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Droit des franchises

Par Adam Ship

Aperçu

Le modèle d’affaires de la franchise est couramment utilisé au Canada et a connu une croissance considérable au cours de la dernière décennie. Selon l’Association canadienne de la franchise, principal regroupement national de franchises, environ 1 200 marques franchisées exercent leurs activités au Canada par l’intermédiaire de 76 000 unités franchisées, employant directement ou indirectement plus de 1,9 million de Canadiens et produisant environ 100 G$ CA de revenus annuels. Le franchisage est courant dans de nombreux secteurs au Canada, notamment la restauration à service rapide, l’hôtellerie, les soins à domicile, la vente au détail de produits automobiles, les services de télécommunications au détail, l’éducation et les produits de beauté et cosmétiques.

Pour accéder au marché canadien, les franchiseurs étrangers ont le choix d’y ouvrir ou non un bureau et d’y constituer ou non une filiale locale. Ces décisions sont dictées en grande partie par des considérations fiscales.

Les franchiseurs étrangers procèdent souvent à une expansion au Canada au moyen d’accords-cadres de franchise ou de développement régional avec des sociétés canadiennes qui sont réputées pour importer avec succès des marques étrangères sur le marché canadien. Ces structures signifient essentiellement que le franchiseur étranger délègue plusieurs des rôles dont il s’acquitte généralement dans son marché national au franchisé principal ou au développeur régional du marché canadien. Le franchisé principal détient les droits nécessaires sur un territoire donné pour attribuer des sous-franchises de son propre chef et procure souvent un soutien continu aux sous-franchisés locaux. Les droits d’un développeur régional, par opposition, sont limités à l’ouverture de plusieurs unités directement ou par l’intermédiaire d’un membre de son groupe.

Les franchiseurs étrangers peuvent également attribuer directement des franchises au Canada. Cela signifie que le franchiseur étranger (ou sa filiale canadienne) conclut des conventions de franchise avec des franchisés en vue de l’ouverture d’unités au Canada.

Plusieurs domaines du droit canadien ont des incidences particulières sur le modèle d’affaires fondé sur le franchisage. Nous nous concentrons ici sur la forme la plus directe de règlementation juridique du franchisage au Canada : la législation sur les franchises. Nous avons également prévu une section concernant le Québec.

La législation sur les franchises au Canada

Les provinces canadiennes ont compétence pour règlementer le franchisage. Jusqu’à maintenant, six provinces ont adopté des lois sur les franchises : l’Ontario, la Colombie-Britannique, l’Alberta, le Manitoba, le Nouveau-Brunswick et l’Île-du-Prince-Édouard (les « provinces ayant légiféré »).

Malgré de subtiles différences entre les lois sur les franchises que l’on retrouve dans les provinces ayant légiféré, celles-ci sont en grande partie uniformes et mettent l’accent sur la communication antérieure à la vente. Les franchiseurs au Canada utilisent couramment des documents d’information sur les franchises (DIF) nationaux lorsqu’ils accordent des franchises dans plus d’une province ayant légiféré. De nombreux franchiseurs fournissent aussi volontairement leurs DIF nationaux aux franchisés éventuels dans les provinces n’ayant pas légiféré.

Le franchiseur qui accorde des franchises dans l’une des provinces ayant légiféré doit remettre au franchisé éventuel un DIF au moins 14 jours avant la plus rapprochée des dates suivantes, à savoir i) la date de signature de la convention de franchise ou ii) la date du paiement de la contrepartie par le franchisé.

Les DIF doivent renfermer tous les faits importants, notamment les faits prescrits expressément par la règlementation adoptée en vertu des lois applicables sur les franchises, ainsi que tous les autres faits dont on peut raisonnablement s’attendre à ce qu’ils aient un effet important sur la valeur de la franchise ou sur la décision par le franchisé d’acheter la franchise.

Par exemple, le règlement pris en application de la loi ontarienne sur les franchises prescrit actuellement plus de 25 catégories différentes de renseignements qui doivent figurer dans un DIF. En voici certains des principaux sujets : i) des renseignements contextuels détaillés à propos du franchiseur, de ses administrateurs et de ses dirigeants; ii) les coûts initiaux pour le franchisé en vue de l’établissement de la franchise; iii) des renseignements concernant la fermeture d’autres franchises dans le réseau; iv) des renseignements concernant les politiques et pratiques particulières du franchiseur, comme celles qui imposent des restrictions aux biens et services à vendre et celles qui ont trait aux rabais de volume ou à d’autres avantages financiers obtenus par le franchiseur; v) des renseignements concernant les dépenses d’un fonds de publicité auquel la franchise doit contribuer; vi) des renseignements concernant les droits territoriaux accordés au franchisé ou réservés au franchiseur.

Le DIF doit aussi renfermer toutes les conventions relatives à la franchise de même que tous les autres faits importants, hormis ceux qui sont expressément prescrits.

Plusieurs décisions judiciaires ont interprété la législation canadienne sur les franchises comme exigeant qu’un DIF comprenne des faits et des renseignements importants pour l’emplacement attribué à un franchisé. Par exemple : i) un DIF doit comprendre tout bail principal conclu entre le franchiseur et le tiers propriétaire par lequel le franchiseur oblige le franchisé à être responsable du bail principal à travers l’intermédiaire d’un sous-bail obligatoire; ii) un tribunal a jugé qu’un DIF est vicié lorsqu’il ne révèle pas que l’ancien propriétaire de la franchise avait fait preuve d'une mauvaise gestion grave de l’emplacement.

En raison de ces décisions et d’autres décisions similaires, les DIF au Canada sont rédigés de manière à comprendre non seulement les faits importants pour le franchiseur et le réseau de franchises, mais également les faits importants pour la franchise accordée.

De plus, tous les DIF doivent comprendre les états financiers du franchiseur pour l’exercice le plus récent présentés dans un document résultant d’un audit ou d’une mission d’examen, sauf si le franchiseur peut bénéficier d’une dispense. Le DIF peut comprendre un bilan d’ouverture pour le franchiseur s’il exerce ses activités depuis moins d’un an ou si 180 jours ne se sont pas encore écoulés depuis la fin du premier exercice du franchiseur.

Toutes les lois canadiennes sur les franchises prévoient actuellement une dispense de l’obligation d’intégrer les états financiers pour les grands franchiseurs établis qui respectent les critères prescrits.

Lorsqu’un « changement important » se produit entre la remise d’un DIF et la signature de la convention de franchise ou le paiement de la contrepartie, le franchiseur doit aussi fournir au franchisé éventuel une déclaration de changement important décrivant ces changements importants. Cette déclaration doit être remise dès que possible après la survenance du changement.

La législation canadienne sur les franchises prévoit plusieurs dispenses relatives à l’obligation de remettre un DIF. Par ailleurs, il existe des différences quant aux dispenses prévues dans les diverses provinces ayant légiféré. Cependant, de façon générale, les dispenses se limitent aux cas suivants : i) le franchisé connaît déjà très bien le réseau de franchises; ii) le risque financier et l’investissement du franchisé sont très faibles; iii) le franchisé acquiert la franchise d’un tiers sans participation active du franchiseur. Ces restrictions sont habituellement interprétées de manière restrictive par les tribunaux.

La résolution prévue par la loi est le principal recours du franchisé qui ne reçoit pas de DIF ou qui reçoit un DIF vicié. La résolution permet au franchisé de mettre fin à la convention de franchise et aux conventions accessoires intervenues avec le franchiseur sans pénalité ni obligation additionnelle et lui permet de recevoir une importante indemnité financière afin de le remettre dans la situation où il se trouvait avant la vente.

Compte tenu de la portée du recours en résolution, les franchiseurs qui accordent des franchises dans les provinces ayant légiféré ont tout intérêt à ce que leurs DIF soient entièrement conformes et à jour chaque fois qu’ils sont remis à des franchisés éventuels. La période pendant laquelle un franchisé peut solliciter la résolution dépend de la gravité du vice du DIF : i) un délai de prescription de 60 jours pour les vices mineurs ayant peu d’importance; ii) un délai de prescription de deux ans pour les vices majeurs ou pour le défaut de fournir un DIF.

Hormis l’information communiquée avant la vente, la législation canadienne sur les franchises établit également des obligations réciproques d’agir de bonne foi et de manière équitable pour les parties d'une convention de franchise et procure aux franchisés le droit de s’associer les uns avec les autres.

L’obligation d’agir de bonne foi oblige le franchiseur à tenir compte des intérêts légitimes de ses franchisés avant d’exercer ses droits contractuels et impose aux parties une norme de caractère raisonnable sur le plan commercial. L’application de l’obligation dépend fortement des faits en cause, et une vaste jurisprudence a interprété cette obligation dans le contexte de différents types de litiges en matière de franchise.

Il est interdit aux franchiseurs d’entraver ou de restreindre le droit que confère la loi aux franchisés de s’associer les uns avec les autres de quelque manière que ce soit, et toute disposition d’une convention de franchise qui vise à restreindre l’association entre des franchisés est nulle. Les tribunaux canadiens ont interprété cette disposition comme donnant aux franchisés le droit de se regrouper dans le cadre de litiges contre le franchiseur, par exemple à travers une action collective.

Toutes les lois canadiennes sur les franchises interdisent expressément aux parties à une convention de franchise de renoncer aux droits et obligations prévus par ces lois ou de les déléguer à des tiers, par contrat. Cela signifie qu’un franchiseur étranger accordant des franchises dans les provinces ayant légiféré ne peut pas utiliser une clause de choix du droit applicable ni aucune autre disposition de ses conventions de franchise pour éviter l’application de ces lois sur les franchises.

Droit civil québécois

Bien qu’il n’y ait pas de législation spécifique sur les franchises en vigueur au Québec, le Code civil du Québec (C.c.Q.) peut imposer des obligations concrètes aux franchiseurs.

En vertu du C.c.Q., les « clauses externes » (c’est-à-dire les modalités contractuelles contenues dans des documents annexes de la convention de franchise) doivent être portées à l’attention des franchisés éventuels lors de la phase précontractuelle pour leur être opposables. Cela peut aussi s’appliquer à certaines dispositions du manuel d’exploitation d’un franchiseur qui s’apparentent à des modalités contractuelles.

La Cour d’appel du Québec a statué que l’obligation d’agir de bonne foi en vertu du C.c.Q. exige qu’un franchiseur porte à l’attention d’un franchisé éventuel toute information qui pourrait avoir un effet déterminant sur la volonté de ce dernier de conclure la convention de franchise (9150-0595 Québec inc. c. Franchises Cora inc., 2013 QCCA 531). Il s’agit d’une forme d’obligation de divulgation préalable à la vente qui s’inscrit dans l’obligation d’agir de bonne foi prévue par le C.c.Q.

Une fois qu’une convention de franchise a été conclue, le C.c.Q. peut également imposer des obligations implicites réelles aux franchiseurs, en dehors des modalités stipulées dans la convention. Dans le contexte du franchisage, les tribunaux québécois ont reconnu des obligations implicites assez larges pour les franchiseurs, en fonction de la nature de la relation de franchise, notamment :

  • L’obligation d’informer.
  • L’obligation de fournir une assistance technique et commerciale.
  • L’obligation de coopérer et collaborer.
  • L’obligation de loyauté.
  • L’obligation de respecter les attentes raisonnables et les intérêts commerciaux de l’autre partie.
  • L’obligation de traiter les parties dans des situations similaires de manière cohérente.
  • L’obligation d’aider un cocontractant en difficulté et de réduire le montant des dommages-intérêts contractuels en dépit de clauses contractuelles claires.
  • L’obligation de prendre des mesures raisonnables pour protéger la notoriété et la pertinence de la marque.
  • L’obligation de ne pas créer de fausses attentes.
  • L’obligation d’exercer ses droits de manière raisonnable.

Les obligations susmentionnées incombent au franchiseur à l’avantage de chaque franchisé individuel et de l’ensemble du réseau de franchisés. Les tribunaux québécois se sont fondés sur ces obligations implicites pour sanctionner le comportement de franchiseurs, même lorsque la convention de franchise n’interdisait pas expressément le comportement en question.

Par exemple, dans l’une des principales affaires portant sur l’obligation de coopérer en matière de franchisage, le franchiseur avait élaboré une stratégie de marché qui mettait certains de ses propres magasins d’entreprise en concurrence directe avec ses franchisés. Rien dans la convention de franchise n’empêchait le franchiseur de faire concurrence à ses franchisés et, en fait, la convention de franchise favorisait expressément le franchiseur sur cette question. La Cour d’appel du Québec a cependant jugé que le franchiseur avait violé ses « obligations implicites faisant partie du cercle contractuel élargi ». Selon la Cour, la responsabilité du franchiseur découlait du fait qu’il n’avait pas aidé ses franchisés à s’adapter au changement de système. La Cour a statué que le franchiseur, lié par une obligation d’agir de bonne foi et de faire preuve de loyauté envers ses franchisés, avait le devoir de collaborer avec eux afin de prévenir un préjudice économique ou, à tout le moins, de minimiser les conséquences du changement de système (Provigo Distribution inc. c. Supermarché A.R.G. inc., 1997 CanLII 10209 (QC CA)).

En 2015, la Cour d’appel du Québec a appliqué le précédent établi dans l’affaire Provigo dans le contexte d’un litige entre le franchiseur Dunkin Brands et certains de ses franchisés québécois. Sur la base de la théorie des obligations implicites et de l’obligation d’agir de bonne foi, la Cour a interprété la convention de franchise comme comportant une obligation implicite pour le franchiseur qui consistait à protéger et à rehausser sa marque et a conclu qu'il n’avait pas respecté cette obligation. Le franchiseur a été jugé responsable de son inaction face à l’effondrement de la marque sur le marché régional. Plutôt que de répondre aux préoccupations des franchisés concernant le déclin de sa marque, le franchiseur a cherché à leur imposer un programme de rénovation coûteux et a exigé aux franchisés de signer une décharge les empêchant d’intenter une quelconque action en justice contre le franchiseur. La Cour a jugé que le franchiseur avait violé son obligation implicite envers ses franchisés et a accordé à ces derniers des dommages-intérêts importants (Dunkin Brands Canada Ltd. c. Bertico inc., 2015 QCCA 624). Le raisonnement de la Cour d’appel du Québec a été cité avec approbation par la Cour suprême du Canada en 2019 (Modern Cleaning Concept inc. c. Comité paritaire de l’entretien d’édifices publics de la région de Québec, 2019 CSC 28).

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