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Droit autochtone

Par Bryn Gray

Les opérations commerciales et les projets d’affaires au Canada peuvent concerner ou intéresser les communautés autochtones et toucher des enjeux législatifs canadiens se rapportant aux Autochtones. Bon nombre d’entreprises ont déjà collaboré et conclu des partenariats avec des communautés autochtones. Il s’agit toutefois d’un domaine de droit et de pratique qui évolue rapidement, et une gestion efficace des enjeux autochtones est essentielle pour assurer la réussite des projets. Quand la proposition d’une opération ou d'un projet soulève des questions autochtones, il est important de les étudier en fonction du droit actuel et en fonction des pratiques d’affaires prudentes, et d’élaborer les stratégies d’affaires les plus susceptibles d’apporter les résultats souhaités.

Aperçu

L’acquisition et l’aménagement des terres, et la mise en valeur du territoire et des ressources naturelles au Canada mettent souvent en cause les droits et les revendications autochtones. C’est particulièrement le cas avec les projets des secteurs de l’énergie, de l’exploitation minière, de la foresterie et du transport, qui ont souvent une incidence potentielle sur des terres et des cours d’eau visés par des revendications de droits ou titres ancestraux.

À titre d’information, il existe trois peuples autochtones distincts au Canada reconnus dans la Loi constitutionnelle de 1982 : les Premières Nations, les Inuits et les Métis. Parmi ces groupes, on compte 619 bandes visées par la Loi sur les Indiens (qui représentent environ 50 Premières Nations distinctes), 53 communautés inuites situées dans quatre régions distinctes, et six organisations provinciales et territoriales représentant les Métis. D’importantes différences culturelles et historiques existent entre ces groupes et au sein de ceux-ci, et la nature et l’étendue de leurs droits revendiqués ou établis varient considérablement.

En 1982, les droits ancestraux et issus de traités des Premières Nations, des Métis et des Inuits au Canada ont acquis une protection constitutionnelle par l’adoption de l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982. Bien que cet article ait accru de façon importante la protection des droits ancestraux et des droits issus de traités au Canada, la Cour suprême du Canada a reconnu que ces droits ne sont pas absolus et que la Couronne peut y porter atteinte si certaines exigences sont respectées.

Les lois applicables aux droits et aux titres ancestraux sont en constante évolution. Les pratiques d’affaires concernant les communautés autochtones sont également appelées à changer en fonction des nouveaux développements des lois, des politiques gouvernementales et des attentes des communautés autochtones concernées, lesquelles peuvent aller au-delà de ce qui est exigé par la législation. De plus, les groupes autochtones jouent un rôle de plus en plus actif dans le marché commercial à titre de prestataires de services, de fournisseurs, de participants aux capitaux propres et d’acteurs dans les partenariats public-privé. Il est important de comprendre ces communautés, ainsi que les enjeux liés à la conclusion de contrats et à la prise de sûretés quand certains des participants sont des Autochtones.

Compétence législative à l’égard des Autochtones

Le Parlement fédéral du Canada a la compétence législative exclusive sur « Les Indiens et les terres réservées pour les Indiens » en vertu de l'article 91(24) de la Loi constitutionnelle de 1867. Le terme « Indiens » a été interprété comme désignant les Premières Nations, les Inuits et les Métis. Le gouvernement fédéral a adopté diverses lois, concernant principalement les Premières Nations, dont la Loi sur les Indiens, la Loi sur la gestion financière des premières nations, la Loi sur la gestion des terres des premières nations, la Loi sur le développement commercial et industriel des premières nations et la Loi sur le pétrole et le gaz des terres indiennes.

Bien que le gouvernement fédéral ait la compétence exclusive sur les peuples autochtones du Canada, les lois provinciales et territoriales d’application générale s’appliquent tout de même aux Premières Nations, aux Inuits et aux Métis de ces territoires.

Droits et intérêts des Autochtones

La Cour suprême du Canada a reconnu qu’il y a une obligation de consulter et, potentiellement, d’accommoder les groupes autochtones quand l'administration fédéralle ou les administrations provinciales et territoriales prennent une décision susceptible d’avoir un effet préjudiciable sur leurs droits ancestraux et sur ceux issus de traités revendiqués ou établis. Cette obligation survient dans la grande majorité des approbations de mise en valeur des ressources par la Couronne et est expliquée plus en détail ci-dessous, après un aperçu des droits ancestraux et des droits conférés par traités.

Les droits ancestraux des Autochtones proviennent des pratiques, des coutumes et des traditions qui faisaient partie intégrante des cultures uniques des communautés autochtones avant l’arrivée des Européens. Les droits ancestraux peuvent notamment comprendre les droits de récolte, de chasse, de trappage, de pêche et de cueillette. Ils peuvent également comprendre un titre ancestral, qui est un droit foncier sui generis distinct des autres droits de propriété, tels que les domaines en fief simple.

Les titres ancestraux confèrent un vaste ensemble de droits similaires à ceux que confère le fief simple, dont les droits d’utiliser et de gérer les terres, ainsi que d’en tirer des avantages économiques. Ils comportent toutefois trois restrictions importantes qui visent à assurer la continuité de la relation du groupe autochtone avec les terres : i) les terres doivent être détenues collectivement; ii) les titres ne peuvent pas être cédés, sauf à la Couronne; et iii) les terres ne peuvent pas être grevées, aménagées ou utilisées « d’une manière qui priverait les générations futures d’une bonne partie des avantages qu’elles offrent ».

À ce jour, un titre ancestral n’a été établi que dans une seule affaire. En 2014, la Cour suprême du Canada a statué que la Nation Tsilhqot’in avait un titre ancestral établi sur un territoire du centre de la Colombie-Britannique. La Cour a jugé que dans les cas où un titre ancestral est prouvé, la Couronne ou un promoteur doit obtenir le consentement du groupe autochtone pour l’aménagement ou l’utilisation des terres visées par le titre ancestral en question. Sans un tel consentement, la Couronne doit justifier toute incursion proposée sur ces terres ou toute atteinte au titre à travers un objectif gouvernemental réel et impérieux, compatible avec l’obligation fiduciaire qu’à la Couronne à l'égard du groupe autochtone.

La majorité des revendications de titres ancestraux au Canada concerne des territoires de la Colombie-Britannique. Aussi, la plupart de ces revendications chevauchent, dans une certaine mesure, les revendications de titres ancestraux d’autres groupes autochtones de cette province. Il existe également d’autres revendications de titres ancestraux non réglées dans le nord du Canada, en Alberta, en Ontario, au Québec et au Canada atlantique, ainsi que des revendications des Métis au Manitoba et en Saskatchewan. Certaines de ces revendications comprennent également des affirmations de titres ancestraux visant des lits de cours d’eau ou des plans d’eau. Deux revendications de titres ancestraux ont été déposées à l’égard de lits de cours d’eau à ce jour. Elles ont toutes deux été rejetées, mais ont été portées en appel.

Bien que des titres ancestraux soient revendiqués à l’échelle du Canada, certains ont été cédés, modifiés ou abandonnés dans de nombreuses régions du pays en vertu de traités, notamment les revendications des signataires autochtones des 26 traités modernes et des 11 traités historiques numérotés. Ces traités, ainsi que d’autres traités historiques comportant des dispositions d’abandon de terres, couvrent le Nord du Québec, la plus grande partie de l’Ontario, le Manitoba, la Saskatchewan, l’Alberta, des portions de la Colombie-Britannique, le Nunavut et de grandes portions du Yukon et des Territoires du Nord-Ouest. Les revendications de titres ancestraux sont néanmoins pertinentes en ce qui concerne certains traités historiques, dont les traités numérotés, car certains groupes autochtones contestent la validité des dispositions d’abandon de terres ou les limites définies par les traités, ou soutiennent qu’ils ne sont pas les signataires du traité.

Traités

Les droits de nombreux peuples autochtones sont définis dans des traités historiques et modernes.

Environ 70 traités historiques reconnus et 26 traités modernes sont en vigueur au Canada. Ces traités couvrent la majeure partie de la superficie du pays, comme mentionné ci-dessus, mais ils diffèrent de façon importante quant à leur longueur, à leurs modalités et à leur objectif initial. Les traités historiques, qui ont été conclus avant 1975, sont en général assez courts et reconnaissent, entre autres, des droits tels que la chasse, la pêche, le trappage et le commerce assurant une subsistance convenable. Certains de ces traités comportent aussi des dispositions relatives à l’abandon de terres. Les traités modernes sont des ententes beaucoup plus détaillées qui accordent un plus vaste ensemble de droits et d’avantages, allant des droits de récolte à des droits d’exploitation du sous-sol, en passant par des dispositions relatives à l’autonomie gouvernementale, la propriété en fief simple de certaines terres et les transferts de capitaux importants.

Consultation et accommodement

Comme indiqué ci-dessus, la Couronne a l’obligation de consulter et, potentiellement, d’accommoder les groupes autochtones quand elle prend une décision ou donne une approbation susceptible d’avoir un effet préjudiciable sur leurs droits ancestraux et les droits issus de traités revendiqués ou établis. Il s’agit d’une obligation constitutionnelle, et les obligations de la Couronne peuvent souvent être considérables et parfois, nécessiter la consultation de nombreux groupes autochtones distincts, dont les revendications ou les intérêts peuvent se chevaucher.

L’étendue de la consultation et des accommodements requis, s’il y a lieu, varie et est proportionnelle à la solidité de la preuve étayant l’existence du droit ancestral ou conféré par traité et la gravité des incidences défavorables possibles de la décision de la Couronne sur ce droit revendiqué ou établi. Lorsque la revendication est peu fondée et que les conséquences sont de faible importance, l’obligation de consulter de la Couronne est la moins contraignante et consiste à donner un avis, à communiquer des renseignements et à discuter des questions soulevées en réponse. Dans d’autres cas, lorsque la revendication est solide ou que des droits sont établis et que les conséquences sont graves, il peut être nécessaire de mener une consultation approfondie, avec la possibilité de présenter des observations et de participer à la prise de décision, aux accommodements et à la présentation de motifs écrits.

Quel que soit le niveau de consultation nécessaire, cette dernière doit être menée de bonne foi et être véritable. L’obligation de consulter ne vise pas simplement à fournir un processus d’échange de renseignements ou une occasion de s'exprimer aux groupes autochtones. Les préoccupations soulevées doivent être considérées avec attention et la Couronne doit être prête à effectuer des changements en fonction de celles-ci. Il n’y a aucune obligation distincte pour la Couronne ou un promoteur de projet de conclure une entente avec les groupes autochtones, mais une consultation de bonne foi peut donner lieu à une obligation d’accommoder. En droit, un accommodement peut comprendre notamment des mesures d’atténuation, de minimisation ou d’évitement des effets préjudiciables des activités ou des décisions sur des droits ancestraux ou issus de traités revendiqués ou établis. Seule une analyse juridique au cas par cas permet de déterminer ce qui constitue une consultation et un accommodement appropriés de la Couronne. Une consultation ou un accommodement inadéquats de la part de la Couronne peut entraîner le retard ou la contestation d’approbations ou de permis, des difficultés dans les relations entre les communautés et les investisseurs ou encore des demandes d’injonction ou de dommages-intérêts, pouvant tous avoir de graves répercussions sur le calendrier et les coûts d’un projet.

Même si l’obligation de consulter incombe en fin de compte à la Couronne, les tribunaux ont jugé que certains aspects procéduraux de la consultation pouvaient être délégués aux promoteurs de projets et exécutés par ceux-ci. Ces derniers peuvent s’acquitter de cette obligation dans le cadre de processus réglementaires, à condition que ces processus soient suffisants pour satisfaire à ce qui est nécessaire dans les circonstances. Il arrive que la Couronne transmette certaines exigences liées à l’obligation de consulter aux promoteurs de projets qui demandent des approbations gouvernementales. Le promoteur est bien souvent celui qui connaît le mieux le projet proposé et donc le plus apte à collaborer avec les groupes autochtones afin de répondre de façon satisfaisante à toutes les préoccupations connexes.

De nombreux groupes autochtones ont développé leurs propres politiques et processus de consultation en vue de collaborer avec les promoteurs et la Couronne, dont plusieurs comportent des exigences de financement pour le renforcement des capacités. Il arrive fréquemment qu’on demande aux promoteurs d’offrir du financement pour le renforcement des capacités aux groupes autochtones, y compris pour financer des études de tiers sur les connaissances autochtones et l’utilisation des terres afin de déterminer l’étendue des droits des Autochtones et l’incidence possible des projets proposés. Ce financement peut être requis pour garantir une véritable consultation, mais sa nécessité dépend des faits et il est possible de satisfaire aux obligations de consultation sans verser un financement relatif aux capacités.

Dans le contexte de grands projets liés aux ressources naturelles, l’obligation de consulter de la Couronne naît dès que le processus d’examen réglementaire commence officiellement. De nombreux promoteurs choisissent toutefois de collaborer avec les groupes autochtones dès le début de la planification du projet afin d’établir de bonnes relations avec les communautés locales. Une consultation et une collaboration précoces et efficaces avec les groupes autochtones comptent maintenant parmi les facteurs les plus importants de la viabilité et de la réussite finale des projets; il faut donc considérer ces étapes comme une partie intégrante de la planification et du développement du projet. Le promoteur a besoin de conseillers juridiques chevronnés pour le guider tout au long du processus de consultation et d’approbation, afin de s’assurer que tous les groupes autochtones concernés sont consultés et que l’obligation de la Couronne est dûment réalisée et documentée aux fins de la preuve.

Les groupes autochtones invoquent de plus en plus la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones (DNUDPA) lors de l’étape de la consultation des projets, et revendiquent que ces projets ne peuvent aller de l’avant sans leur consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause. L' administration fédérale et celle de la Colombie-Britannique ont toutes deux légiféré et promulgué des plans d’action pour mettre en œuvre la DNUDPA. Cette législation ne donne pas d’effet légalement contraignant à la Déclaration, mais vise à offrir un cadre permettant son intégration au fil du temps. Les deux gouvernements ont déclaré que la DNUDPA ne procure pas aux groupes autochtones un droit de veto à l’égard de l’exploitation des ressources et semblent interpréter le consentement comme un objectif plutôt que comme une nécessité absolue en toute circonstance.

Ententes réussies avec les groupes autochtones

À l’heure actuelle, pour satisfaire à l’obligation de la Couronne de consulter et d’accommoder les groupes autochtones, la Couronne ou les promoteurs ne sont pas légalement tenus de conclure des ententes avec les groupes autochtones ni de leur offrir une contrepartie financière à titre d’accommodement. Cependant, il arrive fréquemment que l'administration fédérale et les administrations provinciales encouragent la conclusion d’ententes sur les répercussions et les avantages ou d’accords de participation entre les promoteurs de projets et les groupes autochtones, et certains gouvernements s’attendent de plus en plus à ce que des ententes soient en place avant de donner leur approbation. Dans certains cas, une province conclut également une entente aux termes de laquelle les taxes ou les autres revenus gouvernementaux sont partagés avec les groupes autochtones concernés. La conclusion d’ententes réussies peut aider à considérer les préoccupations des groupes autochtones et à établir des cadres stables pour que les projets d’aménagement puissent être mis en œuvre. La conclusion d'une entente procure aussi un moyen efficace de gérer les risques liés aux questions autochtones et d’établir pour les projets une certitude sur le plan de la réglementation.

La portée et la teneur des ententes sur les répercussions et les avantages et des accords de participation varient grandement entre les différents projets et groupes autochtones. Il faut avoir une bonne connaissance des intérêts et des objectifs propres à un groupe autochtone et une expérience relative aux différents types d’ententes utilisées pour travailler dans ce secteur. Les ententes avec des groupes autochtones peuvent comporter divers avantages pour ces groupes, dont des occasions d’emploi, un soutien à l’éducation et des initiatives en matière de formation, des occasions de marchés et d’affaires et, dans certains cas, des avantages financiers, comme des redevances annuelles ou une participation dans le capital, avec des garanties correspondantes au promoteur, lesquelles assurent la certitude et facilitent la mise en œuvre du projet. Dans certains cas, les ententes officialisent les processus de collaboration à venir pour la durée d’un projet et comprennent des engagements en matière de contrôle et de protection de l’environnement.

Les grands projets prévoient de plus en plus une gamme d’avantages économiques (notamment la participation au capital) fondés sur différents modèles financiers, pour les groupes autochtones touchés qui tentent d’obtenir des participations et des revenus à long terme pour leur communauté. Les projets qui accordent une participation au capital aux Autochtones nécessitent souvent la prestation de conseils spécialisés pour s’assurer qu’ils peuvent être financés et qu’ils emploient la structure fiscale la plus avantageuse pour toutes les parties.

Projets sur des terres autochtones

De plus en plus de projets et d’actifs de projets sont situés sur des terres détenues par des groupes autochtones. Le Canada comporte différents types de terres et de structures politiques autochtones, et un certain nombre de régimes distincts peuvent s’appliquer. Il est essentiel de connaître le régime précis qui s’applique, particulièrement en ce qui concerne l’aménagement des terres de réserve. Souvent, les lois fédérales ne traitent pas adéquatement de l’aménagement des terres autochtones et les autorités de réglementation fédérales et provinciales ont des préoccupations importantes concernant ces enjeux, comme le manque de régimes provinciaux de protection environnementale applicables, particulièrement en ce qui a trait aux projets de grande envergure. Dans certains cas, ces préoccupations sont réglées par contrat. Dans d’autres cas, les groupes autochtones, l'administration fédérale et les administrations provinciales et les promoteurs de projets se servent de la Loi sur le développement commercial et industriel des premières nations pour appliquer volontairement des lois provinciales données aux projets sur des terres autochtones, lorsqu’il y aurait autrement un « vide réglementaire » dans le régime fédéral.

Conclusions

Des connaissances et une expérience juridiques spécialisées sont essentielles pour mener des projets au Canada mettant en cause des droits ou des intérêts ancestraux. Les régimes réglementaires et la jurisprudence se rapportant aux droits et aux intérêts ancestraux sont en constante évolution au Canada et il est important d’avoir les renseignements les plus à jour pour entreprendre un projet lorsque ces droits ou ces intérêts peuvent avoir une incidence. La compréhension de l’étendue potentielle de ceux-ci et l’établissement de bonnes relations et d’ententes réussies avec les groupes autochtones du début du projet jusqu’à son achèvement sont des éléments clés de sa réussite.

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