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Importantes décisions en droit bancaire de 2016 : La Cour suprême du Canada rend sa décision dans Banque Royale du Canada c. Trang

Le jeudi 17 novembre, la Cour suprême du Canada a rendu une décision importante comportant d’importantes lignes directrices relativement aux cas pour lesquels des renseignements personnels d’ordre financier peuvent être communiqués sous le régime de la loi fédérale canadienne sur la protection de la vie privée, à savoir la Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques (« LPRPDE)[1]. Dans Banque Royale du Canada c. Trang[2], la Cour a conclu que même si la LPRPDE constitue une loi de protection du consommateur pour l’ère numérique, elle doit être interprétée de façon équilibrée pour faciliter la collecte, l’utilisation et la communication de renseignements personnels par les entreprises. Dans une décision claire et pratique qui tient compte des réalités d’affaires du secteur bancaire, la Cour a reconnu que le caractère sensible des renseignements personnels repose sur leur contexte particulier, y compris la nature de la relation entre le débiteur hypothécaire, le créancier hypothécaire et le créancier d’un jugement. En outre, la Cour estime que le consentement explicite à la communication n’est pas exigé par la LPRPDE : un débiteur hypothécaire raisonnable saurait que ces renseignements d’ordre financier peuvent être communiqués pour faciliter le recouvrement par le créancier d’un jugement.

Cette décision découle d’un cas où la législation sur la protection de la vie privée a empêché la saisie et la vente d’un immeuble relativement à une dette constatée par jugement. Elle procure un cadre d’évaluation des cas où il est raisonnable d’intégrer un consentement implicite à une relation et tranche en faveur d’une approche équilibrée et contextuelle. Il est aussi dorénavant clair que la législation sur la protection de la vie privée ne servira pas nécessairement d’argument permettant d’éviter d’autres obligations légales.

La première question en litige sous étude consistait à savoir si une ordonnance sollicitée par le créancier d’un jugement constitue une « ordonnance d’un tribunal » au sens de l’al. 7(3)c) de la LPRPDE. La Cour suprême a répondu par l’affirmative à cette question, soulignant explicitement que « la LPRPDE ne restreint pas le pouvoir des tribunaux de rendre des ordonnances [...] ».

La deuxième question en litige portait sur le consentement implicite : les débiteurs avaient‑ils implicitement consenti à la communication de l’état de mainlevée d’hypothèque? La Cour suprême a conclu à l’existence d’un consentement implicite, faisant remarquer que même si les renseignements d’ordre financier constituaient un type de renseignement personnel généralement considéré comme sensible (nécessitant donc un consentement explicite), « le degré selon lequel un renseignement d’ordre financier précis est sensible est fonction du contexte ». Le contexte commercial et réglementaire était important pour évaluer si les débiteurs avaient implicitement consenti à ce que leur banque rende l’état disponible afin de permettre la réalisation de la dette constatée par jugement.

Historique

En avril 2008, la Banque Royale du Canada (« RBC ») a prêté environ 35 000 $ aux Trang. Ceux‑ci ont fait défaut de rembourser le prêt et le 17 décembre 2010, la RBC a obtenu un jugement contre eux au montant de 26 122,76 $ avec intérêts et dépens. RBC a ensuite produit un bref de saisie-exécution auprès du shérif à Toronto, permettant à ce dernier de vendre l’immeuble des Trang conformément à la Loi sur l’exécution forcée, L.R.O. 1990, E‑24. Toutefois, le shérif a refusé de vendre l’immeuble sans avoir au préalable obtenu un état de mainlevée d’hypothèque de la part de la Banque Scotia.

Craignant que la LPRPDE interdise pas une telle communication sans le consentement des Trang, de la manière exposée par la Cour d’appel de l’Ontario dans sa décision contraignante Citi Cards Canada Inc. c. Pleasance[3], la Banque Scotia a refusé de fournir l’état de mainlevée d’hypothèque à RBC.

L’affaire a donc été soumise aux tribunaux ontariens, sans que les Trang et la Banque Scotia ne comparaissent. Le Commissaire à la protection de la vie privée du Canada a été désigné amicus curiae, faisant valoir la défense devant la Cour d’appel et la Cour suprême. En première instance[4], le juge Grey a conclu qu’il était lié par l’arrêt Citi Cards. Néanmoins, il a exprimé d’importantes réserves, affirmant que la LPRPDE [traduction] « ne visait pas à empêcher seulement une partie d’une activité commerciale qui est effectuée d’une certaine façon depuis de nombreuses années », d’autant plus que RBC ne cherchait pas [traduction] « à exposer à l’examen public l’ensemble de la relation entre une banque et son client », mais voulait plutôt obtenir [traduction] « une bribe d’information qui est pertinente seulement parce que le client fait l’objet d’un jugement définitif contre lui et a une hypothèque auprès d’une banque. »[5]

Plus particulièrement, il a souligné que [traduction] « le consentement ne doit pas toujours être explicite; il peut, dans les cas qui s’y prêtent, être implicite », et a fait valoir que l’objet particulier de l’état de compte donne lieu à un argument solide voulant qu’il y ait consentement implicite de la part du débiteur hypothécaire à communiquer à des tiers l’état de compte lorsque l’exercice de ces droits est en cause.

À la Cour d’appel[6], les juges, à la majorité de 3 contre 2, ont maintenu la décision de première instance, suivant le précédent Citi Cards. Tous les juges ont conclu qu’un état de mainlevée d’hypothèque constitue un « renseignement personnel » et que les dispositions d’objet général de l’article 3 et du paragraphe 7(3) de la LPRPDE ne prévoient pas d’autres moyens d’obtenir le consentement à la communication de renseignements personnels, ou l’application d’une exception à l’obligation de consentement, mais la Cour d’appel était divisée sur deux points.

Le premier point portait sur la question à savoir si la Banque Scotia pouvait communiquer l’état de mainlevée d’hypothèque au motif que la communication était « exigée par […] ordonnance d’un tribunal »[7].

Selon le juge Laskin écrivant pour la majorité, il aurait été « circulaire » que les procédures intentées par RBC contre la Banque Scotia constituent l’ordonnance nécessaire. Dans sa dissidence, la juge en chef adjointe Hoy a emprunté une voie différente; elle était d’avis que la procédure nécessaire en vertu de l’interprétation des juges majoritaires [traduction] « entrainerait des délais et des dépenses indues et ne favorise pas l’accès à la justice »[8].

Le deuxième point de divergence d’opinions résidait dans la question de savoir si les Trang avaient implicitement consenti à la communication. Les juges majoritaires semblaient se préoccuper du fait que des renseignements « moins sensibles » peuvent, selon le contexte, être très sensibles s’ils reflètent la stabilité financière de la personne. Les juges majoritaires ont estimé que RBC aurait pu obtenir le consentement des Trang à la communication en prévoyant une condition dans sa convention de prêt[9].

La juge Hoy était en désaccord. Elle estimait que les renseignements en cause étaient « moins sensibles », car tous les renseignements relatifs à l’hypothèque des Trang – le capital, le taux d’intérêt, les périodes de paiement et la date d’échéance – avaient été rendus publics lorsque l’hypothèque a été enregistrée et les chiffres à jour pouvaient facilement se calculer. Étant donné qu’il s’agissait de renseignements moins sensibles, les renseignements pouvaient faire l’objet d’un consentement implicite. Par ailleurs, la question de la sensibilité et du caractère raisonnable nécessitait la prise en considération des droits des tiers.

La Cour suprême du Canada a ensuite accordé l’autorisation d’appel afin de clarifier les questions urgentes soulevées par les précédents Trang et Citi Cards. Seuls RBC et le Commissaire à la protection de la vie privée du Canada ont comparu et présenté des observations à la cour.

La décision de la Cour suprême

Dans sa décision rédigée par la juge Côté, la Cour suprême a unanimement exprimé son accord avec les principes énoncés par la juge en chef adjointe Hoy, ordonnant la communication de l’état de mainlevée d’hypothèque, et ce, pour deux motifs :

  1. La cour avait compétence inhérente pour accorder la motion de communication forcée présentée par RBC. La LPRPDE ne vise pas à empêcher les tribunaux de rendre des ordonnances. Étant donné que RBC a obtenu une ordonnance par jugement, qu’elle a déposé un bref de saisie-exécution et que les Trang ont refusé de se présenter à l’interrogatoire aux fins d’exécution forcée, RBC a démontré sa réclamation et a avisé les Trang. Contrairement à ce que prétendait le Commissaire à la protection de la vie privée, RBC n’était pas tenue de mentionner expressément les Règles de procédure civile, puisque la réparation sollicitée serait la même en vertu de la compétence inhérente de la cour.
  2. Les Trang avaient implicitement consenti à ce que la Banque Scotia communique l’état de mainlevée d’hypothèque. Bien que des renseignements personnels d’ordre financier puissent être extrêmement sensibles, dans le contexte de l’affaire, les renseignements étaient moins sensibles que d’autres renseignements d’ordre financier. Une bonne partie de ces renseignements était déjà publique et l’état de mainlevée d’hypothèque avait été communiqué à un autre créancier ayant un droit établi par la loi, et non pas à une personne curieuse ou avec des mauvaises intentions ou avait des motifs vils. En outre, un débiteur hypothécaire raisonnable aurait prévu, au moment de conclure l’hypothèque, que les renseignements seraient communiqués à un créancier, car « [i]l s’ensuit qu’une personne raisonnable s’attend à ce qu’un créancier soit en mesure d’obtenir les renseignements nécessaires pour exercer son droit de procéder à la réalisation »[10].

S’inspirant de l’objet énoncé à l’article 3 de la LPRPDE, qui équilibre le droit à la vie privée des personnes et la nécessité pour les organisations de recueillir, utiliser ou communiquer les renseignements personnels « à des fins qu’une personne raisonnable estimerait acceptables dans les circonstances », la Cour suprême a clairement indiqué que les tentatives de recourir à la LPRPDE pour éviter des obligations légales doivent échouer :

[L]a LPRPDE ne restreint pas le pouvoir des tribunaux de rendre des ordonnances ni n’interfère avec leurs règles de procédure en matière de production de documents. De plus, la LPRPDE ne fait pas obstacle à la communication faite en vue d’un recouvrement d’une somme que l’intéressé doit à l’organisation, ou à la communication exigée par la loi. Autrement dit, le par. 7(3) vise à faire en sorte que la LPRPDE n’ait pas d’incidence sur les communications légalement requises.[11]

En particulier, la Cour suprême a insisté pour dire qu’« il serait indûment formaliste et préjudiciable à l’accès à la justice» d’insister sur plusieurs procédures, et a entériné l’énoncé de principe fait par la juge en chef adjointe Hoy :

[Traduction] Ce serait faire fi des préoccupations croissantes concernant l’accès à la justice au Canada que de rejeter l’appel et d’exiger que RBC présente une autre requête. Un régime juridique inutilement complexe et axé sur les règles est aux antipodes de l’accès à la justice. RBC a soumis deux requêtes et s’est présenté deux fois devant notre cour pendant une période de quelques années – simplement pour déterminer le solde de l’hypothèque des Trang en vue d’exécuter un jugement valide. [par. 113]

J’ajouterais que tous les justiciables n’ont pas les ressources dont dispose RBC, ou ne sont pas en mesure de se présenter plusieurs fois devant la cour. Pour favoriser l’accès à la justice, il faut considérer la situation de tous les justiciables.[12]

La Cour suprême revient sur ce thème plus loin dans la décision, où la juge Côté fait remarquer que :

[U]n état de mainlevée d’hypothèque [traduction] « n’est pas simplement un élément de nature privée entre le créancier hypothécaire et le débiteur hypothécaire, mais plutôt un élément sur lequel reposent les droits appartenant à des tiers, que ceux-ci sont donc en droit de connaître » (2012 ONSC 3272, par. 29). En somme, les intérêts opérationnels légitimes des autres créanciers constituent un élément pertinent du contexte devant être pris en compte pour apprécier les attentes raisonnables du débiteur hypothécaire.[13]

Il semble donc que les tentatives d’utiliser la LPRPDE pour faire obstacle à l’accès à la justice réussiront rarement, particulièrement dans les cas où le droit à la vie privée en jeu semble être incident ou disproportionné par rapport aux droits que le cocontractant tente de faire valoir.

En Alberta, une décision rendue en 2011 par le protonotaire Schlosser a adopté l’approche pratique qui s’est manifestée partout dans l’arrêt Trang lorsqu’il a déclaré, dans des circonstances similaires, que [traduction] « la détermination du caractère approprié de la communication dans ces circonstances nécessite la pondération d’une gamme de droits du débiteur, et non pas seulement un examen abstrait du droit à la protection de la vie privée »[14].

Ce que les banques et les autres institutions financières doivent retenir

Étant donné que les institutions financières se trouvent souvent dans la position de créancier hypothécaire et de tiers créancier d’un jugement, la décision dans Trang aura une incidence sur elles pour ces deux rôles.

Grâce au rejet explicite de l’arrêt Citi Cards, les banques n’auront vraisemblablement plus besoin d’obtenir par précaution, au moment où elles consentent le prêt, le consentement du débiteur pour avoir accès à leurs renseignements personnels d’ordre financier en vue de faciliter le recouvrement au cas où le débiteur ferait défaut.

En outre, lorsqu’elles demandent un état de mainlevée d’hypothèque à titre de créancière d’un jugement, les banques n’auront vraisemblablement plus besoin d’une ordonnance judiciaire pour obtenir la communication de l’état. La Cour suprême indique clairement que « le consentement [à la communication des renseignements personnels] visant à aider le shérif à donner suite à un bref de saisie-exécution a été donné implicitement au moment où l’hypothèque a été consentie »[15]. Cela pourrait réduire considérablement les frais de recouvrement des dettes.

Avant de communiquer des renseignements personnels à un tiers, les banques devraient entreprendre une évaluation de la sensibilité des renseignements d’ordre financier, en appliquant le cadre de l’arrêt Trang :[16]

  1. Les renseignements d’ordre financier connexes sont-ils déjà du domaine public? Lorsque les renseignements de base sont déjà publics, comme dans le cas d’une hypothèque enregistrée sur un titre, les renseignements sont généralement moins sensibles.
  2. Quelle est la raison pour laquelle les renseignements connexes sont rendus publics? Par exemple, les renseignements enregistrés sur un titre sont partiellement disponibles pour permettre aux créanciers de prendre des décisions éclairées. L’état de mainlevée d’hypothèque prévoit une « photo » à jour de ces renseignements à une date ultérieure et est donc compatible avec cet objectif, le rendant moins sensible.
  3. Quelle est la nature de la relation entre le débiteur hypothécaire, le créancier hypothécaire et les tiers directement touchés? L’état de compte du débiteur hypothécaire touche également les droits des créanciers, ce qui rend moins sensible la communication de renseignements personnels à ces créanciers. Bien que la Cour n’ait pas fait directement de commentaires sur ce point, il est possible qu’il y ait une distinction entre un créancier et le créancier d’un jugement qui a obtenu une ordonnance de paiement. Les parties qui ne sont pas des créanciers, mais qui sont simplement curieuses ou qui pourraient avoir de mauvaises intentions, ne devraient pas se faire accorder l’accès aux renseignements personnels d’ordre financier d’une partie.

Les banques devraient ensuite tenir compte de deux points additionnels :

  1. La quantité de renseignements personnels communiqués est-elle appropriée dans les circonstances? Si on peut accomplir les mêmes objectifs au moyen d’un moins grand nombre de renseignements, ou des renseignements qui sont déjà publics, la communication devrait ainsi être limitée.
  2. Les renseignements sont-ils fournis à la bonne personne? Peut-être que la demande devrait être formulée par une partie plus pertinente. La communication devrait seulement être faite à une personne ayant un droit légal à l’égard de l’immeuble.

Étant donné que les renseignements personnels d’ordre financier sont généralement des renseignements extrêmement sensibles, il faut examiner minutieusement ce cadre avant de communiquer des renseignements personnels d’ordre financier à un tiers.

Dans l’ensemble, cette décision démontre que la Cour suprême du Canada reconnaît à la fois l’importance du droit à la protection de la vie privée des personnes et les préoccupations commerciales légitimes, et elle a dans cette décision visé à trouver un équilibre entre les deux. De même, les banques devraient continuer à protéger la vie privée des clients, mais devraient aussi être rassurées par le fait que dans des cas comme dans l’affaire Trang, les tribunaux semblent avoir peu de tolérance pour les personnes qui tentent d’utiliser la législation sur la protection de la vie privée pour contrecarrer le recouvrement légitime des dettes.


[1] Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques, L.C. 2000, c. 5 [LPRPDE].

[2] Banque Royale du Canada c Trang, 2016 CSC 50 [Trang].

[3] Citi Cards Canada Inc c Pleasance, 2011 ONCA 3 [Citi Cards].

[4] 2012 ONSC 3272.

[5] Trang au par. 40.

[6] 2014 ONCA 883.

[7] LPRPDE, al. 7(3)c).

[8] 2014 ONCA 883aux par.104 et 112 à 114.

[9] Ibid au par. 76.

[10] Trang au par. 48.

[11] Trang au par. 25.

[12] Trang au par. 30.

[13] Trang au par. 45.

[14] Toronto Dominion Bank c Sawchuk, 2011 ABQB 757.

[15] Trang au par. 49.

[16] Trang au par. 36.

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