants entre les lois existent et peuvent avoir une incidence importante sur la façon dont est traitée la non-conformité dans chaque pays. En outre, les sociétés canadiennes devraient noter que la LCAPE n’est pas mise en application hors contexte et que de nombreux principes provenant de disciplines juridiques canadiennes connexes, dont le droit des sociétés, le droit criminel, la législation en valeurs mobilières et la législation en matière de compétence, seront également pris en compte au moment de juger toute l’étendue de l’application de la loi.

L’équipe du droit du commerce et de l’investissement international de McCarthy Tétrault se spécialise dans les affaires de conformité et d’application liées aux lois et politiques de lutte contre la corruption, aux sanctions économiques et au contrôle des exportations et aux autres lois régissant le commerce transfrontalier des produits, des services et de la technologie et de l’investissement étranger.


1 Pour un exemplaire du guide (en anglais), veuillez visiter le http://www.justice.gov/criminal/fraud/fcpa/guidance/  ou le http://www.sec.gov/spotlight/fcpa.shtml.
2 Lettre de la United States Chamber of Commerce au Department of Justice des États-Unis et à la Securities and Exchange Commission des États-Unis datée du 21 février 2012.

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